Fanny Viollet ou l’écriture en liberté

Il y a des œuvres rares qu’on manquerait à regret. Comme incontestablement celle de Fanny Viollet. Alors plutôt que d’attendre encore le moment propice pour une écriture au long cours, ArtsHebdoMédias vous fait découvrir dès à présent l’exposition que lui consacre la Librairie Galerie Métamorphoses, à Paris. Au fil des murs, se livre une œuvre brodée inspirée par une grande variété de thèmes, de matières, et réalisée par la technique singulière de l’artiste. « Fanny Viollet est la glaneuse de la ville et de ses innombrables déchets. Elle serait une archéologue des vies quotidiennes et des gestes minuscules, une romancière de l’intime, de l’infime. Elle tricote le marginal, l’occulte, le discret, l’effacé. Elle coud le temps secret, les fils de couleurs multiples. Aléatoire, subversive, elle invente les aiguilles, les fibres, les bobines », écrit le critique d’art Gilbert Lascault, dans le superbe livre qui accompagne la rétrospective. Jusqu’au 12 novembre.

Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil : textes par Fanny Viollet, Sabine Coron et Gilbert Lascault, photographies de Stéphane Briolant. 200 p., Librairie Métamorphoses, Paris.

Du fil multicolore, des ciseaux et une machine à coudre, libérée de ses carcans et comme désinhibée par l’audace de l’artiste : cela suffit à Fanny Viollet pour élaborer des compositions où textes et images, souvent mêlés ou heureusement hybridés, forment une sorte d’éloge de la créativité au quotidien ; une célébration de la noblesse de l’artisanat, des travaux de couture enfin libérés du joug patriarcal, de la poésie « involontaire » ou « intentionnelle », de la présence du temps… Tout un art d’accommoder, en les détournant avec grâce et humour, les restes parfois désolants de la vie courante et de la société de consommation, avant de les transposer dans un monde plus gai, effervescent et coloré : l’univers kaléidoscopique de Fanny Viollet.

Fanny Viollet est née en 1944 à Angoulême. Sa grand-mère était couturière, sa mère brodeuse. En 1964, elle achète une machine à coudre avec son premier salaire de professeure de mathématiques. L’année suivante, elle s’inscrit en histoire de l’art à la faculté de Dijon, où elle s’est installée avec son mari. En 1974, le couple et leurs quatre enfants partent vivre en Mauritanie. L’art local, tissus, motifs et teintures artisanales, réveillent l’artiste : décidée à étudier les arts plastiques, elle rentre en France en 1980 et s’inscrit à la Sorbonne.

Vue de l’exposition Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil. ©Librairie Galerie Métamorphoses

Entre temps, elle a lu l’ouvrage Façons de dire, façons de faire : la laveuse, la couturière, la cuisinière (1979), de l’ethnologue Yvonne Verdier. La reconnaissance d’une « culture féminine » la fascine. Elle choisit de consacrer son mémoire de maîtrise à un sujet péjorativement connoté « ouvrage de dame » : les lettres brodées au point de croix. Le mémoire, entièrement brodé, retourne savamment la tradition crucifiliste en jouant de l’endroit et de l’envers, des couleurs et de l’espace. Il pose ce qui sera le leitmotiv de son œuvre : libérer. Libérer le point de croix, libérer le geste, libérer l’artiste des carcans, libérer l’art des traditions, des écoles et des processus de consécration.

Vue de l’exposition Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil. ©Librairie Galerie Métamorphoses

En 1983, elle reprend sa machine à coudre, retire la griffe d’entraînement et le pied-de-biche, la positionne en mode free motion et découvre qu’elle peut dessiner et écrire en toute liberté. La découverte révolutionne son travail : c’est la naissance du piqué libre et des piquetures, ses « dessins bruts ». Le geste se veut libre de toute contrainte, spontané, proche de l’automatisme ; il se veut aussi dégagé de la technicité : qu’il soit neuf, violent et qu’il n’ait « rien à prouver ». Fanny Viollet explore : elle brode sur tissu, sur papier, sur vinyle, sur des matières recyclées ou sur des feuilles d’étain… Au cours des années 2000, l’artiste met au point la technique du papillage : elle assemble des papiers en mosaïque et les rebrode. Naissent ainsi de grands habits de papier en deux dimensions.

Broderie main, piqué libre, papillage et recyclage de matériaux divers (tickets de métro, cartes Michelin, emballages alimentaires, objets trouvés) sont ses techniques de prédilection. Les supports varient. Fanny Viollet crée des livres, en habille d’autres ; ses agendas deviennent son laboratoire de recherche ; elle brode sur des mouchoirs (Mouchoirs trouvés), sur des cartes postales (Nus rhabillés), sur des chemises, des jeans, des draps. L’œuvre se développe dans l’espace : ce sont les toiles d’araignée ou encore Le Long tricot, qui s’allonge de performance en performance, de lieu en lieu, de ville en ville, d’année en année.

Vue de l’exposition Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil. ©Librairie Galerie Métamorphoses

Lorsqu’au cours de ses pérégrinations, Fanny Viollet trouve un mouchoir, elle l’enferme dans un sac plastique et s’empresse de noter l’heure, le jour et le lieu, ainsi que les circonstances de sa découverte. Chaque mouchoir est par la suite lavé et repassé, puis enserré entre deux feuilles de vinyle cristal, avant que l’artiste reporte en broderie les détails de sa découverte. L’œuvre foisonne de mots. Les siens : morceaux de journal intime sur les Mouchoirs trouvés, réflexions sur son travail d’artiste, historiettes inventées. Ses sujets : l’art, l’histoire de l’art, la revalorisation des travaux dits « féminins », la féminité joyeuse, l’érotisme… Fanny Viollet cite également des poètes et des écrivains, brode des passages du livre d’Yvonne Verdier, recouvre une chemise de laboratoire de mots laissés par les visiteurs. « Ecrire pour peindre la couleur des mots. Ecrire sans la nécessité de donner à lire, sans le besoin de plaire. Broder ou écrire, sans choisir. Ecrire la liberté de ne rien dire mais en l’exprimant autrement », ainsi se livre Fanny Viollet.

Vue de l’exposition Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil. ©Librairie Galerie Métamorphoses
Vue de l’exposition Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil. ©Librairie Galerie Métamorphoses

Contact> Fanny Viollet ou les métamorphoses du fil, jusqu’au 12 novembre, Librairie Galerie Métamorphoses, 17, rue Jacob, 75006 Paris.

Image d’ouverture> Elles ne parlent pas de… Livre de piquetures, 1984-1985, piqueture au fil noir et rouge sur des feuillets de coton blanc, couverture en toile de jean brodée au fil jaune. 42 × 32 cm. ©Fanny Viollet