Nathalie Haggiag et la couleur pop des âmes mélancoliques

Nathalie Haggiag fait une peinture expressionniste aux couleurs pop dont il ressort des personnages décalés, des impressions intimes, profondes et justes, comme autant d’appels au regard, dans un rendu un peu flou : des autoportraits empreints d’humour, de doute, de tristesse et de joie comme les arrêts sur image en mouvement de la vie. Il y a deux ans, l’artiste qui vivait à Paris installa son atelier au cœur de Sète, 45 Grand’Rue Mario-Roustan, dans un petit local avec vitrine où elle convie le temps d’un week-end, du 25 au 26 février de 14 h à 20 h, quatorze autres artistes sétois dans une émulation festive, sérieusement improvisée !

« Rêve de Buñuel, de soleil, envie de rire, de s’étirer comme des chats, de hurler de joie, rêve d’allumer la nuit de nos regards éblouis, sur une trainée de poudre de la divine comédie… », écrit Nathalie Haggiag, comme poème d’accroche à son carton d’invitation dont le visuel est un clin d’œil à La voie lactée de Luis Buñuel (The milky way) un film tragicomique révolutionnaire réalisé en 1969 qui comme la peinture de Nathalie H. embrasse tout et son contraire : à la fois profond et léger, ironique et mystique, cruel et drôle, provocant, absolument ! Réunir ces 14 artistes sétois dont le casting sous-tend déjà l’idée de performance, c’est « effleurer les astres, éclairer mes yeux d’étoiles d’un univers en expansion, un élan du souffle d’une vibrante constellation… ». ArtsHebdoMédias a profité de cette belle émulation collective pour rencontrer l’artiste, qui trouva à Sète, sa tribu et son refuge.

ArtsHebdoMédias. – Vous êtes basée à Paris près du Père-Lachaise, pourquoi installer son atelier à Sète ?

Nathalie Haggiag. – Je suis d’origine méditerranéenne, il me fallait retrouver cette base là et j’ai tout de suite aimé Sète, le côté populaire d’une ville pleine d’artistes qui compte 4 musées plusieurs galeries, où l’on parle italien… C’est le fief de la Figuration libre et puis quand vous arrivez à la gare, vous apercevez ces grandes peintures singulières de Jean Routier entre autres qui n’ont rien à voir avec la peinture institutionnelle, et c’est dans la gare ! A Sète, j’ai trouvé mon refuge et ma tribu.

©Nathalie Haggiag, sans titre acrylique sur toile.

Depuis plusieurs mois vous mettez votre énergie dans l’organisation d’une exposition d’un week-end, pourquoi ?

Ça me donne de l’énergie de travailler avec d’autres, c’est un échange. Quand je suis arrivée Sète mes peintures ont été mon passeport. C’était un moyen de rencontrer d’autres gens, d’autres personnalités. Cette exposition ne prétend pas être celle d’une galeriste, je la vois davantage comme une extension de mes peintures, un désir de création qui s’exprime sous une autre forme : exposer avec d’autres artistes, rassembler, réunir… faire une fête ! A travers cette exposition, il ne s’agit pas tant de montrer nos créations, l’idée c’est plutôt « de les amener avec nous ! » C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé qu’on se retrouverait tous sur l’affiche comme dans le film de Buñuel, La voie lactée. A chaque désir d’exposition, je reprends toujours quelque chose du cinéma. Depuis que je suis à Sète, j’ai très envie de faire des films, ce qui était ma première passion avant la peinture. Pour moi la musique et le cinéma s’associent naturellement à la peinture ; mes plus grands maîtres sont Buñuel, Fellini, Sergio Leone… C’est peut-être pour cela d’ailleurs que ma peinture est en mouvement. Ici à chaque fois que je rencontre des nouveaux personnages, j’aimerais en faire un portrait… filmé.  Et puis, c’est aussi cet espace, ce lieu avec ses vitrines qui m’a donné envie de partager mon rêve avec d’autres et d’y créer des événements de façon légère. Faire simple et sérieusement tout en s’amusant, c’est entrer dans une dynamique de création. Je crois sincèrement qu’on peut mener des projets en s’amusant, mais c’est un engagement, il faut s’y donner à fond, même si l’exposition ne dure que deux jours, avec une surprise le soir du vernissage, le vendredi 25 ! L’espace fait 30 m2 et nous sommes déjà 15 ! Je ne sais pas du tout comment ça va se passer, je pense qu’on va déborder un peu sur le trottoir ! L’idée, c’est peut-être aussi de proposer une exposition clef en mains, que d’autres s’en emparent, qu’elle parte ailleurs !

