Le Centre Pompidou accueille jusqu’au 11 septembre une rétrospective de l’œuvre d’Hervé Fischer. L’artiste, philosophe et sociologue franco-canadien est l’auteur d’un corpus artistique singulier allant du dispositif participatif au Tweet art en passant par la peinture, ainsi que de nombreux ouvrages reflétant une pensée engagée à la fois philosophique, politique et économique. Ce voyage en art sociologique proposé par la commissaire d’exposition Sophie Duplaix et l’institution parisienne est l’occasion de découvrir un des artistes penseurs les plus pertinents d’aujourd’hui.
« ART. Avez-vous quelque chose à déclarer ? » Le panneau de signalisation, dessiné à même le parvis du Centre Pompidou (photo ci-dessus), interroge les passants. Il y a ceux qui le traversent nez au vent, ceux qui s’y installent pour papoter et ceux qui préfèrent l’admirer d’une des terrasses alentours. L’œuvre est sans conteste une invitation à prendre de la hauteur. C’est avec un optimisme convaincu qu’Hervé Fischer observe le monde et ses soubresauts. Depuis le début des années 1970, l’artiste-philosophe n’a eu de cesse de questionner l’art et son milieu en en dénonçant une approche trop élitiste et conventionnelle. Pour lui, l’art est une question sans cesse posée, une réflexion en permanence renouvelée, une expérience à vivre au jour le jour. S’il invite à examiner la société d’aujourd’hui, c’est pour mieux imaginer celle de demain. Pierre angulaire de l’Art sociologique, Hervé Fischer a déployé à travers l’Europe et l’Amérique de très nombreux dispositifs participatifs, sans pour autant abandonner ses préoccupations plastiques. Ciselée au fil des années, son œuvre fait actuellement l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou. Suivez le guide !
Avec Hervé Fischer, tout débute toujours par une question. Celle du parvis est l’entrée en matière de chacune de ses expositions. Ce panneau de « douane culturelle », comme il le qualifie, engage la relation avec le public. Une relation fondamentale qui inspire chacune de ses actions. Depuis le début des années 1970, l’artiste s’inscrit en faux contre toute vision élitiste de l’art. Se référant aux sociétés premières, il considère que ce dernier s’inscrit dans la vie, qu’il fait partie d’un rituel collectif. Si les avant-gardes et quelques-uns de leurs successeurs ont pu donner l’illusion que l’art est la vie, il n’en fût en réalité rien. Réservés à quelques élus, les happenings et autres performances ne touchaient et ne concernaient qu’un nombre extraordinairement restreint d’individus, souvent hors cadre et sans grande relation avec le commun des mortels. Mais laissons l’artiste raconter. « Fin des années 1960 et les années qui ont suivi, s’est développé tout un mouvement d’avant-garde contre lequel j’ai pris position, mais dont les innovations extraordinaires m’ont fait prendre conscience de la pauvreté de ma peinture qui ne faisait que reprendre des lieux communs. Je me suis donc libéré en déchirant ma production. Mais comme j’étais sociologiquement sensible, puisqu’enseignant la sociologie de l’art et de la communication à la Sorbonne, j’ai élargi le geste en proposant à 400 artistes de faire de même. Certains m’ont envoyé des œuvres à déchirer, d’autres m’ont invité dans leurs ateliers pour le faire. Je me souviens que Pierre Bettencourt m’a même proposé un marteau pour détruire une de ses fresques ! » Wolf Vostell, Raoul Hausmann, Ben, César, Arman, et beaucoup d’autres s’adonnent à l’exercice. Les œuvres, ainsi réduites à presque rien, sont alors glissées dans des sachets hygiéniques et exposées dans ce simple appareil. C’est d’ailleurs ainsi que les visiteurs du Centre Pompidou les découvrent. Du moins quelque 300 d’entre elles, alignées sur un immense mur blanc. « La table rase qui m’a permis de tracer un chemin bien à moi. »
