Inauguré en novembre 2000 autour d’une exposition intitulée Fait Maison, le MIAM (Musée International des Arts Modestes) s’ouvre aujourd’hui aux formes digitales et aborde l’avènement des nouvelles technologies en matière d’art contemporain, dans le cadre d’un nouvel accrochage, Fait Machine, jusqu’au 12 novembre , qui n’a lui, rien de modeste. Une trentaine d’artistes nous y dévoilent leurs dernières créations toutes issues de la transformation du code numérique en d’étonnantes formes matérielles et ici bien tangibles.
Étonnant voyage que cette proposition d’inviter au cœur de l’antre noir du MIAM connu pour l’accumulation des objets domestiques peuplant notre quotidien, les nouveaux sorciers numériques et leurs machines digitales. Certes, ces outils et processus sont ouverts aujourd’hui au plus grand nombre, mais il restent à la pointe des technologies dites augmentées et source d’un art considéré encore comme d’avant garde. Il faut à cet égard saluer l’audace et l’ouverture d’esprit d’Hervé Di Rosa – artiste à l’origine de ce musée hors des sentiers battus, en association avec Bernard Belluc – capable ici d’oser faire se rencontrer et dialoguer deux grands courants de la création, que certains pourraient penser d’emblée totalement opposés. Développée sur une idée des artistes transdisciplinaires Miguel Chevalier et Michel Paysant, l’exposition se présente à la fois tel un laboratoire mais aussi un observatoire du présent, faisant la part belle à des œuvres inédites obtenues pour la plupart par impression 3D.
Le rez-de-chaussée tient vraiment du laboratoire, qui, sur de grands supports lisses telles des paillasses immaculées de lumière, expose dès l’entrée une série d’œuvres de Jonathan Keep reconnu comme l’un des précurseurs en matière d’œuvres céramiques imprimées en 3D. Artiste d’origine australienne installé en Angleterre, il a été un des premiers à développer un procédé de fabrication où les formes de ses poteries sont écrites en langage informatique, données numériques transmises ensuite à une imprimante 3D conçue et fabriquée par lui-même. Depuis ces premières expérimentations, il a mis au point plusieurs modèles d’imprimante 3D à l’argile qu’il propose gratuitement au téléchargement sur son site web. Suivent dans la même lignée les Screw you, sculptures de porcelaine aussi curieuses que drôlatiques de Jessica Lajard, les subtiles combinaisons de porcelaine, verre et plâtre d’Andrea Rodriguez Vial, sorte de séquences déroulées de son « process » de fabrication, ou encore les vases aux formes voluptueuses et plissées d’Elvire Blanc-Briand. Tous ces artistes, et quelques autres présentés ici, sont passés un jour dans le CCE (Céramique Comme Expérience), fabuleuse cellule de recherche et développement de l’ENSA Limoges créée et animée depuis 2015 par Michel Paysant, Guy Ménard, Arnaud Borde et Ludovic Mallegol.
