La peinture contemporaine
en 50 morceaux choisis

A cent mètres du centre du monde, à Perpignan, présente une exposition exceptionnelle. 50 peintres* de la scène de l’art contemporain y sont réunis par Thomas Levy-Lasne, sous le titre Les apparences. « Non exhaustive, j’ai pris le parti de présenter des peintres gardant pour référence le monde des apparences. Dans une grande variété de thème, de style et d’ambition, tous ces peintres questionnent le réel avec ce médium si particulier qui joue au visible avec les matériaux du visible : des pigments, des surfaces, le côté sculptural du tableau », explique le commissaire de l’exposition. Jusqu’au 12 septembre.

Choisir ces représentants de l’art contemporain en les limitant à 50 pourrait révéler à la manière d’un thermomètre, la température de l’art en degrés Fahrenheit ou Celsius ! 50 est une température qui semblerait trop élevée et suggèrerait que la peinture chauffe et se montre ! Mais son équivalent en Celsius serait seulement de 10, et cette fois on frôlerait le mensonge par l’indication d’une peinture faiblarde et inerte !  L’oscillation entre ces deux échelles montre de façon métaphorique que ce petit jeu de conversion atteste de l’échantillonnage que le commissaire et artiste Thomas Levy-Lasne a fait de façon arbitraire mais sûre. Il a en effet pris le parti de la peinture, en majorité fondée sur le figuratif, « les apparences » qui quoi qu’il en coûte, se dérobe parfois à toute ressemblance. Son choix varie d’une figuration très affirmée à l’émergence délicate de sujets pastels, en passant par des séries de facture quasi impressionniste. On agrée en ce sens que le choix soit heureux, car quelques œuvres « d’apparence » abstraite complètent cet échantillon de la scène artistique.

Pour visiter cette exposition et afin d’en profiter pleinement, il est bon de se donner une consigne, celle de ne pas chercher autre chose que des peintures au sens conventionnel du terme, des toiles, des pigments, des surfaces et des sujets. Pas de photos, ni d’installation, ni de sculptures ou volumes même si dans certaines toiles on relève que certaines (in)-formes telles que celles de Maud Maris, tiennent lieu de stèles de chair vive représentées côte à côte, ou que des perspectives soient ouvertement suggérées et nous convient dans leurs espaces balisés d’écritures (Simon Pasieka). On a affaire à de la peinture/peinture souvent très talentueuse techniquement, qui ne se prive pas de quelque détournement dans le traitement des sujets, dans le cadrage d’un regard porté sur un détail, dans le changement d’échelle, ou encore dans l’ambigüité entre les objets peints par Philippe Cognée et la quasi abstraction du résultat. L’artiste y signe ici une œuvre remarquablement renouvelée.

Vue de l’exposition Les apparences. ©A cent mètres du centre du monde

Enfin la somme critique des approches, au travers des noms de peintres reconnus qui émaillent l’exposition, renvoie le spectateur à plusieurs volets de l’histoire de l’art. On découvre ainsi un surprenant travail de François Boisrond revenu depuis longtemps à une facture classique mais qui ici « vieillit » volontairement le traitement technique de son sujet. Dans le même ordre d’idée d’intérieurs chargés d’histoire, l’œuvre de Cyril Duret, qu’on ne soupçonnerait plus de ce siècle si elle n’offrait un cadrage particulier au sein duquel l’artiste contemporain Dominique Gauthier est représenté dans son atelier. Pas d’anachronisme donc mais une tendance au revenez-y, y compris dans la facture évoquée par les toiles de Bresson, Chesnier,  Gulacsy ou encore Masmonteil habitées par l’histoire d’une non-figuration. Cette promenade en natures diverses nous réserve quelques étapes.

