Une quarantaine d’artistes livrent le fruit de leurs réflexions sur le passé, le présent et les futurs possibles de Liverpool dans le cadre de la neuvième édition de la Biennale d’art contemporain, qui se tient dans la ville portuaire britannique jusqu’au 16 octobre. L’une des propositions les plus réussies est signée Koki Tanaka, artiste né en 1975 au Japon, installé à Los Angeles et déjà bien en vue sur la scène artistique internationale.

« Koki Tanaka est l’un des artistes les plus originaux de sa génération à avoir émergé sur la scène internationale de l’art contemporain ces dix dernières années, déclarait en 2015 Hou Hanru, directeur artistique du MAXXI de Rome et membre du conseil consultatif artistique* de la Deutsche Bank, à l’occasion de la désignation par l’institution du Japonais comme Artiste de l’année. Son travail constitue une exploration inédite de la notion du collectif et du “faire” ensemble, une question essentielle au regard des expérimentations esthétiques et politiques menées actuellement à travers le monde. » Deux ans plus tôt, Koki Tanaka avait marqué les esprits lors de la 55e Biennale de Venise – le Pavillon japonais, qu’il occupait, y avait reçu une Mention spéciale du jury –, avec un projet prenant pour point de départ le tremblement de terre meurtrier subi par le Japon en mars 2011 et s’interrogeant sur le vivre (mieux) ensemble au lendemain d’une telle catastrophe. L’une des vidéos présentées montrait cinq potiers à l’œuvre sur une seule et même pièce, dans un entremêlement de gestes aussi complexe que fascinant.
Invité à concevoir une proposition originale pour l’édition 2016 de la Biennale de Liverpool par la directrice de la manifestation, Sally Tallant, l’artiste y a poursuivi ses recherches sur les thèmes du collectif et de la dynamique de groupe, tout en les inscrivant dans une dimension temporelle des plus enrichissantes. C’est au hasard des rayons d’une librairie alternative de la ville – « Je cherchais à m’imprégner de cette cité que je connaissais pas. » – que Koki Tanaka tombe sur un ouvrage photographique consacré au Liverpool des années 1980. Plusieurs pages documentent une manifestation conduite par une dizaine de milliers d’adolescents, en avril 1985, afin de protester contre des mesures relatives à l’emploi des jeunes mises en place par le gouvernement Thatcher. « Quand j’ai découvert ces photos, je n’avais tout d’abord aucune idée de ce contre quoi ces enfants manifestaient, se souvient le Japonais. J’ai été frappé par leur nombre et, surtout, par le fait qu’ils avaient l’air de s’amuser. En général, ce genre d’événement rassemble des visages sérieux ou en colère ; là, il y avait dans l’air de l’enthousiasme et de l’optimisme. » Intrigué par sa découverte, il évoque les événements avec les organisateurs de la biennale et s’aperçoit que certains n’en ont même jamais entendu parler. « Je me suis dit que si je ne réalisais pas un travail sur la question, peut-être que personne d’autre n’aurait l’idée de le faire… J’ai ressenti comme une forme de responsabilité, voire de nécessité. »

Avec l’aide du photographe de presse auteur des images, David Sinclair, Koki Tanaka entreprend de retrouver quelques-uns des participants à cette fameuse marche. Son idée est de mettre en perspective leurs revendications de l’époque avec la situation actuelle de la jeunesse britannique. « A l’époque, ils se battaient pour leur futur ; je voulais savoir ce qu’ils étaient devenus, leur faire relier ce moment du passé avec le présent, le leur et celui de leurs propres enfants. » L’artiste filme ainsi plusieurs conversations entre parents et progéniture. Il organise également une performance collective, consistant à refaire le trajet de la manifestation de 1985, et invite les protagonistes à fabriquer des pancartes reflétant leurs inquiétudes actuelles et à engager le débat dans l’espace public. La vidéo retraçant l’action menée en juin dernier est au cœur de l’exposition consacrée au projet collaboratif mené par Koki Tanaka, qu’accueille l’Open Eye Gallery de Liverpool. Un projet restitué également sous forme d’installations et de photographies, parmi lesquelles de nombreux originaux de David Sinclair. « Il ne s’agit pas seulement d’un travail artistique, insiste Koki Tanaka. Ce sont de véritables retrouvailles qui ont eu lieu, certains des jeunes “grévistes” de l’époque ne s’étaient pas revus depuis 30 ans ! » Il n’est pour autant pas question de nostalgie : « On ne parle pas seulement des années 1980, mais aussi de l’ici et maintenant. Au début, l’idée centrale du projet était de recréer la marche. Mais au fur et à mesure, les interviews des participants et de leurs enfants ont pris le dessus. »
* Les membres du conseil consultatif artistique de la Deutsche Bank sont, outre Hou Hanru, Okwui Enwezor, Udo Kittelmann et Victoria Noorthoorn. Dans le cadre de son programme de soutien à la création contemporaine, la Deutsche Bank désigne tous les ans depuis 2010 un Artiste de l’année.
La voie marginale de Krzysztof Wodiczko

L’exposition rétrospective consacrée par la Foundation for Art and Creative Technology de Liverpool (FACT) au Polonais Krzysztof Wodiczko est une des étapes incontournables de cette biennale 2016. Les œuvres présentées témoignent de quelque 50 années d’une démarche artistique articulée autour de la mise en exergue des communautés marginalisées, tels les migrants, les vétérans ou encore les sans domicile fixe, avec lesquels l’artiste mènent des projets collaboratifs et/ou participatifs. Pièce centrale de la manifestation, Guests est une installation vidéo immersive et captivante datant de 2009 – elle a été présentée pour la première fois lors de la 53e Biennale de Venise – ; se déployant sur les différents murs d’une même salle, elle fait écho au débat sur l’immigration et à l’afflux des réfugiés qui n’en finit pas de secouer l’Europe. Ce mercredi 21 septembre, entre 14 h et 16 h, la FACT organise un atelier suivi d’un débat sur le thème du traumatisme ; tous deux s’appuieront sur une visite préalable de l’exposition et un focus sur les œuvres de Krzysztof Wodiczko évoquant cette notion ; l’artiste a en effet notamment mené des recherches sur le trouble de stress post-traumatique (TSPT), syndrome tristement commun à nombre de vétérans. L’entrée est gratuite mais nécessite réservation. Plus d’infos sur www.fact.co.uk.
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