Les hypothèses de Fabrice Hyber

La Fondation Cartier pour l’art contemporain accueille jusqu’au 30 avril la peinture de Fabrice Hyber. A Paris, La Vallée réunit une soixantaine de toiles, dont une vingtaine réalisée spécialement pour l’occasion. Pensée comme une « école ouverte à toutes les hypothèses », l’exposition invite le visiteur à traverser différentes salles de classe selon un parcours qui suit les méandres de la pensée de l’artiste.

Si vous avez oublié l’ambiance d’une salle de classe ou que vous souhaitiez la prolonger, la Fondation Cartier ouvre ses portes à l’expérience, en recevant Fabrice Hyber. Bien connu du grand public avec ses petits hommes verts, croisés encore en 2022 dans la fontaine du Palais Royal, l’artiste ne célèbre pas cette fois leurs trente ans mais leur enfance s’il est possible de les impliquer ainsi.
Cette exposition, intitulée La Vallée, est divisée en salles de classe, chaque classe est censée « instruire » le public, livrer un message. L’artiste est assidu à mobiliser ses « élèves » sur le rapport au paysage, en évoquant la vallée dans laquelle il a grandi, devenue un point de ressourcement pour son travail. Particulièrement attaché à la figure de l’arbre, élément emblématique de ses recherches, il nous invite à réfléchir comment repenser notre monde qui vénéra puis négligea la nature. Pour cet artiste le mot n’est pas vain. Il s’associe en effet aux problématiques actuelles de sauvegarde de la nature en conservant la même logique qu’il avait mise en œuvre en 1999 avec le groupe Félix Potin (devenu Spar). Chaque client de ces supermarchés pouvait acquérir une « œuvre » de Fabrice Hyber, soit un paquet de graines à semer symbolisées par un pois vert transformé en magnet de frigo, et la repro des projets liés à cette ambition de plantation.  La Vallée montre qu’il a tenu parole en semant réellement toute une forêt à partir de laquelle tirer des enseignements.

Vue de l’exposition La Vallée, à Paris. ©Fabrice Hyber, photo Luc Boegly, courtesy Fondation Cartier pour l’art contemporain et l’artiste

Les classes sont reconstituées à l’image de la réalité, fenêtres hautes, lumière un peu blafarde, les tableaux affichent leurs leçons, et faut-il qu’elles soient intéressantes pour ne pas plonger doucement dans la torpeur nostalgique que révèle le brouhaha de la mémoire ! Hyber nous secoue à chaque leçon, l’univers de La Vallée est un monde scientifique vu et revu, où les arbres prennent racine et ont la légèreté des plantes qui pourraient pousser directement des papiers millimétrés ! Depuis La Greffe (2011), MITman (2007), L’Homme de terre (2010) ou L’arbre rouge (2021), son œuvre pointe de façon critique les formes invasives de la modernité, comme on les retrouve cristallisées dans Confort Moderne (2022). Cette œuvre représente un treillis de cubes dessinés les uns attachés aux autres dans un enchaînement quasi automatique de type marathon, tonton Jules, Jules César…, non sans rappeler aussi nos croquis de téléphone. Ces cubes tracent un filet sur la toile, et quelques-uns d’entre eux, tracés en rouge, sont captifs, groupés en « village » ou en échantillon. Ce regroupement rouge et singulier agit comme une alerte, une forme contradictoire de l’arborescence ou de sa finitude. Ultime leçon que celle du risque contenu dans nos modes de communication sans issue, modes d’exclusion, de soumission tentaculaire à toute technologie nouvelle, au point que celle-ci finirait peut-être par nous englober…  L’entreprise est réussie, la prise de conscience se fait en écho à une autre œuvre dont l’écriture au bas droit du tableau mentionne un double message : « Racines de réseaux », le deuxième : « Libérez-vous des réseaux ». Selon un autre sens de lecture, leur placement graphique sur la toile peut être lu aussi de cette manière : « Libérez-vous, Racines, des réseaux de réseaux », l’injonction y serait clairement faite y compris à la nature ! Ce qui ne surprendra personne qui aura pris le temps, dès l’entrée de l’exposition, de suivre les préconisations du maître ! Fabrice Hyber, en effet, accueille le visiteur par un discours de « maître d’école ».