©Nathalie Haggiag, sans titre acrylique sur toile.

Comment avez-vous choisi les artistes invités ?

Au fil des rencontres. Philippe Routier est le premier à qui j’avais demandé d’exposer et il m’a tout de suite répondu : tu prends ce que tu veux. Et puis, il est mort malheureusement en septembre.  J’avais aussi très tôt, rencontré Fred Hoyer dans un quiproquo total, par hasard, pensant retrouver en me trompant d’atelier un autre artiste avec qui j’avais rendez-vous. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. Au bout d’une heure, il m’a dit qu’il préparait une exposition collective avec ses amis, une sorte de cadavre exquis à partir de ses peintures et il m’a proposé d’exposer avec eux. C’est ainsi que je me suis retrouvée à la POP galerie, à exposer un de ses tableaux sur lequel j’ai (re)peint devant et derrière. Et c’est là que j’ai rencontré de nombreux autres artistes.

©Nathalie Haggiag
©Nathalie Haggiag, Tes mains, acrylique soir toile.

En fait, il m’importe peu de savoir ce que font les peintres que j’ai invités : ils ont tous quelque chose qui s’apparente à ma manière d’être ou de faire, à une vision partagée de la création qui va au-delà de l’objet. Je ne me pose pas la question de savoir « si c’est bien ou pas bien », c’est leur sincérité, dans le rapport à l’art, à la nécessité de créer que j’aime. D’ailleurs, on a même émis l’idée dans l’expo de peindre des toiles à la manière de l’un ou de l’autre. Ce sont des artistes très bien identifiés à Sète, tout le monde sait ce qu’ils font. La majorité font des œuvres picturales, mais Jean-Luc Parant, par exemple, réalise des installations ; on aura de la broderie, de la céramique, je vais sans doute projeter un petit film, tout se décide au fur et à mesure que nous faisons.  Je ne suis pas galeriste et n’ai pas envie de le devenir, je me paye le luxe d’organiser cet événement à mon rythme et d’avancer avec le groupe selon mes désirs. On s’est (re)trouvé comme une bande d’ados qui a envie de réaliser des choses ensemble. Et c’est ce qui me donne très envie de peindre aussi !

©Nathalie Haggiag, sans titre acrylique sur toile.

Parlons Peinture ! Vous êtes psychanalyste, mère de deux adolescents, il semble que vous voulez tout. Comment conciliez-vous votre art et cet ancrage dans le monde ?

C’est une fenêtre de plus que j’ouvre. Il n’y a qu’un rideau qui sépare mon cabinet de mon atelier à Paris, il n’y a désormais qu’un pas de Paris à Sète… Mais c’est vrai, je veux tout et surtout ne rien sacrifier de ma vie : je veux être mère, être une femme, une artiste, une psychanalyste, une amie…  Et finalement… J’y arrive (rires). Je m’octroie ce droit là ! On peut tout avoir, on peut réaliser ses rêves, il faut s’y accrocher, mais je ne m’imaginais pas que cela puisse aller même, au-delà. J’étais timide inhibée, je suis arrivée relativement tard à la peinture, à 30 ans. Pourtant la peinture a toujours existé pour moi. J’ai toujours été entourée depuis l’adolescence, d’amis peintres, ou issus des beaux-arts. Je souffrais d’une forme de désœuvrement tout en passant d’un job à l’autre ; j’ai bien été maquilleuse mais ça ne me suffisait pas… C’est la psychanalyse qui m’a permis de me lancer dans la peinture, à corps perdu. Et vice versa pourrais-je dire, car c’est la peinture qui m’a sans doute amenée à faire une psychanalyse à 17 ans alors que j’avais envie de cela et que je n’y arrivais pas. Elle m’a permis de « désidéaliser » les maîtres, et aussi le rôle de l’artiste, pour le devenir moi-même.  J’ai donc travaillé sur toutes mes failles pour arriver à une expression de la peinture qui me ressemble beaucoup : à force de travailler mes failles et de les assumer j’ai fini par trouver mon style. Si tu n’as pas fait d’école il te faut inventer une perspective, une façon de faire ressortir la personnalité, l’âme de ton personnage… tu dois tout inventer !

