Dernière ligne droite pour le Montluçon Art Mobile ! Dimanche 2 juin, l’exposition fermera ses portes. Partenaire de la manifestation, qui se tient au Fonds d’art moderne et contemporain de la ville, ArtsHebdoMédias vous fait découvrir artistes et œuvres invités. Aujourd’hui, il est question d’Internet et des réseaux sociaux. Pointés par les artistes pour leur capacité de partage mais aussi pour en souligner certaines utilisations douteuses, ces outils de communication inspirent des œuvres à la plastique et aux objectifs très variés : The factory de Paul Heintz relate de drôles de conversations avec le peintre copiste chinois Wang Shiping ; La Vie ordinaire de Robert l’extraterrestre, imaginée par Brice Krummenacker, fait partager le quotidien d’un émigré de la planète Gaia ; le projet collaboratif Résidence de Bérénice Serra s’immisce dans Google Street View ; et Le bon angle de Silvia Velázquez propose un dialogue entre dessins et prises de vue. Si vous ne pouvez pas faire le voyage, n’hésitez pas à découvrir la visite virtuelle de l’exposition. C’est par ici !
The factory de Paul Heintz
The factory est composée de dessins et de peintures datant de 2017. Première étape d’un travail au long cours, cette installation donne forme à la correspondance numérique entre Paul Heintz et Wang Shiping, un peintre copiste de Dafen, ville de la banlieue de Shenzhen, en Chine. L’artiste français développe actuellement un projet artistique aux confins des espaces numérique et physique. Intéressé par l’industrie de la copie d’œuvres d’art à visée commerciale, il a débuté voici un an et demi une correspondance avec Wang Shiping, un peintre copiste de Dafen, ville chinoise de la banlieue de Shenzhen. Là-bas, ils sont quelque 8 000 à exécuter des tableaux de maître à la main et à l’échelle industrielle. De leurs pinceaux sortent des copies de Van Gogh, Courbet, Léonard de Vinci… qu’ils vendent en Occident ou à Hong Kong comme objets de décoration. « Je m’intéressais particulièrement à l’imaginaire de tels peintres. »
Correspondre avec la Chine n’est pas compliquée. Il suffit d’utiliser WeChat, une messagerie textuelle et vocale très prisée dans le pays et surtout autorisée. Lors de leur première conversation, les deux artistes font et échangent la capture de leur écran de smartphone. Chacun reproduira celle de l’autre dans sa matière de prédilection : l’huile pour Wang Shiping, l’aquarelle pour Paul Heintz. Les suggestions et les copies se multiplient. Certains fragments de toiles célèbres sont ainsi exécutés par le peintre chinois, tandis que l’artiste français reproduit des phrases issues de la traduction automatique de WeChat. Un dialogue au phrasé étrange se donne à voir. Au fil des échanges numériques et postaux, l’installation prend forme.
Et bientôt, l’envie de se rendre sur place et d’y réaliser un film se fait sentir. Paul Heintz filme le peintre au travail : smartphone dans la main gauche et pinceau dans la main droite, dont le pouce et l’index n’ont de cesse de naviguer à l’intérieur du modèle affiché sur l’écran. Ensemble, ils tourneront bien des scènes dans lesquelles le smartphone tient une place privilégiée, témoin de l’utilisation qu’en font les Chinois. Paul ira jusqu’à proposer une « scène de renversement » à Shiping : ne plus peindre ce qu’il y a sur l’écran mais derrière, l’intérieur du téléphone, batterie et composants électroniques compris.
La Vie ordinaire de Robert l’extraterrestre de Brice Krummenacker
Robert l’extraterrestre est né d’un ras-le-bol. C’était en 2016, Brice Krummenacker avait décidé de supprimer les deux comptes qu’il avait sur les réseaux sociaux. Objectif : en finir avec la vacuité des selfies qui s’affichaient à longueur de page. Un soir en rentrant chez lui après un shooting de mode, il est tombé en arrêt devant un masque d’extraterrestre. Le lendemain, débarquait Robert (notre photo d’ouverture).