L’exposition se poursuit avec un espace intitulé l’« Hygiène de l’art ». Encore un panneau. « DEFENSE D’ART-FISCHER » écrit en rouge sur fond blanc et sous-titré notamment : « Campagne prophylactique 1972 ». Le message est clair. Il faut absolument préserver l’art de tout ce qui pourrait lui nuire. Le conditionnement, les faiseurs, les égocentriques et l’appât du gain. Le processus de guérison passe alors par la démystification de la peinture. L’artiste décide d’utiliser le principe de l’essuie-main des cafés parisiens, tout en remplaçant le morceau de tissu par une toile – puis, plus tard, un pan de plastique – sur laquelle il détoure de nombreuses fois sa main gauche avec de la peinture. L’homme est droitier. Un travail qui n’est pas sans rappeler les recherches de Joseph Kosuth sur les objets courants, leurs représentations et la mise en concept de leurs relations, exprimées dès 1965 avec des chaises (One and Three Chairs). Une référence qu’Hervé Fischer énonce spontanément, comme celle de Supports/Surfaces, lorsqu’il évoque l’utilisation faite un peu plus tard des toiles libres sur lesquelles il appose de nouveau des empreintes de main. Plus proche de celles des hommes préhistoriques que des gestes de l’avant-garde. Une notion dont il explique s’être méfié d’emblée. « C’était encore une coupure avec la société et le large public. » Les premières couleurs choisies sont celles de la République française. Auxquelles il adjoint rapidement l’orange, le vert… et avec lesquelles il cesse d’aligner les motifs comme à la parade pour leur offrir plus de liberté. Les compositions sont alors plus joyeuses, plus confuses aussi. Les mains, parfois tronquées, viennent rappeler la violence. « Bonheur et souffrance, la société est en proie aux deux. » Le geste qui commente l’histoire de l’art prend désormais une signification sociologique.
La visite se poursuit. Un ensemble de documents d’archives témoignent d’une intense période de réflexion partagée. « A l’époque, j’avais pu acheter un entrepôt situé boulevard de Charonne. Après diverses transformations, notamment la construction d’une maison, j’ai créé avec Fred Forest et Jean-Paul Thénot – les autres membres du collectif d’art sociologique fondé en 1974 –, l’Ecole sociologique interrogative que nous avons animée ensemble durant plusieurs années. » Installée dans la cave sommairement aménagée, l’école voit passer, s’installer, partir et revenir de très nombreuses personnalités. Etudiants, professeurs, artistes, experts en art comme amateurs, mais aussi quidam, viennent y débattre. Ils arrivent de Paris, de province et aussi de l’étranger. Le bouche-à-oreille fonctionne à plein. Le lieu est accueillant pourvu qu’on souhaite y échanger des points de vue. Discussions, tables rondes, expositions et performances se succèdent. Sur les photos, l’œil attentif reconnaît Paul Virilio, Michel Ragon, Gilbert Lascault, Alain Snyers ou Luc Ferrari. Une affiche annonce les futures interventions de Pierre Restany et de Balbino Giner. L’expérience est plurielle et mémorable.
Cette première partie des années 1970 est aussi ponctuée de diverses démarches d’art sociologique. Parmi elles, citons La Pharmacie Fischer. Cette performance, créée en 1972 et renouvelée régulièrement jusqu’à cette rétrospective au Centre Pompidou, est à la fois caractéristique et emblématique du travail de l’artiste. Que voit-on ? Deux chaises en vis-à-vis de chaque côté d’une table. Une blouse blanche accrochée à une patère. Une armoire remplie de boîtes à pilules. Et quelques photos et papiers souvenirs. Une fois la blouse enfilée, l’artiste-pharmacien s’installe sur une des chaises et invite un visiteur-patient à en faire autant sur l’autre. Le premier demande au second s’il a des problèmes. Un dialogue s’instaure. « La conversation peut devenir très intime. Les problèmes évoqués sont de diverses natures. Santé, amour, travail, parfois les trois en même temps. Selon que la pharmacie est installée sur la place de la République à São Paulo ou bien celle de la cathédrale à Milan, ou encore dans un village d’Allemagne, les expériences sociologiques sont complètement différentes mais à chaque fois passionnantes. Peu importe qu’ils soient entendus par d’autres, voire filmés, les gens parlent. C’est à chaque fois l’exploration de singulières planètes. » Et l’artiste d’affirmer que si l’art sociologique apparaît comme une démarche collective, il est aussi une expérience personnelle, une thérapie qui naît de la confrontation avec la société, avec les autres. Une fois la discussion à sa fin, l’artiste établit une prescription signée et tamponnée. Accompagnée bien entendu d’une… boîte de pilules ! Il y a celles qui luttent contre la pollution au plomb ou le destin, qui aident à changer le monde, à s’indigner, à ralentir le temps ou à attirer le bonheur. Dans les petits sachets se pressent de fines billes qu’il ne faut pas avaler. « C’est important qu’elles soient en plastique. Cette matière manipulable et modifiable, complètement artificielle. Dans un Tweet Art j’écris que le monde est devenu plastique. C’est à double sens évidemment. »
