Rassemblant des œuvres de la collection de Jacques Font, Mythologies contemporaines n’hésite pas à proposer le rapprochement d’œuvres dont le premier point commun est d’avoir déclenché l’enthousiasme d’un homme mais qui révèle aussi la cohérence de ses choix. Décidé par Vincent Noiret, l’accrochage vient parfaire la démonstration. L’exposition est à découvrir à la Casa Restany, à Amélie-les-Bains-Palalda, jusqu’au 23 juillet.
Mythologies contemporaines est le titre de la nouvelle exposition du collectionneur perpignanais Jacques Font qui n’en est pas à son coup d’essai. Après une première exposition organisée au Musée des beaux-arts de Carcassonne en 2019, ce propriétaire de 14 salles de cinéma, à Perpignan comme à Granville en Normandie, ne cesse de nous surprendre. Il montre chaque année une partie de sa très importante collection constituée essentiellement à partir de ses coups de cœur. Comme il le dit lui-même « sans orgueil », c’est-à-dire sans prétendre à la connaissance d’un spécialiste mais en étant cependant plus qu’éclairé. Pour la cinquième fois, il a confié à « son » commissaire d’exposition, Vincent Noiret, lui-même homme de l’art qui a tenu la galerie Artrial à Perpignan, le soin de présenter ces effets de loupe sur les œuvres réunies par ce passionné de cinéma mais surtout plus largement de la vie. Si les films et la politique comptent parmi ses centres d’intérêt, l’art contemporain est sa scène favorite d’une jouissance de la découverte, du suivi de certaines œuvres et du soutien aux artistes qui l’intéressent.
Jacques Font fréquente les expositions internationales, sillonne centres d’art, biennales et autres scènes de l’art qui font du contemporain la tribune des boulimiques du marché. Ce qui ne l’empêche pas de rester inextricablement attaché à l’authenticité de ce qu’il ressent, de ce qui le touche si bien que ce n’est pas la cohérence esthétique qui domine ses coups de cœur, ou un choix qui serait drastique comme on le constate chez d’autres, lui, fait confiance à la spontanéité de son jugement, son humeur de l’instant et son intérêt tous azimuts pour la création. Il peut être tranquille la cohérence est donnée cousue main par Vincent Noiret, qui fait le choix des œuvres à exposer et les installe. La grande difficulté étant précisément d’y formuler une cohésion entre les périodes, les techniques, les démarches, comme il l’a fait non seulement à Carcassonne mais au Musée de Millau, et régulièrement maintenant à la Casa Restany, à Amélie-les-bains : Une collection d’art contemporain (2019), Dones, artistes femmes (2021), Nécessité intérieure (2022). La mairesse Marie Costa a eu la bonne idée d’y rendre ainsi hommage à Pierre Restany, celui qui fut un grand critique d’art, à l’origine du mouvement des Nouveaux Réalistes après avoir coopté les artistes qui n’étaient autres que Niki de Saint-Phalle, Yves Klein, Jean Tinguely, etc. Restany était natif d’Amelie-les-Bains et ce n’est que plaisir d’y voir ce type d’exposition y prendre ses habitudes.
Cette année, Vincent Noiret a intitulé Mythologies contemporaines ce rassemblement d’une trentaine d’œuvres dont le point commun est une certaine tendance à la figuration. Avec beaucoup de subtilité, il visite les réserves pour en faire émerger aussi bien les figures connues comme Adami, Klasen, Erró, Cueco, Arroyo ou de plus récentes, plus jeunes, moins connues du public tels que Brandon Lipchik, Nicolas Daubanes ou encore Sergey Kononov. Face aux monstres d’une autre génération, ces jeunes-là tiennent la route dans l’heureux voisinage composé.
