Engagée aux côtés de jeunes talents et d’artistes reconnus, la Loo & Lou Gallery dévoile une série inédite d’Andrew Ntshabele. Né en 1986 dans une petite ville rurale de l’Afrique du Sud, l’artiste relate l’histoire de son pays pendant l’Apartheid et après. Sur d’anciens articles de presse découpés et assemblés, il peint des personnages de dos. The Silent Companions nous entraîne à leur suite, comme un pont entre passé et présent. Il ne reste plus que quelques jours pour en profiter.
La série exposée à la Loo & Lou Gallery agit comme un commentaire d’Andrew Ntshabele sur le monde qui l’entoure. Chacun de ses tableaux met en lumière des gens pris en photo de dos et peints par la suite. Autant de témoins des changements politiques et sociaux de l’Afrique du Sud. C’est à travers leurs identités anonymes que l’artiste partage son intérêt pour le pays qui l’a vu grandir et pour sa capitale Johannesburg : « Je vis toujours dans le centre-ville, où je suis confronté chaque jour à la pauvreté et la pollution. Je m’intéresse tant aux personnes qui vivent dans cet environnement et subissent les effets négatifs de l’urbanisation rapide, qu’à la manière dont cela pèse sur eux au quotidien. »
Qui sont ces personnes qu’Andrew Ntshabele nous donne à voir ? Des pères et des mères de famille, mais surtout des enfants, garçons ef filles, qui se tiennent la main et semblent avancer dans un paysage textuel, composé de coupures de journaux. Toutes les œuvres portent le même titre, mais chaque histoire fait entendre sa propre voix. À travers l’image de la mère et des trois enfants, notamment, l’auteur semble partager des attentes et, probablement, une inquiétude pour l’avenir de son pays. Ce dont nous parle également l’article portant le titre Elections. The last week push. Quel impact le résultat des élections aura-t-il sur le quotidien de cette famille ?
Les personnages se perdent, au sens figuré comme au sens propre, dans le flux constant des mots. Ainsi, l’artiste se soucie-t-il du fait qu’il y a encore trop de gens en Afrique du Sud qui n’ont pas accès à l’éducation, à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, pourtant essentiel pour comprendre et participer au devenir de leur pays. Inscrits dans ce paysage informationnel, les personnages d’Andrew Ntshabele avancent résolument comme indifférents à l’agitation du monde. L’artiste oppose l’arrière-plan foisonnant d’un quotidien pris dans les griffes serrées de l’information et l’attitude paisible de ceux qui ne sachant pas la décrypter l’ignore, voire n’hésitent pas à la fouler aux pieds. De même, l’œil du spectateur peut-il se saisir de l’œuvre sans pour autant en connaître les références.
Certaines œuvres évoluent au fil du temps. L’artiste peut ajouter aux coupures de presse des partitions musicales, des pages de livres, des images… « Dans mon travail récent, j’ai laissé certaines figures non peintes, car j’essaie d’incorporer l’arrière-plan à la figure. J’ai souvent l’impression de trop travailler certaines images, ce qui a tendance à détruire les belles choses qui se passent dans le collage. » Main dans la main, quatre garçons sont soudés face aux événements qui façonnent leur pays. Ils avancent vers un horizon de texte créant un effet de profondeur et une forme de perspective. Quel sentiment l’artiste veut-il nous faire passer ? « Dans mes premiers travaux, je réagissais à la pauvreté et à la souffrance que je voyais autour de moi. Mais dans mes œuvres plus récentes, j’ai choisi de me concentrer sur les événements heureux de la vie quotidienne dans le centre de Johannesburg et j’ai commencé à décrire une plus grande gamme d’émotions qui expriment la condition humaine en dépit des circonstances. »
A la Loo & Lou Gallery, The Silent Companions distille l’espoir. La vitalité des œuvres, exprimée par la danse ou les actes du quotidien, contraste avec le formatage des titres et des paragraphes, tandis que l’austérité des textes et des photos côtoie la diversité et la fraîcheur des motifs et des couleurs des vêtements. Interrogé sur ses sources d’inspiration, Andrew Ntshabele confie : « J’ai été influencé par les maîtres hollandais, puis je suis tombé amoureux des Impressionnistes, de leurs coups de pinceau libres et de leur liberté d’expression. J’aime la musique, l’histoire et la spiritualité mais aussi l’information. J’ai vraiment besoin de me tenir informer au quotidien. » Enfant, il dessinait pendant que les autres jouaient. Tant et tant que son institutrice avait prédit qu’il deviendrait artiste. « J’ai l’impression que l’art est une vocation. Je n’ai pas choisi d’être artiste, c’est l’art qui m’a choisi. »
Cette passion l’a amené à fréquenter l’Université de Johannesburg où il a notamment découvert la technique du collage. « J’essayais de ne pas trop réfléchir, de laisser parler ma créativité », se rappelle-t-il. En intégrant dans sa peinture des images coloniales, timbres, photographies d’archives, chapitres de romans, articles de journaux, poésie ou encore partitions musicales, Andrew Ntshabele documente l’histoire passée et récente de son pays et, plus largement, du continent africain et la partage. En Afrique du Sud, la question de l’éducation demeure le nœud fondamental de la réussite individuelle et de l’accession collective au bien-être social. Reflétant avec beaucoup d’empathie la complexité et la profondeur des émotions et des situations vécues par son peuple, Andrew Ntshabele participe activement à des initiatives qui visent à soutenir les jeunes artistes et à promouvoir l’art contemporain africain sur la scène internationale.
À travers une large palette de couleurs et d’émotions, l’artiste nous donne à découvrir le quotidien des gens qui ont connu l’Apartheid, l’abolition des lois raciales en 1991 et la transition démocratique. Si chaque tableau raconte une histoire, un ressenti en lien avec la vie d’Andrew Ntshabele, son œuvre, quant à elle, laisse à chacun une totale liberté d’interprétation. A découvrir jusqu’au 26 octobre.
Infos pratiques> Loo & Lou Gallery, Paris 75003, du 13 septembre au 26 octobre, mardi-samedi de 11 à 19h. Pour plus d’informations, cliquez.
Image de couverture> The Silent Companions, huile, acryliques, émaux sur divers documents, 186×133 cm, détail, 2024. ©Andrew Ntshabele. Photo Polina Tkacheva