Au premier jour à 5 heures : « Les créatures sont scotchées à leur téléphone. La communication virtuelle serait-elle leur seul moyen d’échanger entre elles ? » Ainsi débute La Vie ordinaire de Robert l’Extraterrestre ! Ce jour-là, Brice Krummenacker crée un compte Facebook à son ami Robert, certes, rencontré fortuitement mais qui ne le quittera plus. C’est avec un humour désopilant que l’artiste a décidé de s’offrir ce double à travers lequel il vit de nombreuses « aventures », sélectionnées dès 2016 par le jury du Festival Circulation(s), consacré à la jeune photographie européenne. Robert Maurice est originaire de la planète Gaia dans l’amas globulaire M13. A travers ses comptes Facebook et Instagram, mais aussi grâce à une inscription sur le site de rencontre Tinder, il se dévoile, poste des photos de lui, de ses repas, des paysages qu’il traverse…, joue également au blogueur de mode. Petit à petit, sa vie prend de l’épaisseur. La fiction se déploie dans la réalité numérique jusqu’à s’y fondre (1).
A son poste d’observation, bien caché derrière son « avatar », l’artiste commente à sa façon l’actualité – Robert n’hésite pas à avoir des opinions politiques –, étudie et expérimente les réseaux sociaux. Rendront-ils populaire cet être imaginaire ? Ce travail plein d’entrain, dont l’esthétique rappelle celle promue par la société des années 1970 – fan de télévision et des aventures de David Vincent dans Les Envahisseurs ! –, s’intéresse à la représentation de soi sur les réseaux sociaux et soulève la question de la véracité des informations divulguées. Qui se cache derrière telle photo ou telle expérience relatée ? Les réseaux sociaux, espaces de liberté, sont aussi ceux de possibles mystifications, où « Je » peut réellement être un autre comme l’avait suggéré Rimbaud.
Résidence de Bérénice Serra
Résidence est un projet collaboratif d’occupation artistique de Google Street View débuté en 2018. Il consiste à proposer un protocole pour se réapproprier l’espace numérique créé par le géant américain. Cinq artistes (Marion Balac, Raphaël Fabre, Arzhel Prioul, Julien Toulze et Mathieu Tremblin) sont invités par Bérénice Serra dans cette singulière résidence, accessible via un site Internet. Un livret a également été réalisé par l’artiste. Il met en lumière l’exploitation par la plateforme des photographies mises en ligne par les voyageurs pour documenter des lieux réputés difficilement accessibles.
Résidence est comme une poupée russe. Il y a d’abord celle que l’on voit en premier lieu, ici le site, et ensuite les autres cachées à l’intérieur, soit les contributions de chacun des artistes invités par Bérénice Serra. Pour la deuxième fois, l’artiste a imaginé un protocole pour partager avec d’autres la joie de s’emparer artistiquement d’un espace public convoité et/ou exploité par des entreprises commerciales. Après Galerie, qui l’avait vu télécharger des créations dans les téléphones d’exposition d’une grande enseigne, voici Résidence, qui consiste à s’emparer des photos de Google Street View. « L’application de l’entreprise américaine permet à la fois de prendre des vues 360°, de les charger sur la plateforme, mais aussi de récupérer celles qui sont déjà présentes. Par ce biais, ce sont les utilisateurs de Street View et non plus Google qui continuent d’alimenter le service. La cartographie de la planète échappe alors à toute forme de contrôle. »
Pour se réapproprier les lieux « confisqués » par la plateforme, les résidents ont rivalisé d’imagination. Bérénice Serra a choisi pour sa part de s’intéresser à une île au large de l’Islande, en écho à Island of an Island de Melik Ohanian, qui montre l’île de Surtsey à une époque où elle n’était pas encore cartographiée et qui, aujourd’hui, n’est toujours pas accessible au public et donc à Google. Bérénice décide alors de travailler à partir de vues 360° d’Heimaey, située non loin, qui autorise les voyageurs à arpenter ses flancs. « Une vingtaine de personnes avaient documenté cette île. Parmi eux, un Coréen, des Américains, des Islandais et un Français. J’ai téléchargé certaines de leurs images 360° que j’ai créditées avec leurs noms à tous. » Là où habituellement s’affiche le traditionnel maillage du crédit © Google, les noms des expéditionnistes mettent en lumière le rôle de ces anonymes auxquels la plateforme doit beaucoup. Et Bérénice Serra de redire que chacun demeure auteur de ses images. Pour l’heure, Google n’a pas réagi à cette ingérence artistique dans « son » territoire !
