Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC+) fait sa rentrée en fanfare avec une exposition labellisée d’intérêt national consacrée au sculpteur américain Robert Morris (1931-2018), The Perceiving Body/Le corps perceptif, la poursuite de Maurice Allemand ou comment l’art moderne vint à Saint-Etienne, qui propose de (re)découvrir 200 œuvres de la collection, et prochainement l’inauguration d’Après l’école, Biennale artpress des jeunes artistes, orchestrée par l’institution, la revue d’art et l’Ecole supérieure d’art et design de Saint-Etienne (Esadse). Avant la période de confinement, ArtsHebdoMédias avait visité Entrare nell’opera/Entrer dans l’œuvre, qui s’attachait aux actions performatives de l’Arte Povera. Mais la durée de l’événement a été écourtée par la crise sanitaire provoquée par la Covid-19. Raison pour laquelle vous proposons un retour vers le passé express sans oublier, bien entendu, les actualités du MAMC+.
Inauguré en 1987, le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole (MAMC+) fut l’un des premiers musées d’art contemporain créés hors de Paris. Responsable de près de 20 000 œuvres – une majorité datant du XXe siècle, mais aussi des pièces d’art ancien, de design et des photographies –, le musée s’attache à remplir sa mission : conserver, montrer, transmettre. Mission impulsée, depuis octobre 2017, par Aurélie Voltz, sa directrice, qui chaque année propose une programmation riche et originale mettant notamment en valeur les collections du MAMC+. Une gageure quand on sait que ces dernières démarrent au XVe siècle et que les ensembles sont loin d’être homogènes. Peu connue du grand public, cette particularité oblige sans cesse à innover pour permettre aux œuvres de toutes les époques de converser entre elles. Un objectif qui fut, entre autres, illustré par Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, exposition à la lecture thématique qui balayait les différents moments de la journée, depuis le réveil jusqu’à la nuit et les rêves. Y étaient exposées tant des œuvres des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, que des pièces contemporaines. « L’histoire de l’art est une très grande histoire où beaucoup de choses se rencontrent et peuvent dialoguer d’un siècle à l’autre, d’un artiste à l’autre, d’un territoire à l’autre, d’une technique à l’autre. J’y crois énormément », commente Aurélie Voltz.
Dans cette veine, le MAMC+ présente actuellement Maurice Allemand ou comment l’art moderne vint à Saint-Etienne, dont le parcours chronologique suit pas à pas les transformations opérées au musée par celui qui en fut le directeur de 1947 à 1966 et était convaincu de la mission pédagogique de son établissement. Plus de 200 œuvres, dont la moitié n’a pas été présentée depuis une vingtaine d’années, témoignent de son action. « Maurice Allemand s’entoure des plus grands artistes, galeristes et collectionneurs de son temps. Leurs dons et les achats faits auprès d’eux transforment les collections. Ils posent les bases des développements futurs et font toute l’originalité du lieu : peu d’autres musées français pourraient se flatter d’avoir acquis un grand mobile de Calder en 1955, une Composition abstraite d’Aurélie Nemours en 1959 ou une œuvre d’Enrico Baj en 1964. Le génie de Maurice Allemand aura été de savoir créer une géographie d’amitiés et un horizon d’enthousiasme », écrit Cécile Bargues, historienne de l’art et commissaire de l’exposition. Aujourd’hui, l’institution accueille chaque année près de 65 000 visiteurs. En 2018, 40 % d’entre eux avaient moins de 25 ans, 71 % venaient du département de la Loire et 39 % d’ailleurs en France et à l’étranger. Signes que la mission se poursuit ardemment.