©Nathalie Haggiag, l’enfant acrylique sur toile.
©Nathalie Haggiag, sans titre, acrylique sur toile.

Ce que j’adore dans la peinture c’est la magie du temps : tout y est regroupé, le présent, le passé, le futur. Tu ne sais pas très bien où commence où finit le tableau. Quand je réalise une peinture, j’ai l’impression qu’elle date de 56 ans car ce sont des couches et des couches de Moi qui tout à coup déboulent sur la toile. Je suis dans le présent quand je peins et à la fois dans l’avenir car cette peinture sera vue, elle existera ailleurs. Peindre, c’est à la fois créer de l’espace et du temps : un espace que je mets entre moi et moi pour pouvoir créer du jeu et respirer quand ce qui se passe en moi-même est trop irrépressible ; c’est toute l’énergie d’un monde intérieur qui a besoin de s’exprimer. C’est pour cela que j’ai une telle fascination pour la peinture – pas tant pour les œuvres – mais pour cette capacité presque magique à créer de l’espace et du temps. En démarrant un tableau, j’ouvre une dimension, je construis une temporalité qui n’appartient qu’à moi… Puis un tableau m’amène à un autre. Je respecte cette temporalité-là qui m’est propre ; c’est aussi celle du tableau, mais plus je peins dans un coup de flash, plus ça va vite et plus la peinture à mon sens est réussie, car elle s’exprime dans une pulsion, un mouvement. J’ai été punk. C’est un mouvement que j’aime pour son esthétique, pour sa musique et son énergie : pour la folie de cette idée du « no futur » et de vivre au jour le jour.

©Nathalie Haggiag, sans titre acrylique sur toile.

Je peins à l’acrylique sur toile, parfois sur photo, j’utilise des supports… On peut dire que ma peinture est à la fois pop et expressionniste, empreinte de mélancolie et d’humour. J’adore les couleurs vives, le rouge… Et l’on retrouve dans mes personnages cette même ambivalence de tristesse et de grande gaité avec laquelle je cohabite depuis toujours. Dans la peinture, je suis sur le fil, je ne veux pas tomber dans le pathos, mais je suis très proche du sujet : mes personnages appellent le regard, même quand ils baissent la tête, ils ont l’air de dire « regarde-moi qui baisse la tête ». C’est quelque chose que je pousse clairement dans ma peinture mais que j’ai découvert en faisant. Je pense que c’est un problème d’ego, de mal-être que je transpose sur la toile et qui en réalité me dégage, me libère du regard de l’autre. Depuis que je peins, je suis dans la vie, beaucoup plus dans la joie ! Et si je peins des autoportraits, c’est qu’ils arrivent malgré moi. Je ne suis absolument pas consciente quand je commence une toile… D’ailleurs, je peux aussi bien me retrouver dans une tortue, ou dans un chien : j’ai peint récemment une femme qui se promène nue avec un chien en laisse… Eh bien, c’est dans le gros chien que je me suis reconnue.

Visuel d’ouverture> Nathalie Haggiag, j’aime tes fesses, détail, acrylique sur toile. ©Haggiag.

Contact> Rouge, 45 Grand’Rue Mario-Roustan, Sète, les 25 et 26 février, de 14 h à 20 h. 15 artistes invités : Bonita, Campos, Chambard, Della Flora, Domino, Duran, Fils, Haggiag, Hoyer, Lefèvre, Parant, Rosse, Salé, S.D.C, Zarouati.

Instagram : https://www.instagram.com/nathaliehaggiag/

Un article de Véronique Godé pour ARTSHEBDOMEDIAS

 

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