Montrer, éditer, publier, diffuser est le credo de Corridor Eléphant qui, chaque année, sort une douzaine d’ouvrages et met en ligne plus de cent cinquante expositions. Une fois par mois, ArtsHebdoMédias vous invite à entrer dans un univers auquel notre partenaire a consacré une exposition ou un livre. En novembre, nous vous proposons de vous laisser emporter par Sérénité de Paul Menville. Interview.
Découvrir le travail de Paul Menville, c’est tourner la page de l’effervescence du monde et laisser une forme de quiétude prendre place. Ici, tout dit l’évanescence de l’instant autant que sa réalité. D’une page à l’autre, s’installe la certitude d’avoir croisé, ou vécu, un des temps figés par le photographe. Le cadrage amène le regard à caresser l’émotion arrêtée, là où l’équilibre de l’image ne fait que renforcer la véracité de la scène. Ses couleurs sont celles du souvenir, des pastels que l’on pensait propres à la peinture, et pourtant.
Corridor Eléphant. – Pourquoi la photographie ?
Paul Menville. – Dans mes jeunes années, il m’arrivait souvent d’aller voir la mer en pleine nuit. Nous restions là, muets, couchés dans le creux de la dune, face à l’océan, attendant le spectacle du lever du jour. Je n’avais que mes yeux pour cadrer des images imaginaires, mais je pense que c’est là qu’est née mon envie de photographier. Je pratique la photographie pour mon plaisir. C’est un moyen de m’exprimer, de communiquer des émotions, de me raconter aussi parfois. J’ai d’ailleurs toujours séparé mon travail de photographe de mes activités professionnelles dans les domaines du cinéma et de la vidéo. Au cinéma, il faut dépenser une énergie folle pour convaincre de nombreuses personnes de vous donner les moyens de réaliser votre film. En photographie, personne ne me demande rien. Seul, avec un appareil photo, je bénéficie d’une totale liberté de création. C’est ce que j’apprécie.
Que raconte votre livre ?
La série Sérénité illustre ces moments où le tumulte de la vie quotidienne s’arrête, où nous trouvons le calme à l’intérieur duquel la notion de temps n’existe plus. Des instants de vie précieux que nous recherchons tous, car ils nous sont nécessaires. Chacun se les procure à sa façon. Ceux qui réussissent à faire de ces instants fugaces une réalité durable se rapprochent d’une certaine forme de liberté.
Comment travaillez-vous vos thèmes ?
Lors de la prise de vue, je sais que ma photo trouvera sa place dans un thème que j’ai en tête ou que j’ai déjà commencé à traiter. J’exploite au maximum les lieux, le décor et les personnages éventuels. Cela me donne de la matière pour construire en postproduction, une suite d’images dont émergera mon intention narrative. Les séries que je crée s’apparentent parfois à des nouvelles en littérature. Ce peut être aussi une façon de restituer une atmosphère, un univers, l’émotion d’un instant, à travers ma vision et mon ressenti pour conserver la vérité du moment. Reste au spectateur à entrer dans la narration, à sa manière, par son propre imaginaire.
Que souhaitez-vous transmettre ?
Je photographie mon quotidien parfois jusqu’à l’intime… Ce sont des instants de vie que j’ai rangés dans ma « mémoire photographique » pour leur intérêt visuel et émotionnel. À travers cela, je pose un regard sur ce qui m’entoure. Alors cette photographie peut aussi devenir un témoignage de l’air du temps, un instantané de ce que nous vivons… J’ai commencé à photographier sur les plages rectilignes et sans fin de l’Afrique occidentale… Depuis, je n’ai plus cessé. Ma photographie est une photographie de l’existence, celle qui nous file entre les doigts comme le sable des plages d’Afrique ou d’ailleurs.
La part de postproduction est-elle importante dans votre travail ?
La postproduction est évidemment très importante pour moi. La photo qui sort de l’appareil est rarement l’image attendue. C’était déjà le cas en argentique, où il fallait passer des heures à faire des essais, à masquer le négatif sous l’agrandisseur. En postproduction numérique, tout d’abord, je corrige les éventuelles petites erreurs. Ensuite, j’utilise les outils informatiques, pour prolonger le processus créatif sur les images. J’essaie de faire en sorte qu’il soit le plus subtil possible, qu’il ne trahisse pas l’intention du thème mais qu’au contraire il la renforce. Lors de la prise de vue, je donne beaucoup d’importance au cadrage, à la lumière, à l’aspect esthétique de l’image. C’est ce que je continue à travailler en postproduction, plus ou moins selon les images, par pur plaisir artistique.
Site de Corridor Éléphant. Site de l’artiste.
Image d’ouverture> Série Sérénité. ©Paul Menville, courtesy de l’artiste