A la croisée de l’art brut et de l’art contemporain, Michel Nedjar (né en 1947) ne cesse de tracer son chemin, toujours en quête de lui-même, animé par la rencontre de l’autre. A Villeneuve d’Ascq, plus de 350 œuvres témoignent de son parcours aux multiples visages dans une exposition poignante, qui tient autant du portrait intime que du récit existentiel.
Michel Nedjar est un peu chez lui au LaM, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Villeneuve d’Ascq (dans le Nord). Il fut en effet, dans les années 1970, l’un des co-fondateurs de l’association l’Aracine qui fit don au musée de son exceptionnelle collection d’art brut en 1999. Cette exposition, aussi riche que fascinante, est le juste prolongement d’une belle aventure humaine et artistique. C’est aussi la première exposition muséale d’une telle envergure pour cet artiste autodidacte et prolifique. Sous le joli titre d’Introspective, elle témoigne d’un parcours pétri de souvenirs d’enfance, de rencontres et de voyages, de passions, pour l’art primitif notamment, et de douleurs. Où l’intime et la création sont inextricablement liés. « Toute mon œuvre est tramée par mes vies amoureuses, mon existence intérieure », dit-il.
De chair et d’âme
Elles sont là. La première poupée, bricolée avec la jambe cassée d’un baigneur de sa sœur ; la première peinture, hantée par la Shoah découverte adolescent avec le film Nuit et brouillard d’Alain Resnais. Prémices d’une quête qui mène Michel Nedjar aux portes de l’art brut. La découverte d’Aloïse Corbaz, à la fin des années 1960, agit comme un révélateur. « Je me suis dit : si c’est considéré comme de l’art, alors tout est possible. Cela a été comme une ouverture, ma vision du monde a complètement changé. »
La poupée est le fil conducteur de l’œuvre de Michel Nedjar. Faite de bric et broc, de pacotilles et de matériaux récupérés, de tissus détournés, triturés. « Le tissu est dans mes gènes, dans mon ADN », raconte ce fils de tailleur, petit-fils d’une fripière aux Puces de Saint-Ouen. Les chairdâmes, créées dans les années 1980 alors qu’il traverse une grave dépression, en sont l’expression la plus noire et la plus connue de l’artiste. Monstrueuses poupées de vieux chiffons, enduites de boue et de teinture, orbites démesurément rondes et vides, corps difformes. Si elles lui vaudront la reconnaissance de Jean Dubuffet, elles ne sauraient pour autant résumer l’œuvre de cet artiste dont l’exposition Introspectives conte superbement d’autres voyages intérieurs.
L’art et la matière
Sculptures, peintures, dessins, papiers mâchés, réalisés par séries, films expérimentaux, imaginés sous l’impulsion de son compagnon, le cinéaste mexicain Teo Hernandez, habitent au fil du temps ce parcours atypique et fiévreux. D’une discipline à l’autre, d’un univers à l’autre, un itinéraire tout en ruptures – « Michel Nedjar procède par bouleversements successifs », souligne Jean-Michel Bouhours, historien de l’art, ancien conservateur au Centre Pompidou et co-commissaire de l’exposition – et pourtant animé des mêmes obsessions. Comme celle de la représentation du visage, de la figure, du masque, du regard, même en creux. Concordant avec la construction cohérente d’un œuvre où s’entremêlent la vie et la mort, le désir et la quête, la judéité et l’homosexualité, la transgression et le sacré. Derrière une humanité douloureuse et profonde, la conjuration de la perte en filigrane. Dans sa série Présences, au cœur des années 1990 marquées par le sida, Michel Nedjar convoque les absents, les chers disparus, portraits s’évanouissant soudain derrière la matière. Matière multiple avec laquelle il vibre d’un corps à corps permanent. Art brut ? Art contemporain ? La question amuse, ou plutôt agace le bonhomme : « L’œuvre qui sort de mon atelier n’est plus mon problème, elle ne m’appartient plus. »
De fil en aiguille
Aujourd’hui, la poupée est revenue. Plus colorée, empreinte de nouveaux voyages, comme celles (plus de 100) qui composent une saisissante carte du monde et de ses rebus, petits bouts de ci, petits bouts de ça, ramassés au bord des chemins. Plus intime encore, quand l’artiste revient au fil et à l’aiguille pour « coudre » des poupées dans le corps desquelles s’entassent mille et une bricoles de son atelier. Comme autant d’émouvants reliquaires.
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