Le Festival international des Jardins de Chaumont-sur-Loire bat son plein ! Avec cette 29e édition, l’événement signe une véritable performance. Non seulement, les équipes composées de paysagistes, agronomes, designers, scénographes, biologistes, architectes, plasticiens… originaires d’Inde, du Brésil, d’Irlande, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Belgique, de Suède et aussi… de France ont imaginé d’étonnantes mises en scène végétales pour célébrer la Terre Mère, mais elles ont réussi à concrétiser leurs projets malgré la pandémie et le confinement. D’audacieux jardins qui pour certains n’auraient pas dépassé le stade de l’esquisse s’ils n’avaient reçu toute l’attention du personnel attaché au Festival. Confinées à l’heure des plantations, les participants ont dû beaucoup déléguer. Avec conviction, les jardiniers du Domaine se sont accommodés de toutes les contraintes et inquiétudes pour que les parcelles soient prêtes le moment venu. De ces circonstances exceptionnelles sont nées des propositions dont la qualité et l’originalité ont nourri les débats du jury des Prix du Festival. A telle enseigne que les prix habituellement décernés – « Création », attribué à Solstice de Nicholas Tomlan, « Design et idées novatrices », attribué à Drôle de Trogne de Soline Portmann et Romuald Bardot, « Palette et harmonie végétales », attribué au Jardin Moray de Marie Preux et Florent Kouassi, et « Jardin transposable », attribué à On récolte ce que l’on sème de Baptiste Gérard-Hirne, Emma Morillon et Philippe Allignet) – ont été complétés par deux coups de cœur – Régénération de Catherine Baas, Jeanne Bouët et Christophe Tardy, et Dans les Yeux de Mère Nature de Mark van der Bij et Louise Mabilleau, Karin van Essen et Thyra Bakker – et une mention spéciale à double détente pour les jardins manifestes Planète fleurie des Chinois Sau Yin Wong et Pak Chuen Chan et Paysage de Feu des Brésiliens Carlos M. Teixeira, Daila Coutinho et Federico Almeida ! Un superbe palmarès qui ne doit pas faire oublier les cartes vertes offertes à Eric Lenoir, Patrick Nadeau, Leon Kluge, Pedro Nehring et le duo Sophie Lecomte-Alexandre Lévy. Des invités qui ont su faire naître des horizons ensoleillés, vibrants et poétiques.
Il y a ceux qui entrent dans le domaine par le village de Chaumont-sur-Loire, grimpant vaillamment à l’assaut du parc, et ceux qui choisissent de l’aborder par le coteau, découvrant en guise de préambule Tra, une installation de Giuseppe Penone. Chez les uns comme chez les autres, il n’est pas difficile de reconnaître la joie. Ils ont eu peur. Peur que le coronavirus les prive de leur « Retour à la Terre Mère », thème de la 29e édition du Festival international des jardins, dont la résonnance avec l’actualité de la planète n’échappe à personne. « La Terre est un jardin et tout jardin une leçon de ce que devrait être notre relation avec elle, trop souvent agressée, abîmée, au risque, désormais, de nous mettre en péril. Où et quels qu’ils soient, les jardins sont notre avenir et doivent proposer un modèle incluant un équilibre avec la nature et de nouveaux modes de coexistence entre humains et non humains », explique Chantal Colleu-Dumond, la directrice du Domaine et du Festival, qui cette année a réuni pour ce dernier 30 parrains exceptionnels et signataires d’un appel à « protéger la fragile beauté du monde » (lire à la fin de l’article).
Quel plaisir de passer le petit pont qui mène au cœur du Festival. Là, à l’ombre des arbres, le visiteur laisse tomber l’ordinaire pour partir à la découverte de parcelles-mondes dont le déploiement de végétation passionne les amateurs. Le voyage débute logiquement par Origines de Thibaut Jeandel et son œuf de pisé (terre crue) qui offre une occasion de méditer sur le cycle de la vie. A deux pas, Régénération (Catherine Baas, Jeanne Bouët et Christophe Tardy) capte longuement l’attention. Dans cet espace vert ponctué par des éléments de décor bleus, il s’agit de comprendre combien une « éco-évolution » est nécessaire. Une très design ligne fait chavirer des arbres en pot. A force de maîtrise, l’homme assujettit et maltraite la nature. La scène est belle et douloureuse à la fois. Avec Drôle de Trogne, Soline Portmann et Romuald Bardot attirent notre attention sur un « trésor tombé dans l’oubli » : la trogne, arbre taillé périodiquement à la même hauteur pour produire durablement du bois, du fourrage ou des fruits. Ainsi va la promenade, de surprises en transmission de connaissances.