Et s’il est permis de commencer par une évocation précise, ce serait l’œuvre d’Alvino Sala, délicate reprise imprimée sur plumes de la problématique migratoire depuis le radeau exemplaire de Géricault. De ces Mythologies on peut retenir la narration, Figuration Narrative d’abord avec les œuvres de Klasen, qui avait été invité en 2011 à une exposition personnelle à Perpignan par Marie Costa (à l’époque directrice de la culture de la ville), présenté sous un jour qui n’est pas l’hyperréalisme mais un Votre pense-précis, montage d’images qui fait plutôt penser à un pêle-mêle, il faut dire que la pièce date de 1965. De 1964, une œuvre aussi très singulière de Schlosser, mais aussi un « chien derrière des briques » d’un éternel Cueco, qui joue ici de ses lucarnes spatiales favorites, et encore un admirable Arroyo nous donnant une variation de la maja déclinée par Goya. De cette période, un Erró, assez proche d’Equipo Cronica dans sa facture, vient clore le lien avec nombre d’œuvres de périodes plus récentes mais tout aussi figuratives. Djamel Tatah en aplats de couleurs où se racontent deux personnages, Patrice Palacio en mise en scène d’un « surréalisme qui n’est jamais arrivé », Mohamed Lekleti en double figures pour un seul miroir, en hommes lucioles pour KriKi, Alain Josseau et un renversant Icare qui a perdu ciel et terre, ou encore Navi avec une énigmatique cible visée par un fouet, ces métaphores nous parlent toutes de manière différente des mythes et imaginaires qui occupent leur espace mental. Tous surtout narrent un trajet plastique pour dire l’étendue de leurs panoramas respectifs.
Il ne faudrait pas s’en tenir à la seule restitution picturale, car il en va de même pour la photographie où un florilège de clichés rassemble les univers de Gilles Caron, qu’on a eu l’habitude de rencontrer comme photojournaliste, de Gyasi qui joue une mise en abîme propre à la démultiplication photographique, de plus jeunes comme Liu Bolin ou Olivier Metzger (hélas disparu trop tôt), lui dont la prise de vue fut à chaque étape de son travail une dramatisation du réel, et encore Carlos Motta, rapportant de façon solennelle une image renouvelée de déposition dans la lignée d’une Bettina Rheims. Des crayons de couleurs, en passant par l’huile et la photo, ces images deviennent émouvantes par leur promiscuité, leur dialogue confus jamais cacophonique, car s’il est impossible de parler toutes les langues à la fois, leurs rapprochements sont toujours possibles lorsqu’elles livrent leurs origines. Dans ce contexte, la figure reste la source de la représentation, le récit demeure le fil rouge entre les imaginaires et puis, il y a d’autres étapes à ne pas manquer, Matthieu Boucherit, Abdelkader Benchamma, Jérémy Liron, Fabien Boitard et encore quelques autres qu’on me pardonnera de ne pas citer mais qui forment la chaîne visuelle de cet ensemble magistralement installé.
Pour revenir sur une impression première, la salle dont le mur du fond est courbe pose de sérieux problèmes d’accrochage, pourtant ils sont effacés par la présence des œuvres de Sergey Kononov, Kriki, et Brandon Lipchik. Toiles de format quasi identiques, leurs lignes de composition se font écho. Le jeu de lumières et de lignes est organisé selon des espaces de profondeur dans Light au centre, puis latéralement, d’abord à gauche, ce Cuba, qui serait étouffant dans l’espace réel, semble dilater les murs de la pièce représentée par sa situation dans l’espace d’exposition. Enfin, cette vue en plongée de Swings évoque jusqu’à la perspective de l’Ecole de Tosa aussi bien par les lignes de séparation que par la douceur des tons.
Cette exposition montre une scénographie qui permet à la peinture de se dévoiler, de déployer ses espaces, non contraints par les bords. C’est aussi l’opportunité de découvrir de nombreuses pratiques confrontées à la fois à la différence historique, technologique et au grand écart que provoquent les coups de cœur. Et si on se demandait comment ce « village de peintures » fait si bonne figure, c’est que les œuvres n’y sont pas en pays inconnu.
Contact> Mythologies contemporaines, jusqu’au 23 juillet 2023, Casa Restany, ancienne chapelle de l’Hôpital des Armées, parc de l’Hôpital thermal des armées, 66110 Amélie-les Bains-Palalda. Exposition ouverte du mercredi au dimanche, de 14 h à 18h.
Image d’ouverture> Vue de l’exposition Mythologies contemporaines. ©Photo Vincent Noiret