A Honfleur, la galerie Bourdette-Gorzkowski fête ses 40 ans. Pour la quatrième exposition de cette année anniversaire, quatre peintres (Serge Labégorre, Christophe Miralles, Jean-Pierre Ruel et David Daoud) et un sculpteur (Jean-Yves Gosti) partagent le bel espace du quai Saint-Etienne. Nous avons rencontré Danielle Bourdette pour évoquer le métier de galeriste en ces temps difficiles et incertains.
« Je suis pour l’humain, le pathétique et le grandiose. Et je me veux un serviteur de la beauté… » Cette citation de Serge Labégorre sert admirablement le propos de l’exposition en cours à la galerie Bourdette-Gorzkowski, à Honfleur. Toutes les dimensions de l’humain sont ici convoquées. D’abord par Serge Labégorre en personne. Le choix judicieux des toiles présentées permet à l’amateur de cheminer humblement aux côtés de ce géant de la peinture. Des années 1950 à aujourd’hui, l’œuvre reste reconnaissable au premier coup d’œil : puissance du trait, fulgurance du geste pictural, une présence et une profondeur jamais prise en défaut. La palette éclatante qui illumine les toiles récentes signe une vie consacrée à la lumière et à la liberté. Trois peintres accompagnent le maître. Christophe Miralles dit de la peinture qu’elle est « la seule image fixe en mouvement ». Une définition qui convient parfaitement à son univers, riche en flâneries mentales sur la ligne de crête entre abstraction et figuratif. Pèlerins ou pénitents, les personnages de David Daoud semblent saisis sur le chemin de l’exil. Quant aux toiles de Jean-Pierre Ruel, elles accueillent le reliquat du souvenir, des pépites tamisées par le temps. Le travail de Jean-Yves Gosti trouve exactement sa place. Tragique ou burlesque, le peuple de pierre du sculpteur reste toujours d’une inébranlable douceur. Derrière la subtile harmonie de cette exposition se cache la « patte » et l’expérience de Danielle Bourdette qui a répondu à quelques questions.
ArtsHebdoMédias. – L’anniversaire de la galerie est gâché par la crise sanitaire…
Danielle Bourdette. – Ces 40 ans sont pour moi une grande déception. J’ai prévu une année d’événements et le premier vernissage, le 23 mars dernier, a eu lieu galerie fermée. L’exposition a néanmoins été présentée en ligne avec une visite virtuelle quasi quotidienne. Je suis déçue de ne pas avoir pu honorer les artistes et les collectionneurs comme je le voulais. Les vernissages masqués, ça ne donne pas très envie… Je vais néanmoins pouvoir mettre en lumière le 120e anniversaire de la naissance d’Emile Sabouraud, un peintre auquel je suis très attachée*.
Quel est le déclic, le désir qui a fait de vous une galeriste ?
J’ai commencé à exercer le métier d’antiquaire mais je détestais faire du commerce comme tout le monde. Le hasard a fait les choses de façon intelligente en mettant sur ma route le très bel espace que la galerie occupe aujourd’hui. J’ai toujours eu des rapports privilégiés avec les artistes plus âgés que moi et j’ai pu bénéficier à mes débuts de leurs conseils, de leur bienveillance. Je suis allée voir Yvonne Guégan, par exemple, qui m’a dit : « Vous n’avez pas de budget ? Je vais vous faire l’affiche en sérigraphie. » J’ai exposé Emile Sabouraud en 1980 et je me suis passionnée pour ce peintre. Même chose avec le sculpteur Bernard Mougin. J’ai démarré avec de grands artistes généreux. Je veux avoir une fonction de passeur, de mise en valeur d’une personne à travers son œuvre. C’est le plus délicat à faire.
Quelles qualités faut-il posséder pour exercer ce métier ?
Dans des périodes difficiles, pour travailler de façon correcte, il faut être un peu allumé quand même ! Etre utopique même, ne pas être que dans le financier, mais dans une émotion, un sentiment. Je m’attache à des artistes dont l’épaisseur humaine me convient. On est dans la relation et, en ce sens, j’exerce ce métier de façon déraisonnable.
Qu’est-ce qui vous plaît encore après toutes ces années ?
Sans doute de monter des expositions. Le monde du cirque va de place en place. Je change sans cesse en restant sur place ! J’apprécie le côté créatif de la scénographie. Voir évoluer le travail d’un artiste reste aussi un privilège. Les toiles récentes de Serge Labégorre, sans aucun repenti, sont absolument fabuleuses. Le temps n’a aucune prise sur lui. En réalité, être galeriste m’émeut toujours autant.
* Emile Sabouraud fait partie de l’exposition collective qui aura lieu à la galerie du 24 octobre au 6 décembre 2020. Par ailleurs, Danielle Bourdette est l’auteur, avec Lydia Harambourg, de « Sabouraud, de chair, de cœur et d’esprit », une monographie du peintre (Editions de la Librairie des Musées). Lydia Harambourg sera présente à la galerie pour signer l’ouvrage lors du vernissage, le 7 novembre.