Non loin, utilisant une mise en scène similaire, l’artiste en blouse grise est devenu bureaucrate et pose deux questions l’une à la suite de l’autre : « Qui penses-tu être ? Qui voudrais-tu être ? ». Au Bureau d’identité imaginaire, qualifié à l’origine d’utopique, le visiteur ne sait pas toujours qui il est, mais ne tarit jamais quand il s’agit d’expliquer qui il souhaiterait être. Celle qui aimerait devenir star de variété se met à chanter. La surprise est presque toujours au rendez-vous. L’expérience se poursuit et se transforme en 1981 à Montréal. Alors qu’une rétrospective de son œuvre vient d’être présentée au Musée d’art contemporain de la ville, Hervé Fischer obtient une page dans un quotidien où il inscrit les deux mêmes questions séparées par un trait. 8 000 réponses parviennent alors au journal. « J’en ai confié des piles à des poètes, sociologues, politologues, psychanalystes, écrivains… pour que chacun d’entre eux les analyse et écrive un texte. Puis, tous ces écrits ont été réunis dans un livre que j’ai appelé L’oiseau-chat, parce que j’avais découvert que les gens s’identifiaient très souvent à l’un ou à l’autre de ces animaux. Ce titre était une manière de passer de l’individuel à la personnalité de base collective. »
En 1979, au Centre Pompidou, Hervé Fischer déclare que l’histoire de l’art est terminée. Une performance qu’il renouvellera dans une salle d’attente de la gare terminus des Brotteaux, à Lyon. L’artiste disserte sur la capacité de l’avant-garde à se poursuivre. Le serpent se mord la queue. Qui va succéder à la Trans-avant-garde ? « Je n’ai jamais dit que l’art était fini. J’ai affirmé que le transformer en production historisante avec un grand H inventant chaque jour un truc nouveau ne pouvait mener nulle part. Il fallait que l’artiste retrouve sa liberté, qu’il cesse de penser être en train d’accomplir l’Histoire hégélienne de l’art. Depuis cette époque-là, plus aucun mouvement ne s’est imposé comme moteur principal. L’art se crée tous azimuts. » En 1982, l’artiste, invité à Mexico au congrès mondial de sociologie avec la délégation québécoise, part chercher des réponses dans la rue. Il interroge les passants : « Qu’est-ce que la société ? ». Si l’initiative n’est pas du goût de tout le monde, elle attire l’attention de la directrice du Musée d’art moderne de ville, Helen Escobedo, qui l’invite à investir l’institution l’année suivante. Les œuvres habituellement exposées sont alors installées dans les réserves et l’ensemble des espaces offerts au public pour qu’il donne son avis sur différents sujets politiques comme sociétaux. Au total, 10 000 personnes s’expriment librement sur les cimaises. Un grand débat éclate entre les élites. La fonction du musée dans la société est interrogée quotidiennement dans les médias. Le retentissement est immense. L’expérience, qui dure six mois, vampirise l’artiste qui pense être allé au bout de sa démarche d’art sociologique.
Entrons donc dans le deuxième espace de la rétrospective. Il est consacré aux utopies numériques. C’est le début des années 1980, Hervé Fischer est désormais installé au Québec et commence à s’intéresser aux ordinateurs. En 1984, il participe au projet littéraire Marco Polo sous le parrainage d’Umberto Eco et d’Italo Calvino. Pendant douze jours, huit écrivains francophones tissent quotidiennement un récit à la manière d’un cadavre exquis. Pour coordonner la « manœuvre », il est équipé du premier Mac. L’expérience amorce un intérêt pour la culture numérique. Dès l’année suivante, il crée, avec la Québécoise Ginette Major, la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal. Un travail de pionniers qui les amène à exposer tout ce que l’art numérique produit de meilleur aux Etats-Unis, au Japon, comme en Europe, voire en Chine et même dans certains pays d’Afrique. « J’étais aux premières loges pour comprendre ce qui se passait. J’ai moi-même fait un certain nombre d’essais. Mais finalement, la performance technologique ne m’apportait rien. Le numérique ne se prêtait pas facilement au travail interrogatif et critique qui était le mien. » Cependant convaincu que le monde est en train de devenir numérique, l’artiste décide de prendre la distance nécessaire à la réflexion. Il reprend ses pinceaux pour penser la prolifération des codes.
