La nature irisée de Miguel Chevalier

« Noël à Trévarez » est l’événement attendu de cette fin d’année en Finistère. En 2017, quelque 66 000 personnes s’y sont pressées, soit près de la moitié des visiteurs annuels du Domaine reconnu « Patrimoine du XXe siècle » et labellisé « Jardin remarquable ». Alors que les journées rapetissent et que le froid s’installe, les Bretons, eux, n’hésitent pas à venir en famille à la nuit tombée admirer des propositions plus étonnamment lumineuses d’année en année. Après les installations de l’Arche de Léon et le monde d’Alice au pays des merveilles, le Domaine de Trévarez accueille actuellement D’un rêve à l’autre, une proposition de Miguel Chevalier. Les œuvres en intérieur et en extérieur forment un parcours à la fois fascinant et mystérieux, qui se déploie des anciennes écuries au « château rose », en passant par le potager. A découvrir jusqu’au 6 janvier.

Digital Cristaux, Miguel Chevalier, 2018.

Dans la cour des anciennes écuries, une myriade de petites loupiotes s’allume. Le ciel ainsi étoilé surplombe des tables de joyeux convives. Sous le haut-vent, gaufres et vin chaud se disputent la vedette. Noël à Trévarez bat son plein. La manifestation, devenue un rendez-vous attendu en Finistère, attire chaque fin année plusieurs dizaines de milliers de personnes en six semaines. Pour sa nouvelle édition, elle accueille Miguel Chevalier. « J’ai imaginé des œuvres numériques ou fixes inspirées des cristaux de neige, ainsi que des installations de lumière. Comme nombre d’entre nous, j’ai toujours beaucoup admiré la beauté et la géométrie des flocons en hiver. Il y a une dizaine d’années, la lecture du livre de Wilson Bentley, qui a photographié des milliers de cristaux de neige entre 1885 et 1931, ainsi que la découverte des dessins de William Scoresby m’ont fait prendre conscience de toute la complicité et la richesse de ces formes », expliquait-il en septembre dernier. Pour D’un rêve à l’autre, l’artiste a imaginé un parcours qui entraîne les visiteurs à la découverte d’une nature inattendue.

Chemins de lumière, Miguel Chevalier, 2018.

L’aventure commence dans les anciennes écuries avec l’une des trois œuvres réalisées spécialement pour l’occasion : Digital Cristaux. Au sol, des tapis de neige aux flocons irisés s’effacent sous de petits et grands pas. L’installation de réalité virtuelle plonge l’immense salle dans l’enthousiasme d’une nature visiblement sensible à chaque interaction. Sur la droite, une porte mène à un atelier de création très animé. A travers des jeux, de jeunes invités se familiarisent avec la pratique de l’artiste et n’hésitent pas à offrir de nouvelles couleurs à des formes cristallines sur papier. A quelques pas, une vidéo de Claude Mossessian, L’imaginaire des mondes virtuels, fait découvrir les créations de Miguel Chevalier entre 2012 et 2015. La promenade ainsi lancée oblige désormais chacun à enfiler ses gants et remettre son bonnet pour s’engager dans une allée balisée de néons blancs comme une piste d’atterrissage pour vaisseaux extraterrestres. Là, juste derrière une maison à l’aura fantomatique, s’inscrit un mystérieux message au gré d’un dessin lumineux. Installée dans le potager historique du domaine et adossée à une ancienne serre de 70 mètres de longueur, l’installation impose son rythme à l’architecture. Un enfant aux yeux écarquillés lâche la main de sa mère. Rencontre du troisième type.
A la croisée des chemins, ou presque, il aperçoit une autre serre d’un style bien différent. Le nez collé à la structure, il voudrait entrer, comprendre comment vivent ses fleurs aux formes artificielles qu’il voit pousser et disparaître dans un même élan. Nature virtuelle sous les branches d’un arbre bienveillant. Le chemin monte gentiment. Au-dessus des têtes, une centaine de 0 et de 1 reflètent le clair de lune. Ils envahissent le ciel, absorbent les étoiles. Une fleur géante fait son apparition. Cornonae Digitalis est une échappée de Fractal Flowers, matérialisation de ses sœurs génératives. Pour exister dans le monde physique, elle a renoncé au mouvement perpétuel en figeant un instant d’imaginaire à l’intense couleur orange. Au bout du chemin, le château. La vision est extraordinaire. Avec sa façade écarlate, le bâtiment irradie tandis que différents rythmes lumineux soulignent son architecture (notre photo d’ouverture). Comme habité de l’intérieur, il respire un autre air que le nôtre. Présence terrible et magnifique qui laisse à penser qu’ici, bien des histoires se sont déroulées.

Digital Cristaux Bubbles, Miguel Chevalier, 2018.

A l’intérieur, les visiteurs découvrent des sculptures nimbées de lumière, un cabinet de curiosités composé d’objets aux formes étranges, des sphères géantes flottants dans les airs du grand salon encore marqué des stigmates laissés par la Seconde Guerre mondiale, et aussi, dans l’ancienne salle à manger, la Table des Convivialités avec laquelle chacun peut interagir. Au mur, Pixels Snow se déploie. D’immenses flocons géométriques se forment, évoluent en d’infinies variations et glissent doucement à l’intérieur d’un cercle. Dans l’escalier inaccessible, Monolith-Pixels Wave Light s’impose. L’œuvre vibre d’une lumière colorée. Véritable totem d’un monde d’entre-deux. « L’exposition explore sur un mode poétique et métaphorique, la question du lien entre nature et artifice qui, aujourd’hui, coexistent et s’enrichissent mutuellement. Ces œuvres nous placent face à une nature intrigante et nous immergent dans un univers onirique. Elles captent la beauté de la nature, source intarissable pour l’imaginaire, et illustrent la constance du désir de son appropriation par l’homme. Elles cherchent à créer les conditions d’une symbiose entre ce dernier et cette nature réinventée », précise Miguel Chevalier. Dans l’allée, ceux qui arrivent croisent ceux qui s’en vont et s’interrogent. Mais quelle est donc cette lueur dans leur regard ? Juste la preuve qu’émerveiller n’est pas le seul apanage du Père Noël.

Contacts

Miguel Chevalier – D’un rêve à l’autre, jusqu’au 6 janvier 2019 au Domaine de Trévarez, à Saint-Goazec. Tous les jours de 14 h à 19 h 30, y compris les 25 décembre et 1er janvier. Fermeture à 18 h les 24 et 31 décembre.
Le site de Miguel Chevalier : www.miguel-chevalier.com.

Crédits

Image d’ouverture : Présence (2018) © Miguel Chevalier, photo MLD – Digital Cristaux © Miguel Chevalier – Chemins de lumière © Miguel Chevalier, photo MLD – Digital Cristaux Bubbles © Miguel Chevalier, photo MLD – La vidéo est signée Claude Mossessian