La Roche-Jagu, l’autre pays des merveilles

Près de l’estuaire du Trieux, le château de la Roche-Jagu abrite un trésor. Derrières ses murs érigés au XVe siècle, se déploie Anima (ex) Musica – Cabinet de curiosités du XXIe siècle. Fruit de l’imagination et du travail débordants du collectif Tout reste à faire (Mathieu Desailly, Vincent Gadras et David Chalmin), cette exposition hors normes présente d’impressionnantes sculptures d’arthropodes animées et sonores, réalisées à partir d’instruments de musique inutilisables. Cette explication synthétique explique mais ne dit rien de la magie qui règne en ces lieux. Alors pour ceux qui se demandent ce que l’art peut bien avoir à faire avec la science (ou inversement), le voyage s’impose. Bonne nouvelle, vous avez jusqu’au 2 octobre.

Il est tentant d’aligner les superlatifs pour qualifier Anima (ex) Musica – Cabinet de curiosités du XXIe siècle imaginé par le collectif Tout reste à faire. Installée sur trois étages du château de la Roche-Jagu, l’exposition est exceptionnelle dans tous les sens du terme. Non seulement, elle s’adresse aux amateurs des beaux-arts, aux passionnés d’entomologie et aux curieux d’organologie, mais elle sort également des clous de chacun de ces domaines opérant à l’intersection de tous les arts et sciences convoqués. Au départ de ce projet signé Mathieu Desailly (designer, graphiste), Vincent Gadras (scénographe, constructeur) et David Chalmin (compositeur, producteur), une volonté commune de rendre vie à des instruments de musique hors d’usage et d’apprendre à mieux connaître les arthropodes.

Vue de l’exposition Anima (ex) Musica. ©Tout reste à faire, photo MLD

« La petitesse des insectes nous empêche, dans une certaine mesure, d’apprécier à sa juste valeur leur étonnante construction. Le Chalcosoma mâle, avec sa cotte de mailles polie et bronzée, et ses grandes cornes complexes, amené aux dimensions d’un cheval ou seulement d’un chien, constituerait certainement un des animaux les plus remarquables du monde* », écrivait Charles Darwin en 1871. Dénués de peau tendre et de parties charnues, les insectes étaient-ils prédisposés à devenir les modèles pour des violons, harmonicas, trompettes, guitares… en recherche de métamorphoses. Ainsi sont nés de nouvelles espèces. Dessiné par Desailly, animé par Gadras et rendu audible par Chalmin, chaque spécimen est une curiosité en même temps qu’un ravissement. Tous cousins d’un arthropode réel, ils s’animent discrètement et « chantent » dès l’entrée du visiteur dans leur espace subtilement mis en lumière.

Phasme Goliath, Eurycnema Goliath, 2019. ©Tout est à faire, photo MLD

Tout près de chacun d’eux, une signalétique verticale évoquant les bannières médiévales offre une description de l’animal. Méloé, de son nom savant Meloe proscarabeus, est le parent imaginaire du méloé printanier, coléoptère courant en Europe, qui se plaît dans les plaines argileuses et calcaires. L’insecte phytophage possède un cycle de vie complexe, apprend-on. De fait, il se présente ici dans son armure de Super Insecte, doué de 7 batteries, 2 baguettes, 5 cymbales, 1 tambourin, 1 bongo, 2 enceintes, 5 clarinettes, 1 accordéon et 8 violoncelles. Le changement d’échelle fait basculer le regard dans le merveilleux. Le château est forcément le lieu d’une magie experte. Sentiment renforcé par la présence de collections d’insectes et d’instruments de percussion insolites, de planches entomologiques et de partitions de musique. Au détour d’un escalier, une sorte de lampe magique agrémentée d’une loupe éclaire tour à tour de splendides scarabées et autres araignées. Plus personne n’a peur, tout le monde est fasciné.

Méloé, Meloe proscarabeus, 2016. ©Tout reste à faire, photo MLD

Dans ce foisonnement de détails, l’œil en oublierait presque les plans larges. Trois installations plastiques et sonores valent pourtant le détour. Entrant en interaction avec les 13 créatures géantes du bestiaire imaginaire, Cornet à vent, Sphère de percussions et Forêt de cordes détournent, elles aussi, des instruments de musique pour convoquer la nature à travers l’air, le bois et la terre. Point n’est besoin de prendre du recul pour comprendre que la proposition des trois sorciers est complexe mais abordable par tous, petits et grands, amateurs de tous arts et toutes sciences. D’autant qu’ils viennent régulièrement travailler au cœur de l’exposition. Car Anima (ex) Musica est non seulement un projet de longue haleine, débuté en 2013, mais aussi une performance au long cours.

Vue de l’atelier. ©Photo MLD

Le prochain atelier aura lieu du 23 au 27 août. Le public pourra alors assister à la naissance d’une nouvelle « chimère » et échanger avec les artistes tant sur les processus d’invention, de construction, que sur leurs inspirations plastiques et scientifiques. A noter, la précieuse collaboration de l’entomologiste Anne Le Ralec, qui rappelle dans une vidéo que l’imagination des auteurs pousse sur la rigueur des connaissances scientifiques. Citons entre autres les Souvenirs entomologiques du naturaliste Jean-Henri Fabre (1823-1915), source majeure pour le collectif. S’arrachant au plaisir de l’œil et de l’ouïe, chacun se force à quitter les lieux car à l’extérieur baigné de soleil le petit peuple des jardins y donne d’indispensables leçons de choses. Protégés par une végétation amie, les arthropodes nous attendent. D’une beauté l’autre.

*Cette citation ouvre l’exposition, elle est extraite de La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, ouvrage de Charles Darwin publié en 1871.

Contact> Anima (ex) Musica – Cabinet de curiosités du XXIe siècle, jusqu’au 2 octobre au Domaine de la Roche-Jagu, 22260 Ploëzal. Voir sur le site l’agenda complet des événements en lien avec l’exposition : www.larochejagu.fr

Image d’ouverture> Vue de l’exposition Anima (ex) Musica – Cabinet de curiosités du XXIe siècle au château de la Roche-Jagu. ©Tout reste à faire, photo MLD

Print Friendly, PDF & Email