En l’espace d’une seconde, la planète se recouvre de codes-barres plus qu’elle n’a jamais porté de crucifix en deux mille ans. Le raccourci numérique devient l’emblème d’une société de consommation, de la gestion et de la surveillance. Les toiles affichent le symbole rayé dans tous ses états. En couleurs, saturant l’espace ou posé là comme une étiquette, il s’expose au grand jour et au musée. « Je ne veux pas démoniser. Je questionne simplement. Le numérique possède des vertus magiques très séduisantes, mais également des effets pervers qu’il faut connaître. Il est un outil de contrôle généralisé dans une société de consommation. Je reprends l’exercice de la nature morte en mettant des codes-barres en lieu et place des pommes et de la nappe ! » En vis-à-vis de cette série, s’affichent des paysages financiers, paraboles graphiques d’un monde économique en butte à la spéculation. « Le ciel n’est plus ni romantique, ni littéraire, ni lyrique », affirme tout à coup le peintre qui le décrit comme un espace de compétition. Pour illustrer son propos, façon Cézanne face à la montagne Sainte-Victoire, il appose sur une même toile les variations boursières d’Airbus et de Boeing entre 1974 et 1999. Le monde a changé, il s’est transformé en chiffres, en quantités mesurables. La géométrie a cédé le pas. « Nous ne sommes plus dans un monde géométrique, mais de lignes brisées, de quantités qui varient. C’est structurellement une nouvelle matrice. Le rôle de l’artiste est de percevoir toutes ces choses, de les explorer puis de les exposer. » Hervé Fischer est engagé et critique. Il ne s’épargne aucun sujet.
Un panneau indique « Market Art ». Si l’expression est le titre d’un de ses ouvrages récents c’est que le philosophe suit de près l’artiste et inversement. « L’art est devenu un produit financier que créent et manipulent des princes de la finance, collectionneurs de suppléments d’âme et de millions. Il est paradoxal qu’ils paient des sommes colossales, jamais vues, pour un art actuel dont l’opinion publique dénonce la “nullité affligeante” », écrit-il. Au mur, des toiles affichent le prix en dollars canadiens auquel elles ont été achetées à l’artiste pour que dans un siècle ou deux leurs nouveaux détenteurs puissent d’un seul coup d’œil évaluer la plus-value réalisée. Ou pas. Plus loin, Hervé Fischer nous assure que la météo de Wall Street est aujourd’hui plus importante que les variations de la pression atmosphérique ! Un autre tableau met en exergue des mots entendus lors d’une des signatures de l’ouvrage Market Art. Alors qu’ils étaient prononcés avec conviction, tous gonflés de leur importance, les voilà qui se mélangent et s’anéantissent dans le brouhaha social contemporain.
Si le monde est devenu calculable, mesurable, il en va forcément de même pour la nature. « Je voudrais mettre en évidence les structures numériques du monde actuel, comme Mondrian et le minimal art ont célébré la géométrie du monde moderne. Quand la technoscience est asservie aux ordinateurs, c’est une nouvelle cosmogonie qui naît. La nature est devenue numérique, écologique et politique. Aujourd’hui Monet ne peindrait plus les nymphéas, mais les variations des trous d’ozone de notre atmosphère, les amas de poussière de nos galaxies, les lumières résiduelles du Big bang, les colonnes de pixels impressionnistes de nos images scientifiques de température des océans, de densité du plancton, de radioactivité de nos nuages : des paysages de la nature planétaire », écrit-il encore. Difficile de l’ignorer : sous le calme olympien affiché, l’artiste couve sans cesse une tempête. Et le voilà pointant du doigt une connaissance devenue instrumentale, ainsi que l’abandon de la représentation animiste et providentielle de la nature. Dans ce nouveau monde, même les couleurs ont changé. Elles sont devenues fausses couleurs codées pour la lisibilité des données chiffrée. Saturées, elles permettent de représenter des paysages du fin fond de l’univers, comme des phénomènes microscopiques. Elles donnent à l’œil de voir là où personne n’a jamais vu. « Voilà le nouveau paysagisme actuel, numérique, planétaire, quantitatif, politique que j’explore. »