Vue de l’exposition La Vallée, à Paris. ©Fabrice Hyber, photo Luc Boegly, courtesy Fondation Cartier pour l’art contemporain et l’artiste

Créateur des POF, prototypes d’objets en fonctionnement, qui auraient été attendus dans cette exposition, et nous pensons tous à la fameuse balançoire inutilisable, Fabrice Hyber propose une intervention plus spectaculaire, des trous dans les murs, en formes de figures géométriques, passant presque inaperçues, dont la rigueur de découpe et leur soulignement créent une perspective, assimilable à une métaphore de géométrie dans l’espace. Elle évoque aussi les formes jeux d’enfants consistant à faire passer dans un trou le bon cube ou autre petit volume. Cette conception très réfléchie établit un réel contraste avec le graphisme de ses peintures. Sa manière de peindre est spontanée et semblerait presque primesautière si l’ensemble de sa réflexion ne pesait dans son geste. Il sature la surface avec des traits, des écritures, des taches mais jamais avec des aplats ou exceptionnellement, il répète ses mises en place croquées non sur le vif mais extraites d’un foisonnement issu de son nouveau monde.

Vue de l’exposition La Vallée, à Paris. ©Fabrice Hyber, photo Luc Boegly, courtesy Fondation Cartier pour l’art contemporain et l’artiste

Il semble nous dire : voilà ce qu’il faut faire, s’instruire, vivre avec la nature, en osmose avec elle, peut-être jusqu’à ce que des poissons poussent dans les arbres… à l’image de la fantaisie de ses dessins ! L’ordonnancement de l’expo permet de constants allers/retours entre nature/culture, innocence/maturité, intérieur/extérieur. Une salle instaure un passage entre intérieur et extérieur, nous interpelle autant qu’elle nous qualifie, nous faisons corps avec ces troncs verts peints sur les toiles tout autant qu’avec l’environnement car nous sommes pris dans un point de vue de l’exposition, initié par les personnages collés sur la façade de la fondation, paraissant habiter les arbres du jardin, et les troncs vert acide sur les toiles au sein de l’exposition. Ils dévoilent une relation des troncs verticaux intérieurs avec ceux que laissent entrevoir les arbres réels de l’autre côté de la fenêtre. Connivence, à moins que la somme des réseaux n’ait produit à son insu un homme artificiel !
En présentant cette exposition qui précise la pensée de Fabrice Hyber, la Fondation Cartier donne la dimension de la productivité de l’artiste, plus proche cependant du monde de la réalité que de celui de ses aspirations vertueuses car l’enjeu semble aussi être un jeu entre le contexte social et le rôle de l’art, le spectateur acquérant de cette façon le statut d’apprenant.
« J’ai toujours considéré que mes peintures étaient comme des tableaux de classe, ceux sur lesquels nous avons appris à décortiquer nos savoirs par l’intermédiaire d’enseignants ou de chercheurs. On y propose d’autres mondes, des projets possibles ou impossibles. Dans cette exposition, j’ai choisi d’installer des œuvres à la place de tableaux d’une possible école », nous dit Hyber, le pari est décidément réussi.

Vue de l’exposition La Vallée, à Paris. ©Fabrice Hyber, photo Luc Boegly, courtesy Fondation Cartier pour l’art contemporain et l’artiste

Contact> Fabrice Hyber-La Vallée, jusqu’au 30 avril, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, boulevard Raspail 75014 Paris. Site de l’artiste.

Image d’ouverture> Vue de l’exposition La Vallée, à Paris. ©Fabrice Hyber, photo Luc Boegly, courtesy Fondation Cartier pour l’art contemporain et l’artiste