Johan Muyle métaphorise l’actualité

Jusqu’au 18 avril, le musée des arts contemporains au Grand-Hornu accueille No Room for regrets, une exposition rétrospective consacrée à Johan Muyle. Sculptures motorisées, peintures monumentales, motos revisitées, la proposition de l’artiste belge plonge le visiteur dans un parcours immersif et interactif constitué d’une trentaine d’œuvres réalisées entre 1987 et 2020.  

Déployées dans les grandes salles du MACS aux lumières tamisées, des sculptures motorisées, lumineuses et sonores, jouent avec leurs ombres dansant sur les murs. Sommes-nous dans la caverne d’Ali Baba ou dans celle de Platon ? Avec ses airs de cabinet de curiosités, l’exposition interroge le monde et la condition humaine. De ses voyages et collaborations avec les artisans des rues de Kinshasa ou encore avec les peintres affichistes de Mumbai, Johan Muyle retient une multitude de croyances, savoir-faire, rituels et autres contes populaires qui enrichissent sa démarche artistique. Ainsi, No Room for regrets constitue le panorama de 35 ans de carrière de l’un des artistes belges contemporains les plus influents.

Rien ne s’y oppose, Johan Muyle.

Dans le hall d’accueil, trois mannequins. Ils font partie de la même installation, Rien ne s’y oppose, clin d’oeil à La Parabole des aveugles de Brueghel. Leur style vestimentaire disparate les inscrit chacun dans une époque différente. Le premier, phare de vespa accroché sur la poitrine et cheveux devant les yeux, arrive tout droit de l’Angleterre des années 1950. Le second, un hippie tout en mauve et vert, s’est échappé des années 1960. Le dernier, vêtu de la tête au pied d’une tenue XXL, surgit sans aucun doute des années 1980. Trois figures de l’adolescent rebelle, ayant chacune marqué leur époque. Trois modèles aveuglés par une forte lumière, et placés sur des rails : celles du conformisme. La rébellion ne serait-elle pas devenue une posture ? Autrefois véritable révolte contre l’ordre social et politique, elle serait devenue tendance, laissant la jeune génération avoir des indignations aussi molles que confortables. Dès cette première installation, le ton est donné. L’artiste questionne et offre des pistes de réflexion. Le sculpteur explique au micro de Pascal Goffaux pour RTBF, que son rôle est « d’interroger le monde, sans devenir le fou du roi ».

Dans une salle voisine, L’impossibilité de régner : un rhinocéros est monté sur des roulettes à l’instar d’un jouet pour enfant. Prisonnier d’une arène, l’animal tente de sortir en se cognant aux parois, jusqu’à en perdre sa corne… Réalisée en 1991, l’installation fait référence à un moment particulier de l’histoire de la Belgique. Un an plus tôt, le roi Baudouin se mit en « impossibilité de régner », durant 24h, afin de ne pas signer la loi dépénalisant l’avortement. Un peu plus loin, une œuvre rend hommage à la jeunesse indienne après le drame du viol de Jyotti Sing à New Dehli, en 2012. Cette tragédie entraînera une vague d’indignation, puis de rébellion et lancera le débat sur la condition féminine en Inde. Cette sculpture, une figurine portant des ailes de moustiques, met en exergue la différence de valeur que l’on attribue à la vie humaine, parfois réduite à celle d’un insecte. Johan Muyle se saisit de l’actualité, qu’il poétise à l’aide de ses assemblages. « Avec les sculptures, on a cette possibilité d’être dans une chronique peut-être, mais dans une chronique qui est métaphorique », explique-t-il lors d’un entretien accordé à Point Culture.

L’impossibilité de régner, Johan Muyle.

Véritable métaphores ou allégories, les sculptures de l’artiste traduisent la réalité du monde. Faites d’objets d’ici et d’ailleurs, elles prennent tout leur sens une fois assemblées, donnant ainsi naissance à une nouvelle imagerie, aux racines plongeant dans l’histoire de l’art mais également dans les fables, contes et mythologies, notamment évoqués par la présence des animaux (Les Reines mortes et Le Second Martyre de la Pietà). Si l’artiste tend à produire des images persistantes, elles demeurent toujours ouvertes à des interprétations nouvelles. Produites pour certaines il y a plus de trente ans, elles trouvent aujourd’hui un sens nouveau, face à un public n’ayant pas toujours vécu les mêmes évènements. Le nom de l’exposition, No room for regrets, le confirme. Trente ans plus tard, pas de regrets, les œuvres trouvent toujours leur place. « L’œuvre prend forme dans le regard de l’autre », confirme Johan Muyle, dans une interview pour le MACS. Le public va à la rencontre des installations, comme l’artiste va à la rencontre des gens. Véritable parcours sensoriel mêlant humour et engagement, l’exposition transforme le réel en spectacle et bouscule le regardeur, le poussant à revisiter l’histoire.

Le Second Martyre de la Pietà, Johan Muyle.
Contact

No room for regrets, visible jusqu’au 18 avril au MACS, Hornu, Belgique.

Crédits photos

Photo d’ouverture : vue de l’exposition No room for regrets ©Johan Muyle et le MACS Grand-Hornu. Pour les trois autres images : ©Johan Muyle et le MACS Grand-Hornu

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