Chapeau vissé sur la tête, un visiteur est planté à l’entrée d’un jardin. Pendant un moment, il ne tente rien puis sort son téléphone pour immortaliser l’apparition. Certains jardins sont particulièrement photogéniques. Celui-là a fait le tour du web ! Cette Terre en terre flottant et se reflétant dans l’immensité d’une eau « galactique » propose de nous mettre en orbite autour d’elle et de découvrir qu’elle est aussi notre maison. Souvenir du futur a été imaginé par Nicolas et Alice Stadler, David De Oliveira et Aurélien Serrault. Avec Le jardin du sol (Dave Kirkwood, Louise Checa et Veronika Kunclova) se posent des questions relatives à l’agriculture. « Et si nous ré-imaginions la façon dont nous cultivons notre nourriture ? », proposent les auteurs. Accompagnant arbres fruitiers et autres plantations, des tablettes proposent explications et éclairages. « Le sol est vivant et peut mourir. Dans 1 poignée, il y a plus de micro-organismes que de personnes sur Terre. Ils nourrissent le sol, maintiennent une structure aérée et facilitent l’échange de nutriments », peut-on lire notamment.
Surgissent alors deux jardins à part. De ces jardins qui n’en sont pas vraiment mais qui par leur radicalité nous obligent à quitter la féérie de la nature pour en comprendre la fragilité. Planète fleurie (Sau Yin Wong et Pak Chuen Chan) et Paysage de feu (Carlos M Teixera, Daila Coutinho, Frederico Almeida) sont ce que le jury des Prix du Festival a qualifié de « jardins manifestes ». Montrant un espace sans végétation ou presque, des arbres calcinés, ils projettent le public dans des paysages actuels. Non pas une fiction mais bien une réalité de certains endroits du monde. La destruction de notre environnement est en train de se faire, il est impossible de l’ignorer. Heureusement Dans les yeux de mère nature, (Mark Van der Bij, Karin van Essen, Louise Mabilleau et Thyra Bakker), il en va autrement. Et s’il fallait n’en choisir qu’un, ce serait ce jardin-là. Simplement beau et régénérant, il propose une alternative, une vision généreuse qui ne sépare pas l’homme de la nature mais souhaite plutôt révéler la symbiose qui existe entre eux. Au cœur de la forêt, une clairière. Nous nous sentons à notre place. Une merveille.
Un appel à « protéger la fragile beauté du monde »
« La nature offre à l’humain qui s’y promène, la regarde, s’y pose ou s’y repose, la garantie d’un émerveillement sans cesse renouvelé. Chaque jour qui se lève recèle la promesse d’une beauté inépuisable. Du monde minuscule des insectes aux paysages les plus grandioses, les philosophes, les écrivains et les artistes ont trouvé dans la nature la source de leur inspiration. De l’alliance entre les êtres humains et la nature sont nés des jardins, des palmeraies, des cultures étagées, des vergers et des prairies. Que dit de notre humanité un monde où la beauté de la nature est communément oubliée, saccagée, violée ? Qu’avons-nous fait du jardinier qui vit en chacun de nous, ému de la fleur à peine éclose, bouleversé par la lumière qui traverse un feuillage, pris dans les reflets de l’onde légère d’un étang ? Savons-nous même encore regarder ce qui se donne gratuitement, même au plus faible, au plus blessé des hommes ? Avons-nous seulement conscience de l’offrande qui nous est faite ?
Protéger la fragile beauté du monde, avant même toute considération utilitaire, est un élan qui prend sa source dans le cœur de chacun, dans celui de l’enfant que nous fûmes, enfant émerveillé par la fourmi qui transporte bien plus que son poids, enfant des cabanes perchées dans les arbres, enfant au visage tourné vers la voûte étoilée d’un ciel d’été.
Nous, artistes, philosophes, écrivains, jardiniers de la terre-mère appelons à un réveil des consciences. Il y a urgence à nourrir une relation sensible entre l’humain et la nature, essentielle au projet de notre société, et ce, dès l’enfance. Réaffirmant la dimension intrinsèquement culturelle du lien entre l’homme et la nature, nous appelons à cette mobilisation des consciences autour de l’étoffe du monde aujourd’hui déchirée.
Car, en réalité, nous sommes de la nature… »
Les parrains du Festival International des Jardins 2020, signataires de l’appel : Charles Berling, Claude Bourguignon et Lydia Gabucci Bourguignon, Françoise Brenckman, Louis-Albert de Broglie, Jean-François et Marika Camilleri, Jean-Paul Capitani, Bernard et Nüriel Chevilliat, Gilles Clément, Jean-Sébastien Decaux, Philippe Desbrosses, Jacques et Florence Gaillard, Lionel Habasque, Éric de Kermel, Piers Faccini, Tristan Lecomte, François et Françoise Lemarchand, Françoise Nyssen, Sophie Marinopoulos et Henri Trubert, Edgar Morin et Sabah Abouessalam, Serge Papin, Paul Petzl, Jacques Rocher, Olivier Roellinger, Pascale Rossler, Coline Serreau.