A l’instar de Gilles Aillaud présent avec un petit format de 1970, nous découvrons la présence de Gasiorovski, dont on peut voir une Autocritique du bouffon datant de 1974, autrement dit l’autoportrait mis à l’épreuve de la haine de soi au moment même où il désignait sa violence du monde (série sur les chars 1973) ; et enfin de Françoise Petrovitch dont le sujet dalmatien perd ses taches et contredit sa sagesse apparente, pour ne citer que quelques anciens. Restent les moins connus du grand public, celles que le commissaire, lié lui-même à une forme d’hyperréalisme par l’œuvre qu’il expose, est allé chercher dans le malaise des parcours d’enseignement ou dont le landernau marchand n’a pas voulu en première instance. La nature comme thème ou comme sujet prend des formes très variées allant de l’exhibitionnisme déclaré digne d’un soir de sabbat chez Nazanin Pouyandeh, à une sobriété nocturne et quasi mystérieuse des œuvres de Bruno Gadenne, sans oublier les grands formats en gros plans des fleurs généreuses de Gael Davrinche, véritable hommage à la nature morte du XVIIe siècle, basculant dans un répertoire coloré proche du pop art, jusqu’aux ambiances faussement tièdes d’Eric Come.
Autre surprise causée par l’ambigüité du choix qui là n’est pas vraiment orienté vers une œuvre franchement figurative, est l’œuvre de Jean-Baptiste Bernadet, sa grande fresque (12m x 1,80m) décline une suite de ciels où les envolées colorées à l’huile et à la cire incitent à quelques réminiscences de Turner, atmosphère plutôt chaude que Londonienne, à l’opposé d’une restriction spatiale rencontrée dans His room de Natahnaelle Herbelin. L’espace réduit de la chambre s’ouvre en petite coupes profondes par des portes Hoppériennes quelque peu éclairantes dans le camaïeu de gris et de bleu qui le compose.

Vue de l’exposition Les apparences. ©A cent mètres du centre du monde

En prolongeant la promenade sur la mezzanine, les clins d’œil qui à vrai dire n’en sont pas, je devrais dire des « clos d’œil » d’Iris Legendre montrent des paupières fermées maquillées de poudres ou de larmes, à mi-chemin entre des fragments d’études classiques et de dessins anatomiques détaillés dans les ouvrages de médecine, la série donne une force poétique au sujet. Les autres artistes, qui ne peuvent pas tous être mentionnés ici n’en sont pas moins les témoins de cette énergie picturale commune autour d’une facture traditionnelle, qui pose la question de savoir par quel bout appréhender une œuvre. Est-ce sa qualité technique ? Son sujet ? Son support ? Dans une telle exposition, faut-il interroger la nostalgie de la peinture, celle qui serre de près son sujet sans le lâcher, ou bien se laisser aller à ces extrapolations poétiques où la suggestion remplace la précision, où la technique se met en retrait au profit de l’inconnu ou bien encore où la détermination historique tient lieu de parti pris plastique ? C’est à toutes ces questions que les artistes de cette exposition répondent par bribes, le projet du commissaire se réalisant pleinement dans la mise en avant d’une peinture qui se fait, qui existe du seul fait de se montrer, et qui capte notre attention du seul fait aussi de se démarquer de démarches plus « officielles ».
Une mention particulière doit être adressée à l’équipe de ce centre d’art pour la réalisation de cette manifestation, il a fallu leur dose de passion, de persévérance et d’amour de l’art pour venir à bout de la collecte des œuvres qui, diversité oblige, se trouvaient aux quatre coins du territoire français. C’est ainsi que de très grands formats ont pu être présentés, dans ce lieu immense que n’aurait pas renié le maître du « centre du monde ».

Vue de l’exposition Les apparences. ©A cent mètres du centre du monde

Peintres invités : Gilles Aillaud, Henni Alftan, Marion Bataillard, Julien Beneyton, Jean-Baptiste Bernadet, Romain Bernini, Mireille Blanc, François Boisrond, Katia Bourdarel, Jean-Baptiste Boyer, Guillaume Bresson, Benjamin Bruneau, Damien Cadio, Antoine Carbonne, Mathieu Cherkit, Claire Chesnier, Jean Claracq, Philippe Cognée, Eric Corne, Gaël Davrinche, Jean-Philippe Delhomme, Grégory Derenne, Cyril Duret, Bruno Gadenne, Gérard Gasiorowski, Cécilia Granara, Cyrielle Gulacsy, Bilal Hamdad, Nathanaëlle Herbelin, Youcef Korichi, Jürg Kreienbühl, Iris Legendre, Eugène Leroy, Thomas Lévy-Lasne, Jérémy Liron, François Malingrëy, Maude Maris, Olivier Masmonteil, Audrey Nervi, Eva Nielsen, Simon Pasieka, Françoise Petrovitch, Nazanin Pouyandeh, Laurent Proux, Antoine Roegiers, Lou Ros, Vassilis Salpistis, Paul Vergier, Anthony Verot, Marine Wallon.

Contact

Les apparences, jusqu’au 12 septembre 2021, A cent mètres du centre du monde, Perpignan. www.acentmetresducentredumonde.com

Crédits photos

Image d’ouverture : Eyeshadows, Iris Legendre, aquarelle et crayons de couleur sur papier, 2019. ©Iris Legendre.