Le 6b, à Saint-Denis, accueille la quatrième exposition du collectif Inconnaissance étonnamment et mystérieusement intitulée […]. Tout en questionnant l’imaginaire du visiteur, ces points de suspension évoquent le lien à la fois intangible et évanescent existant entre les œuvres de la trentaine d’artistes présentés.
Initié en 2013 autour de cinq artistes – Makiko Kamohara, Mathilde Le Cabellec, Jean-Marc Planchon, Emilie Sévère et Michel Soudée –, le collectif Inconnaissance réunit aujourd’hui 30 créateurs* – nés, pour la plupart, dans les années 1980 – venus d’horizons plastiques les plus variés. Sculptures, dessins, peintures, photographies, installations, créations sonores et vidéos – onze œuvres vidéos sont diffusées en boucle – rythment ainsi le parcours de cette nouvelle exposition déployée au premier étage de l’immeuble abritant le 6b, à travers un espace de 400 m2 et deux salles de projection.
Dans une première pièce, une dizaine de propositions ont en commun une approche singulière de la matérialité du monde qui nous entoure. Parmi elles, deux imposants « galets » en bois (Etres G), posés sur un cube blanc à hauteur de caresse, semblent chuchoter entre eux ; une « complicité » née d’une collaboration entre le sculpteur Pierre Rabardel et le compositeur Pierre Dunand Filliol. Au mur, les délicats montages aimantés de Siyoub Abdellah témoignent avec force poésie des recherches menées par l’artiste, observateur passionné des étoiles, autour de la force électromagnétique universelle. A côté d’une page d’un livre dont on ne devine plus que des bribes de texte, est exhibé sous vitrine un petit flacon au contenu bleu ; le visiteur est invité à se saisir du casque accroché en dessous pour écouter le murmure de la gomme sur le papier, illustration sonore de l’étonnant dialogue noué entre Jérémy Bennequin et les œuvres de Marcel Proust, dont les mots effacés inventent un nouveau langage à l’abri de la petite fiole de verre.
De l’autre côté du couloir, un rideau noir qui ne demande qu’à être soulevé. Un aquarium illumine la pénombre ; des coraux multicolores s’y meuvent imperceptiblement. Alliant rigueur scientifique et recherches esthétiques, Apolline Grivelet explore inlassablement le vivant, de préférence à l’échelle microscopique, comme pour mieux rappeler à l’homme l’humilité qu’impose sa place dans la nature. A cette atmosphère intime et mystérieuse succède celle, aérée et baignée de la lumière du jour, de la salle principale.
Une table étroite traverse l’espace sur quasiment toute sa largeur ; y est déroulée une longue bande aux motifs déclinant diverses teintes du vert et de l’orange. Elle est le fruit d’un méticuleux travail d’assemblage opéré par Emilie Imbert à partir de milliers de graines de tomates ! Au sol, se dessine en relief une étrange prolifération blanche sur un tapis de terre sombre. Tchernobyl Abondance est le nom de cette installation, composée de 53 pièces en céramique et reproduisant en fait les contours de la ville sinistrée. Signée Marion Richomme, elle vient rappeler que si les traces de la catastrophe disparaissent peu à peu de l’alimentation générale, elles restent prégnantes dans les champignons géants qui pullulent alentours…
Végétale ou animale, la forme en noir et blanc qui se déploie sur tout un pan de mur est définitivement organique. Michel Soudée poursuit ici son exploration des notions de transformation et de mue, encre et fusain s’entremêlant pour saisir l’instant T d’un paysage en perpétuel devenir. Lui fait face l’univers, lui aussi tout en mouvement et circonvolutions, d’Emilie Sévère. La couleur y frémit, agitée de soubresauts dont on ne sait s’ils annoncent une éclosion ou un naufrage. L’observateur se laisse cependant engloutir avec ravissement au cœur de la complexité de ce monde plein de promesses. A la magnificence des bleus, des jaunes, des verts… succède le silence du charbon sur papier de Jirí Kornatovský. Une forme circulaire s’impose, dense et profonde. Le dessin, comme l’ensemble des Méditations de l’artiste tchèque, invite à l’introspective. Une pause, un temps privilégié à partager avec elle seule, voici ce qu’offre chacune des œuvres présentées ici ; toutes, cependant, se font attentives les unes aux autres, formant un même ensemble sensible et généreux. Et si les points de suspension choisis pour titre prennent tout leur sens parce qu’ils font lien, ils laissent augurer d’une suite aussi nécessaire qu’évidente.
* Siyoub Abdellah, Nour Awada, Juliette Andréa Elie, Léa Barbazanges, Jérémie Bennequin, Alexandrine Boyer, Tsama do Paço, Pierre Dunand Filliol, Isabelle Ferreira, Anne-Charlotte Finel, Jacques Girault, Apolline Grivelet, Ségolène Haehnsen kan, Natalia Jaime Cortez, Makiko Kamohara, Jiří Kornatovský, Emilie Imbert, Julie Michel, Teppei Nogaki, Jean-Marc Planchon, Pierre Rabardel, Enrique Ramirez, Marion Richomme, Emilie Sévère, Ludivine Sibelle, Michel Soudée, Geoffroy Terrier, Simon Thiou, Donald Tournier et Julie Vacher.
Le 6b, acteur du territoire
Installé dans un ancien immeuble de bureaux, le 6b a ouvert ses portes en 2010 au cœur de la ville de Saint-Denis (93). Lieu de création et de diffusion géré de manière associative, il accueille plus de 160 résidents – artistes, graphistes, architectes, cinéastes, musiciens, mais aussi artisans et travailleurs sociaux – et organise de nombreuses expositions et autres manifestations culturelles tout au long de l’année. L’objectif affiché est de « mettre en réseau événements et individus aux échelles locales et internationales » au cœur d’un territoire en pleine mutation.