L’autre axe important de développement de la programmation du MAMC+ s’intéresse à des figures ou des mouvements des XXe et XXIe siècles, comme Pierre Buraglio ou l’Arte Povera, mais aussi à la scène artistique émergente comme avec Firenze Lai. Ici, pas de projets convenus, uniquement des propositions inédites longuement travaillées, parfois en coproduction, comme ce fut le cas pour Entrare nell’opera, une exploration en profondeur de la dimension performative de l’Arte Povera. En collaboration avec le Kunstmuseum Liechtenstein, l’exposition a profité d’une dizaine d’œuvres appartenant à la collection du musée et est entrée en résonance avec d’autres de Supports/Surfaces ; deux mouvements émanant de géographies différentes, mais opérant à la même époque et montrant des préoccupations communes, tant politiques que sociétales. Une centaine d’œuvres emblématiques, quelque 300 archives photographiques et filmiques, mettaient en évidence le rôle crucial de la participation du public dans l’œuvre. Si Entrare nell’opera a fermé ses portes, il est encore possible de s’en procurer le catalogue. Une somme sur la question. Autre collaboration, mais cette fois avec le MUDAM à Luxembourg, Robert Morris : The Perceiving Body/Le corps perceptif. Actuellement à l’affiche, l’exposition est consacrée aux travaux de l’artiste américain (1931-2018) datant du début des années 1960 à la fin des années 1970, des pièces considérées aujourd’hui comme des œuvres canoniques d’art minimal et post-minimal.
Mais n’oublions pas le Prix des partenaires, qui vient mettre en lumière l’œuvre d’un artiste en milieu de carrière. Organisé par les mécènes du MAMC+, cette initiative permet de financer une exposition, un catalogue et l’achat de plusieurs œuvres qui rejoignent la collection. Un jury se réuni chaque année depuis 2009 autour d’artistes sélectionnés par le comité scientifique du musée, des artistes qui privilégient la pratique du dessin et dont le travail ne bénéficie pas encore d’une large visibilité. Ainsi, Alexandre Leger est le lauréat 2019 et a été invité à exposer au MAMC+ cette année. Une belle exposition monographique. L’enthousiasme pour cette œuvre naît d’emblée. Aurélie Voltz relève le regard ironique posé par l’artiste sur un monde en perdition ainsi que la façon qu’il a de croiser le mot, donc le langage, et le dessin. Au mur, les pages écrivent une histoire étrange, parfois inquiétante, parfois drôle. Les trouvailles sont nombreuses. Une grille de mots croisés est en partie recouverte de noir. Des mots en majuscules s’alignent : A, MA, HANTISE, ŒIL, GLISSE… En dessous, l’artiste dessine, dans une singulière typographie, une phrase qui les reprend et y ajoute des virgules : « A ma hantise, l’œil glisse et, vaste, s’enterre ». La pupille de ce dernier ponctue la déclaration tandis que d’autres yeux flottent dans l’espace de la feuille. Plus loin dans une vitrine, des crayons à papier ont été travaillés pour ne laisser apparaître qu’un article ou un nom de leur slogan ou marque d’origine. Disposés sous ou à côté, les uns des autres, eux aussi délivrent une sorte de rébus, de nouveau en majuscules : Alaska le typhon du siècle continental rouge suprême évolution. A la lecture, le message infuse et se diffuse en nous. La poésie et le jeu sont partout. Alexandre Leger a le talent large. Il sculpte des gommes, peint à l’aquarelle sur des fragments de céramiques, dessine sur ses cahiers et ceux des autres. Généreux, l’artiste nous offre les pensées et les images qui le hantent, sature des feuilles toujours au même format et laisse son monde lui échapper. C’est simplement beau.
Dans moins d’un mois maintenant, le MAMC+ va célébrer la jeune création de manière inédite ! Avec artpress et l’Ecole supérieure d’art et design de Saint-Etienne (Esadse), il crée Après l’école, une biennale dédiée aux jeunes artistes. Sa première édition se tiendra du 3 octobre au 22 novembre 2020 et réunira 36 plasticiens récemment diplômés des écoles supérieures d’art françaises et déjà engagés dans une carrière artistique. « Leur originalité réside dans un rapport au monde fondé sur des expériences sensibles et particulières plus que sur le traitement de sujets d’actualité ou de société. Ces expériences se manifestent dans la figure de l’artiste qui apparaît dans plusieurs séries d’autoportraits et de nombreuses performances. Elles se poursuivent dans une confrontation avec la matière qui croise autant l’usage traditionnel de la peinture, de la sculpture ou de l’assemblage que l’emploi des nouvelles technologies ou l’art des sons. Enfin, elles font confiance aux pouvoirs de l’imaginaire véhiculé par le mythe, le récit ou le rituel », détaillent les deux commissaires de l’exposition, Etienne Hatt et Romain Mathieu. Une rentrée en fanfare ? Assurément.