On ne présente plus Ora-Ito, l’enfant terrible du design, cet électron libre propulsé très jeune dans les hautes sphères du luxe par une créativité débridée et une audace sans pareille. De la conception d’objets les plus divers, d’abord virtuels et qui firent le buzz, puis industriels à l’architecture, il n’a cessé de s’illustrer depuis la fin des années 1990. Iconoclaste et effervescent, philanthrope et utopiste, il a créé un Centre d’Art et s’implique aussi dans la protection de l’environnement. Né avec l’émergence du Web, il sait jouer des ressources du digital et projette résolument ses créations vers le futur. Récemment lui est venue l’idée – expérimentation oblige – de s’affranchir des contraintes de l’objet utilitaire. Une posture qui envisage le design au-delà du champ des arts appliqués et lui assigne des fonctions d’art total. Entre peinture, sculpture et architecture, il donne ainsi carte blanche à des figures non-imposées qui constituent, en l’occurrence, le corpus d’une exposition en deux volets : Grammatology-Part One à la Galerie Podgorny à Saint-Paul-de-Vence jusqu’au 20 juillet et Grammatology-Part Two à la Galerie Kolektiv 313 à Marseille jusqu’au 24 août.
A Saint-Paul-de-Vence, Ora-Ito est en terre bien connue : son grand-père y était propriétaire d’une galerie qui exposa Picasso, Jean Arp et Max Ernst. Une histoire de famille donc et une kyrielle de souvenirs d’enfance liés à l’art. Son père, le joaillier niçois Pascal Morabito, se distingua en tant que parfumeur, styliste, architecte, sculpteur. Ora Morabito aurait pu de fait s’engager dans la voie royale tracée par ses ascendants. Mais préféra emprunter des chemins de traverse et devenir Ora-Ito. Né à Marseille en 1977, il interrompit des études de design à peine entamées en défrayant la chronique : à dix-neuf ans, il pirata les logos de Vuitton et Apple avec des objets virtuels en 3D. Interpellées par son aplomb et son talent, les grandes marques lui ouvrirent aussitôt les portes du design et dans la foulée il reçut le Red Dot Design Award pour One Line, une lampe qu’édita Artemide. S’ensuit depuis une activité incessante : créations labellisées Kenzo, Davidoff, Thierry Mugler, Guerlain, Christofle, Toyota, Lancaster, Nike, Adidas, etc., récompensées par plusieurs prix prestigieux et la consécration : une nomination de Chevalier des Arts et Lettres.

Entre autres réalisations d’envergure, Ora-Ito a dessiné les rames de la nouvelle ligne de tramway de Nice et le métro de la cité phocéenne. Il met à profit sa reconnaissance internationale et sa notoriété pour soutenir des initiatives de sauvegarde de la biodiversité visant un mieux vivre ensemble. Il se trouve ainsi depuis peu à la barre d’Odysseo, un ambitieux projet initié pour sensibiliser et contribuer à la préservation des fonds marins.
En 2013, il acheta à Marseille un espace sur le toit de la Cité Radieuse conçue par Le Corbusier et y créa le MAMO (1). Ce centre d’art ouvert à tous les publics convie le temps d’une exposition des artistes contemporains. S’y sont ainsi produits Xavier Veilhan et Daniel Buren.
Ora-Ito embrasse le monde en mouvement d’un regard large et conjugue la réactivité à la vitesse de son temps. Pour lui, point de délimitation entre les arts : design, sculpture, architecture, tout ce qui le vaut bien est art à appréhender et à promouvoir. Aujourd’hui, sa créativité s’est animée de velléités libertaires. Il a donc décidé de faire du hors champ utilitaire. Pas question cependant de mettre le design à distance. Plutôt de le départir des impératifs d’usage. De s’en re-saisir, cette fois comme simple médium et langage formel. De procéder à son déshabillage pour en extraire la quintessence. La forme et la couleur, ainsi libérées de toute fonction, adoptent un nouveau statut qui se concrétise dans l’abstraction. Et confirment en mode condensé la grammaire formelle et colorifique qu’Ora-Ito a élaboré au fil de son travail. Intituler Grammatology l’exposition en deux temps dans laquelle s’articulent les fruits de cette nouvelle exploration allait donc de soi.

A la Galerie Podgorny, la Part One est d’une élégance vitalisante : les formes en imposent par leur sobriété et les couleurs, réduites à la toute puissance de leur expression primaire, exultent. Si elles suggérèrent une éventuelle filiation avec l’Art Concret ou le Non-Objective Art, elles en franchissent assurément les limites. Ces figures géométriques, cercles carrés, rectangles, sont certes élémentaires mais ne semblent en rien strictes ou figées. Car leurs angles arrondis n’engoncent pas la couleur qui, de fait, semble impulser un mouvement rotatoire à son uniformité. Ces formes monochromes sont constituées de plaques d’aluminium fixées sur un relief blanc en résine à la base de poudre de marbre qui se joue de leur planéité en les faisant saillir hors du mur. Chaque composition décline en deux nuances une couleur qu’exacerbe un contrepoint noir dont la position change de l’une à l’autre, jusqu’à une ponctuation finale assurée par des lignes duelles et verticales. Dans un phrasé dont seul l’artiste connait le sens, cette suite de triades en rotation sur elles-mêmes font de la géométrie dans l’espace. Une adéquation totale entre peinture et sculpture, franchise de la couleur et simplification de la forme qui évoque les logos épurés du numérique. Une esthétique emblématique du XXIe siècle.

Grammatology Part two sera présentée à la Galerie Kolektiv 313 située à Marseille dans la Cité Radieuse. Cette série reprend les mesures du Modulor (1), en résonnance avec les teintes caractéristiques de la palette retenue par l’architecte. Ce deuxième volet associera donc expression formelle, dialogue avec les règles de l’architecture moderne et travail de recherche sur le langage et les signes (2). Affaire à suivre.
(1) MA pour Marseille et MO pour Modulor, en hommage à le Corbusier, avec un clin d’œil au MoMA. Le Modulor, contraction des mots module et nombre d’or, a été inventé par le Corbusier en 1945 à partir de mesures rapportées à une silhouette humaine pour servir d’étalon dans la construction de la Cité Radieuse.
(2) D’après les informations du communiqué de presse de l’exposition.
Contact> Détail, Grammatology Part One, du 15 mai au 20 juillet 2024, Galerie Podgorny, Saint-Paul-de-Vence. Hors-les-murs au Lavoir de Saint-Paul de Vence. Grammatology Part Two, du 18 juillet au 24 août 2024, Galerie Kolektiv, Cité Radieuse 313, 13800 Marseille.
Image d’ouverture> Détail, Grammatology Part One, Ora-Ito, Galerie Podgorny. ©Ora-Ito