Le bon angle de Silvia Velázquez
Le bon angle est un projet né de l’envie de Silvia Velázquez de partager son travail à travers les réseaux sociaux. A l’aide de son smartphone, procédant comme pour un selfie, l’artiste a pris des photos de ses dessins sur papier puis utilisé l’application Instagram pour appliquer des filtres aux images obtenues. Ces dernières devenant à leur tour de nouvelles œuvres indépendantes.
Dans ses dessins, Silvia Velázquez ne voit pas des carrés, des cubes et autres figures géométriques, mais sa famille, ses voisins, la gare qu’elle aperçoit de l’atelier, ainsi que certains de ses états d’âme. « Je trouve mes dessins presque figuratifs », confie-t-elle. Le choix de la ligne, de la mathématisation du dessin, elle l’explique par « l’envie de transmettre l’essence des choses ». Dans Sentiment de liberté, par exemple, elle imagine deux pigeons qui volent l’un à côté de l’autre, tandis que Sentiment de victoire témoigne du bonheur ressenti par l’artiste d’avoir « surmonté des difficultés pour atteindre un sommet ». Dans Se laisser envahir, il est question de lâcher prise, d’abandon et de sentiments, S’échapper évoquant la sensation de parvenir à s’extraire d’une situation oppressante. Centraux dans sa réflexion, la démocratisation et la désacralisation de l’art : « Il faut montrer que l’art n’est pas limité à une élite et qu’il y a diverses manières de s’en approcher. »
C’est dans cet esprit, parallèlement au souhait de partager son travail via les réseaux sociaux, qu’elle a commencé à développer le projet Le bon angle. « Au début, l’idée était de montrer des images les plus fidèles possible des œuvres, mais cela n’avait pas trop de sens. » Difficile en effet de transmettre la sensation que l’on peut avoir face à un travail in situ. Silvia Velázquez entreprend alors de photographier ses dessins à l’aide de son smartphone, mais en cherchant l’angle et la distance susceptibles de donner à l’image « un caractère plus harmonieux, plus attirant et pourquoi pas plus sensuel ». A chaque photographie est alors appliqué un des filtres disponibles sur Instagram. L’image obtenue devient une œuvre à part entière ; l’artiste a aussi conçu de petites animations. Puis vient le temps du partage de l’œuvre sur les réseaux, « sans avoir aucune idée de jusqu’où elle ira, de qui en seront ses récepteurs, ni de leur réaction ».
(1) En mai 2019, Robert a lancé une campagne de financement participatif, via la plateforme en ligne Kisskissbankbank, afin de financer son livre Robert Maurice Debois (aux éditions André Frère).
Contact
Montluçon Art Mobile, jusqu’au 2 juin au Fonds d’art moderne et contemporain de Montluçon. Plus d’infos d’un clic !
Crédits photos
Image d’ouverture : Robert l’extraterrestre © Brice Krummenacker –
The factory © Paul Heintz, photo MLD – La vie ordinaire de Robert l’Extraterrestre © Brice Krummenacker, photo MLD – Résidence © Bérénice Serra – Le bon angle © Silvia Velázquez, photo Bérénice Serra