Michel Paysant expose lui-même quelques-unes de ses œuvres dont celles réalisées en « Eye tracking », technique qu’il a mise au point et qui lui permet de dessiner formes et portraits en se passant de ses mains, grâce à une machine capable de capter les mouvements de ses yeux pour en retranscrire les sujets observés dans l’instant. Miguel Chevalier, artiste connu pour ces grandes installations numériques génératives, a décidé de nous surprendre avec une broderie qu’il a souhaité réaliser spécifiquement pour l’exposition, en collaboration avec le Fab Lab de la Palanquée, tiers-lieu citoyen du bassin de Thau, soucieux dès l’origine du projet de faire participer les acteurs locaux qui s’intéressent aux nouvelles technologies. Sa série de 12 Fractals flowers réalisées en impression 3D est présentée sous cloches, chacune disposée selon un cercle parfait tel un « herbarium » enchanté et pour le moins futuriste. Dans les alcôves transversales Pit Moling, jeune artiste luxembourgeois, cultive d’étranges greffes, dialogue de bois naturel et composites 3D, qui dessinent un véritable paysage de nature augmentée. Plus loin, surgissent les grandes pièces de faïence et terre cuite imprimée 3D d’Olivier Van Herpt, et les sculptures aux courbes étonnantes obtenues par captation et transcription d’enregistrements de respirations et pulsations opérées par Boryana Petkova, qui toutes composent avec l’espace et jouent avec nos sens. Ainsi passe-t-on d’expériences en découvertes, déchiffrant au fil de la visite un nouvel inventaire de formes et de matières créées de toute pièce avec et par des machines devenues prolongement du geste et de l’esprit.À l’étage, sur la mezzanine, les commissaires Margherita Balzerani et Noëlig Le Roux ont choisi le prisme du fil et créé un parcours, qui va des premières cartes perforées à l’origine de la mise en forme de lignes de code en matière, pour nous conduire aujourd’hui aux circuits imprimés et autres filaments des impressions 3D. L’environnement en a été confié à Laureline Galliot, qui expose elle-même un ensemble d’œuvres qu’elle a directement modelées en couleur à l’aide de logiciel de sculpture et de peinture virtuelle avant de les imprimer en volume. Jeanne Vicerial, qui se définit comme « chirurgienne du vêtement », ouvre cette section avec sa machine complexe de « Tricotissage », technique textile qu’elle a inventée et mise au point afin de pouvoir travailler à la fois le tricot, la maille et la dentelle. Un « prêt à mesure » qu’elle exploite dans sa « Clinique vestimentaire » et qui lui permet d’imaginer des créations hors-norme, sculptures textiles bien loin des canons fashion et des collections à répétition. Le duo Varvara & Mary présente, lui, Circular Knitic, étrange machine à tricoter circulaire, automatique et reproductible, qui utilise la fabrication numérique et les outils des impressions 3D et autres découpe laser. Véritable projet de quincaillerie ouverte, ce « tricotin géant » produira tout au long de l’exposition une chaussette tube XXL aux couleurs pour le moins acidulées. Une œuvre évolutive et performative à suivre jusqu’à l’automne…
Dernière pièce spectaculaire, le cabinet de toilette fantomatique de Philippe Schaerer & Reto Steiner, qui semble flotter dans l’espace, tous les éléments le constituant ayant été dessinés et matérialisés grâce à un stylo 3D à filament. Une surprenante installation dans laquelle l’œil se perd un peu, entre dessin et volume, sculpture et maquette, presque inquiétante dans sa représentation d’un intérieur à ce point dématérialisé.
Impossible de passer en revue tous les artistes et toutes leurs œuvres, tant cette exposition fleuve est riche en surprises et véritables découvertes ; instantané d’un nouveau courant artistique qui ne manque pas de fantaisie et de poésie. Ce parcours insolite a dans tous les cas le pouvoir de nous transporter réellement hors du temps, et peut-être est-il aussi capable de nous faire reconsidérer tous les aprioris que l’on peut encore avoir d’un art numérique jugé trop souvent froid et distant. En sortant de ce Fait Machine on se met soudain à rêver d’un monde où les nouvelles technologies quelles qu’elles soient ne seraient confiées qu’aux seuls artistes, histoire qu’ils puissent les utiliser à créer toujours plus de beauté ajoutée… histoire aussi de refaire le monde plutôt que de le défaire !
Complément d’information> Fait Machine : exposition dont le commissariat est assuré par Margherita Balzerani et Noëlig Le Roux, sur une proposition et avec le concours de Miguel Chevalier et Michel Paysant. Sous la conduite de Françoise Adamsbaum, directrice du MIAM. Jusqu’au 12 novembre 2023, au Musée International des Arts Modestes 23, quai Maréchal Lattre de Tassigny, 34200 Sète. www.miam.org
Visuel d’ouverture : Vue d’ensemble – les oeuvres de Laureline Galliot- ©Photo, Pierre Schwartz.