Nous sommes tous des golems

Kiefer

Actuellement à l’affiche du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (Mahj), à Paris, l’exposition Golem ! Avatars d’une légende d’argile explore les multiples interprétations de la figure du Golem dans les arts visuels. Quelque 136 œuvres forment un parcours mêlant peinture, dessin, photographie, théâtre, cinéma, littérature, bande dessinée et jeu vidéo. Aussi fascinant que pédagogique.

Golem, Joachim Seinfeld, 1999.

De nombreuses personnes sont venues sans même avoir de ticket, espérant des défections de dernière minute. L’auditorium est comble. Il bruisse. Ce soir-là, le Mahj accueille Marc-Alain Ouaknin pour la conférence inaugurale de l’exposition Golem ! Avatars d’une légende d’argile. Venu disserter sur la mythique figure du Golem, le rabbin-philosophe sort de sa sacoche un nombre de livres plus important que celui qu’elle paraissait contenir… La magie opère déjà. Avant même qu’un seul mot ne sorte de sa bouche. De mots et de nombres : c’est justement de cela dont il est question. Parmi les interrogations liminaires, celle de savoir si le Golem a un sexe est inattendue. Nous connaissions le débat sur celui des anges… et sommes donc tout ouïe. S’il n’est ni féminin, ni masculin, il est intéressant de remarquer, comme le signale Marc-Alain Ouaknin, que la valeur numérique d’Eve additionnée à celle d’Adam est de 73, celle du Golem ! A la fois simple, savant, joyeux et attentionné, le professeur enchaîne les démonstrations avec la Gematria comme outil, le Tserouf comme mode d’interprétation. « L’intelligence, c’est la capacité à faire des ponts. » Chaque question en appelle une autre. Les lettres permutent. La sagesse coupe les mots en deux. « Le livre est un objet qui a la patience de vous attendre. » Un objet qui vient à notre rencontre. Les anecdotes succèdent aux propos érudits, mais personne ne décroche. Quand l’intelligence est à la manœuvre, tout l’équipage suit dans la joie. « Il faut lire Kafka. » Non pas comme une injonction, mais comme une évidence, une nécessité. Un autre rabbin (1), d’un autre temps a dit : « Il est interdit d’être vieux. » L’étonnement et le renouvellement sont les secrets de l’éternelle jeunesse. Le monde peut être investi de bien des façons différentes. « Nous sommes tous des golems. » Des êtres de matière et de souffle. Du vivant, en somme, dont la poésie livre la meilleure des compréhensions. Et Ouaknin de citer Levinas : « Dans chaque mot et chaque lettre, il y a un oiseau aux ailes repliées, qui attend le souffle du lecteur. Et lorsque le lecteur interprète, l’oiseau déploie ses ailes… » Alors l’heure de sauter sur son dos pour s’élever avec lui sonne ! Suggère le maître.

Le Golem, Gérard Garouste, 2011.

De l’exposition, il est question du début à la fin de la conférence, mais le plus souvent par des chemins de traverse. Voyons donc là l’opportunité de s’y intéresser plus précisément, ordinairement aussi. Le parcours remarquable concocté par Ada Ackerman se compose de huit espaces aux intitulés évocateurs : « Qui est le Golem ? », « Le Golem de Prague », « Un héros protecteur », « Un monstre incontrôlable », « Variations théâtrales », « Un mythe plastique », « Les descendants du Golem » et « L’homme-démiurge ». Apprendre à connaître ce monstre protecteur que la tradition juive qualifie d’« être artificiel à forme humaine que des sages initiés et persévérants auraient eu le pouvoir d’animer à l’aide de différents rituels magiques impliquant le pouvoir des lettres hébraïques (2) », tel est donc un premier objectif. Non seulement savoir comment, pourquoi et par qui il est né, mais aussi en découvrir les myriades d’évocations littéraires, cinématographiques, photographiques, théâtrales, plastiques… « Rarement un mythe aura été aussi fécond pour penser tant le pouvoir créateur de l’homme que son hubris, sa déraison, sa démesure. La création du Golem – entité bénéfique dont Yehoudah Loew perd le contrôle – est à l’image des excès de la tentative d’emprise absolue de l’homme sur la nature, dont les XXe et XXIe siècles donnent nombre d’exemples. Le Golem est en outre le précurseur du robot, de l’ordinateur et d’un monde envahi par un désir machinique incontrôlé. Avec Ada Ackerman, nous avons entrepris d’explorer les multiples dimensions du mythe et ses résonances contemporaines », écrit Paul Salmona, directeur du Mahj, dans le catalogue de l’exposition. Parmi les pièces exposées citons cet homme de fonte en position de recueillement, de pénitence, ou simplement de repos signé Antony Gormley (Clench, 2013) ; la naissance simple et néanmoins fascinante d’un homme de terre modelée par les mains de Jakob Gautel (Matière première, vidéo, 1999) ; l’interprétation picturale d’un passage de Kafka par Garouste (Golem, 2011) ; l’installation sculpturale interrogeant la frontière entre la vie et la mort d’Anselm Kiefer (Rabi Löw : der Golem, 1988-2012) ; les êtres sortis du chaos primordial par Michel Nedjar (deux poupées de la série Paris, Belleville, 1985-1987) ; les fascinants visages enduits de terre de Joachim Seinfeld (Golem, 1999) et les golems-robots à l’encre de Chine de Zaven Paré (Golems et robots, 2009). La présence amusante d’un épisode des Simpson n’est pas à négliger (The Simpsons, Matthew Abram Groening, saison 18, épisode 4, 2006). Elle montre à quel point le Golem a réussi de très éclectiques métamorphoses.

Dans l’auditorium, Marc Alain Ouaknin répond aux questions. Il sait déjà qu’elles seront suivies par celles posées en off, alors même que la majorité du public s’acheminera vers la sortie. Des questions, qui en entraîneront d’autres. Et ainsi de suite. Les mots continueront d’offrir leur équivalent en nombre, ils s’envoleront comme l’oiseau, une consonne en chassera une autre, l’immensité des possibles interprétations s’élargira à l’infini sous le sourire bienveillant du rabbin-philosophe. « La langue pétrit les mots, les poème, les casse, les concasse, les cocasse, les dépasse, les impasse, les tourne et les retourne, les hypogramme et les anagramme. “Pain” devient, en hébreu, “sel”, “danse”, “pardon”, “pitié” et “rêve”. » Ainsi écrit Marc-Alain Ouaknin.

(1) Nachman de Breslau (1772-1810).
(2) Définition qui inaugure l’exposition.

Breath of Bones. A Tale of the Golem (Le Souffle des os. Un conte du Golem), Milwaukie (Oregon), Dark Horse Comics, n° 3, août 2013. Steve Niles et Matt Santoro (texte) et Dave Watcher (dessin).
The Simpsons (Les Simpson), Matthew Abram Groening, Etats-Unis, 2006.
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Golem ! Avatars d’une légende d’argile, jusqu’au 16 juillet au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme.

Crédits photos

Image d’ouverture : Rabi Löw : der Golem, 1988-2012 © Anselm Kiefer, courtesy galerie Thaddaeus Ropac – Golem © Joachim Seinfeld – Le Golem © Gérard Garouste – Breath of Bones. A Tale of the Golem © Steve Niles et Matt Santoro (texte) et Dave Watcher (dessin), courtesy Twentieth Century Fox – The Simpsons © Matthew Abram Groening, photo MLD