Laure Guilhot voit rouge

Situé en bordure du vignoble de Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier, le château Renaissance de Chareil-Cintrat abrite bien des surprises. Outre de très belles fresques murales et un original conservatoire du vin, recélant des anciens cépages de pays et quelques techniques ancestrales de culture de la vigne, il n’hésite pas à accueillir des expositions d’art contemporain, comme récemment, Rouge très rouge de Laure Guilhot. Ses broderies, sculptures textiles, installations et photographies ont habité avec force cette architecture à la magnifique simplicité. Un deuxième volet de cette exposition est en préparation.

Déployée sur les trois niveaux du château de Chareil-Cintrat, Rouge très rouge de Laure Guilhot invite le visiteur à passer d’une salle d’ombre et à une autre de lumière, oscillant entre contrainte et échappée. D’une œuvre en expansion quasi organique (L’attente) à la présence fantomatique d’éléments architecturaux (Escalier), « les pièces tentent de saisir une énergie intérieure, une pulsation, une vibration, un flux », explique l’artiste. De ces mouvements ambivalents naissent des échos entre les œuvres, mais également entre les différents espaces du bâtiment.

Escalier, 2017. ©Laure Guilhot

Artiste textile, Laure Guilhot utilise le fil, travaille le tissu, comme d’autres modèlent l’argile, et fait naître des formes à partir de matériaux récupérés ou glanés. Le lit de Bova fait écho à une installation éphémère créée en 2016, Impermanence, dont l’artiste conservait, dans l’espoir d’un nouvel « envol », les plumes qui la composaient.

Face au tableau représentant la Mort d’Adonis, dans la salle du même nom, une toile troublante reprend une photo de classe d’un temps passé. Les traits des élèves en uniforme y sont dissimulés par un exercice de broderie. La proposition s’inspire des annonces de décès publiées dans les quotidiens en Bulgarie – pays d’origine de la mère de l’artiste –, qui systématiquement associent au nom de la personne disparue son portrait. Pour Les plus nombreux, Laure Guilhot a recouvert tous les visages de fil blanc, qui se laissent deviner ou disparaissent totalement en fonction de l’endroit où le regardeur se situe.

Les plus nombreux, 2018. ©Laure Guilhot

D’autres œuvres répondent aux grotesques, qui dominent les décors peints du château, comme cette maison miniature d’où s’échappe une foultitude de formes sphériques blanches. A moins que ces dernières n’obstruent l’entrée. D’illusion d’optique en évocation étrange, de changement d’échelle en nature métamorphosée, les pièces de Laure Guilhot transportent dans un univers parallèle qui laissent l’espace et le temps respirer.

No return, 2014. ©Laure Guilhot

La visite se poursuit. D’un sommier métallique, colonisé par une matière verte, s’échappent des lianes. Se déployant sur le sol bien au-delà de la pièce, elles partent à la conquête du château, tels des rêves s’immisçant dans nos nuits. Plus loin, un escalier à échelle 1 flotte dans l’air. Transparent, en volume, il est irréel. Comme attirée par le dallage de la pièce, sa texture légère se déforme, tandis que le mouvement des marches y est inversé. Chaque proposition déclenche un imaginaire où les contes de l’enfance percutent les rouages intimes de chacun.

L’attente, 2014-2022. ©Laure Guilhot

Quid du rouge ? Me direz-vous ! Présente dans certaines pièces, cette couleur à la forte symbolique s’impose simplement, comme dans Mémoire, sculpture réalisée avec des serviettes de table et des mouchoirs anciens, ou se déploie dans Humeurs, série de subtils dessins brodés. Envisagés par l’artiste comme le résultat d’une « broderie automatique » à l’instar de l’écriture pratiquée par les surréalistes, ils sont néanmoins l’aboutissement d’une méthode et d’un temps long, provoquant là encore et à dessein le paradoxe. Pour Laure Guilhot, le rouge « a quelque chose à voir avec une puissance libératrice ». C’est probablement ce fil que Rouge très rouge 2 tirera. Nous serons-là pour le suivre.

Humeurs, série de dessins brodés, 2022. ©Laure Guilhot

Contact> Rouge très rouge – Laure Guilhot, Carte blanche au Château de Chareil-Cintrat présentée du 9 juillet au 18 septembre 2022.

Image d’ouverture> Humeurs, série de dessins brodés, 2022. ©Laure Guilhot

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