En toute logique, Hervé Fischer pose alors la question : « Comment se construit une société ? » Et passe à l’analyse. Il explique combien les imaginaires collectifs déterminent les valeurs et les structures sociales. Affirme que nous vivons avec autant de mythes que les Grecs anciens. Souligne que la démocratie, la liberté et le progrès sont ceux d’aujourd’hui. Aux cimaises, des toiles illustrent diverses facettes de cette mythanalyse qu’il définit comme explorant « les fabulations qui déterminent nos inconscients, nos logiques, nos valeurs, nos espoirs et nos craintes selon leurs déclinaisons sociologiques ». L’artiste montre en autant de tableaux évocateurs comment nous développons nos facultés à inventer des récits imaginaires et fondateurs. Nous y voyons un fœtus se transformer en papillon et rejoindre le cloud. Tous les stades de l’évolution y passent : du chaos de l’accouchement à l’adolescence, en passant par les longues heures de frustration du jeune enfant encore incapable de marcher. Hervé Fischer cherche à mettre en images la naissance de la conscience chez l’être humain dans une réflexion qui l’emporte tantôt vers l’animal-machine de Descartes, tantôt vers la création d’Adam et Eve. Eve presque nue fait face à l’antique Pandore. La première tient deux pommes, la seconde une seule et dans l’autre main la fameuse boîte. Ces deux allégories de la conscience vouées aux gémonies par tant et tant de générations sont ici célébrées comme les deux femmes ayant créé la conscience humaine. Les mythes peuvent changer de sens, explique encore l’artiste. Certains disparaissent et laissent la place à d’autres. « Le mythe du progrès n’existait pas chez les Grecs, par exemple. Naturellement, mes petits enfants adorent Transformers parce que c’est une histoire de héros, de titans. Les jeux vidéo comme la science-fiction utilisent des figures mythologiques tout autant qu’il y en avait chez les Grecs ou les Incas. »
La dernière salle de l’exposition est consacrée à la question sociologique essentielle : « Quelle société voulons-nous ? » Hervé Fischer y présente ses créations les plus récentes. A droite, plusieurs écrans témoignent de son activité de Tweet Art et incitent les visiteurs à répondre à la question en envoyant 140 caractères maximum par Twitter : #conscienceaugmentée. Cadeau offert par les nouvelles technologies et le développement des réseaux sociaux. « Cette conscience qui devient planétaire est un progrès considérable, beaucoup plus important que l’invention de la réalité augmentée. Etre au courant de tout, en temps réel, est bien entendu très perturbant. Il n’est plus guère possible de vivre sans se soucier de rien dans son petit coin tranquille. Cette conscience augmentée suscite des émotions, des indignations, des solidarités à l’échelle de la planète. C’est un changement anthropologique très important. Avec cette conscience augmentée vient l’éthique planétaire. » Dans cet espace intitulé « Art On Air » l’artiste nous invite donc une fois encore à la réflexion. Un mini dirigeable, témoin d’un projet plus volumineux laissé de côté pour l’instant, affiche en lettres blanches sur fond bleu l’urgence de la pensée. Il faut répondre aux crises actuelles, tant humanitaires qu’économiques, écologiques ou politiques, avec imagination et volonté. « Le Sisyphe d’aujourd’hui est celui qui croit au progrès, qui chaque jour gravit la pente et recommence le lendemain. Il est résilient. Moi qui croit aussi au progrès, je sais bien que le monde va mal, mais je continue de croire qu’il faut l’améliorer. » L’écran Tweet Art affiche alors un message signé Ruth Lafeuille : « Je souhaite vivre dans une société humaniste ». Plus de 30 ans après Mexico, la proposition fait toujours des adeptes. Sur le mur d’en face, une série de QR codes peints délivrent leurs messages aux heureux détenteurs d’un smartphone. « Si nous ne croyons pas en l’homme, il n’y a pas de solution » affiche le petit écran tactile. En incitant ainsi le public à une interaction simple, Hervé Fischer lui donne une place au cœur de son œuvre. « J’aime Ethan », nous révèle un autre labyrinthe numérique. « Ethan est un de mes petits-fils dont la mère est africaine. » L’artiste humanise la technologie par des prises de position empathiques, affectives, positives. Peu importe le médium, pourvu qu’il y ait un message. Ainsi la visite se termine sur le sourire d’un enfant et celui de son aîné. « Cette exposition, c’est ma vie », glisse l’artiste. Emu et heureux.