Après des incursions ponctuelles dans la collection permanente de l’institution belge, Pascale Marthine Tayou se voit offrir tout un étage du Mu.ZEE, pour une ample exposition où il déploie une vision du monde faussement candide. A Ostende, l’artiste camerounais embrasse les désordres contemporains avec détachement. Le propos est sérieux, mais la touche est légère, comme s’il avait une volonté de dédramatiser et de poétiser l’agenda. Il nous parle de migration, d’égalité des sexes, d’identité et des blessures coloniales, sans avoir l’air d’y toucher.

La tornade qui a soufflé sur le Mu.ZEE se manifeste dès l’entrée par des fragments de tôle ondulée colorée en suspension au-dessus de la tête des visiteurs. Une protection qui vole en éclats en se déployant dans l’espace. Les lances fichées dans le mur perdent leur caractère guerrier par la plume colorée qui les achève comme des accessoires d’une mascarade de carnaval. Les chaînes sont peut-être celles de l’esclavage, des prisons, celles de trop nombreuses dictatures. Tayou a placé des chaînes brisées en cellule, derrière les barreaux, comme pour les empêcher de nuire. La tranche des épais anneaux cisaillés est colorée d’une pastille semblable à un sparadrap. Il y a chez Tayou une fraîcheur et une spontanéité qui ramènent à l’enfance dans ce qu’elle peut avoir de libre et de spontané. A l’époque coloniale, les « évolués » avaient droit à leur statuette qui les représentaient en vêtements occidentaux, robes-tailleurs pour les femmes et costumes pour les hommes, gages de leur réussite. Tayou reproduit ces statues en les allongeant exagérément et en les plaçant à côté d’une échelle traditionnelle que les Dogon découpaient dans un arbre. « L’accession à l’intelligence » est représentée par des cerveaux collés comme des escargots sur un tronc.
L’exposition est une sorte d’espace total où il se permet même de refaire des tentures avec des pailles de couleur étirées et découpées avec des enfants locaux. Ailleurs, il colle aux murs des pavés colorés sur une face qui gagnent alors un autre statut. Certains détournements laissent tout de même perplexe, comme ses Pizzas Dogon, des panneaux de bois découpés en rond couverts d’une reproduction de fragments de manuscrits sauvés de la mythique université de Tombouctou. Posés à quelques centimètres du sol, ils ne sont pas loin de ressembler à une table basse de mauvais goût. Peut-être est-ce un emprunt sincère à des documents témoins d’un âge d’or de la culture en Afrique, ou alors un rappel cynique de la marchandisation de cette même culture, le doute est permis. Il suffit parfois d’une idée toute simple pour produire des œuvres profondes et touchantes. Dans Pocket Colors, il macule de taches de couleur des fonds de poches de pantalon retournées comme autant de traces laissées par les espoirs, les rêves et les poings serrés. (…)
Dans le cadre d’un partenariat engagé avec notre consœur belge Muriel de Crayencour, fondatrice et rédactrice en chef du site d’actualité artistique belge Mu-inthecity.com, nous vous proposons de poursuivre la lecture de cet article d’un clic.
