Et que vivent les algorithmes !

Coproduction réalisée en partenariat avec le Chronus Art Center de Shanghai, l’exposition « unREAL – The Algorithmic Present » est actuellement à l’affiche de la HeK, à Bâle. Une vingtaine d’œuvres, sélectionnées par les commissaires Sabine Himmelsbach et Zhang Ga, offrent de découvrir la vie des algorithmes au fil de formes captivantes et le plus souvent surprenantes.

Stranger Visions, Heather Dewey-Hagborg, 2012-2013.

A la gare de Bâle, un tramway vous transporte en ligne quasiment droite jusqu’à la HeK. Installée dans un quartier aux accents industriels, la Maison des arts électroniques de la ville est un lieu accueillant. Pas aussi connue que le Musée Tinguely ou la Fondation Beyeler, elle n’en possède pas moins une programmation à la fois pointue et appréciée du grand public. Arts plastiques, musique, théâtre, danse ou design, l’institution ne veut pas choisir. Elle se consacre aux cultures numériques et aborde des sujets de société, notamment les problématiques nées de la numérisation, à travers des expositions, des festivals, des concerts, des performances et nombre d’actions pédagogiques. Jusqu’au 20 août, unREAL – The Algorithmic Present propose une remarquable sélection d’œuvres qui révèlent la vie cachée des algorithmes. « Avec l’avènement de l’utilisation massive d’Internet et le recours omniprésent aux appareils numériques, le continuum espace-temps généré par la technologie a largement transformé notre représentation de la temporalité et de la spatialité, du travail et du jeu, de la politique et de l’économie. La réalité a atteint un niveau inégalé de complexité, dans lequel la définition de catégories et l’attribution de significations n’est pas chose aisée. L’exposition cherche à interroger de façon critique le présent numérique à travers les moyens de l’intervention technologique. Les 24 œuvres d’artistes internationaux* mettent en évidence les processus algorithmiques qui constituent notre quotidien numérique », explique en résumé Sabine Himmelsbach et Zhang Ga, les commissaires de l’événement.
A l’entrée de l’exposition, six visages sans tête surplombent six coffrets noirs et ouverts. A l’intérieur : une photo, un relevé de résultats d’analyses, une date, une adresse et un chewing-gum mâchouillé, un mégot ou tout autre matière ayant été en contact avec l’individu représenté. Les visions d’Heather Dewey-Hagborg (Stranger Visions, 2012-2013) naissent des traces d’ADN involontairement laissées sur les objets collectés par l’artiste dans des lieux publics et analysés par un laboratoire de biologie. Le travail de l’Américaine témoigne de la réalité de l’empreinte génétique et, selon Sabine Himmelsbach et Zhang Ga, met en garde contre la capacité de telles avancées à développer « la surveillance biologique ». Ce qui frappe avant tout ce sont ces visages émergeant d’un génotypage habituellement matérialisé par une succession de séquences « graphiques ».

Modular n°1, Pe Lang, 2017.

A deux pas, une structure de métal composée de multiples grilles de fils de silicone tendus à l’horizontale, sur lesquels des joints toriques coulissent, projette ses formes anguleuses sur les murs blancs. Entraînés par un programme, les anneaux se déplacent le long des câbles et, par moment, se télescopent. La sculpture modular nº 1 (2017) de Pe Lang, animée par un courant tellu(numé)rique, diffuse un son de ruche ou de neige télévisuelle. L’artiste suisse revisite la forme du boulier en le rendant à la fois absurde et en mouvement perpétuel. L’Allemand Ralf Baecker, propose, quant à lui, une installation gorgée de science. Cet horizon fluctuant intrigue. Que traduit-il ? Rien de moins que les infimes changements du champ magnétique terrestre. Transformées par un algorithme, les données collectées forment un entrelacs de flux fantomatiques rouges. Mirage offre à chacun de traverser un paysage sur lequel le soleil ni ne se couche, ni ne se lève. Appelée en français le Polyèdre de Platon (Plato’s Polyhedron, 2017), l’œuvre de Wang Yuyang flotte dans l’espace. Le plasticien chinois s’appuie sur les démonstrations du philosophe grec, qui associait chacun des quatre éléments (Terre, Air, Eau et Feu) avec un solide régulier, pour proposer sa vision géométrique de l’univers. Contrôlé par un programme, la structure composée de LED s’étire, se déforme, se déploie, bref, se transforme imperceptiblement. Les tubes lumineux sont au nombre sublime de 12. L’œuvre a été imaginée pour l’occasion.

πTon/2, Cod.Act, 2017.

De symboles en apparitions, la visite se poursuit et nous quittons la pénombre pour l’obscurité d’une très courte « antichambre » menant à un espace abordé sans préjugés, mais rapidement transformé en « piège ». Ce n’est pas au-dessus de nos têtes que siffle le serpent, mais à nos pieds qu’il se tord, s’enroule et s’approche. Les mouvements imprévisibles de πTon/2 (2017) – un tuyau flexible qui se mord la « queue » –, appuyés par une composition sonore des plus menaçantes produite par la forme animée, font passer au rouge tous les signaux d’alarme de l’animal qui sommeille en nous. Piégé dans cet espace réduit et malgré l’évidence d’un danger zéro, c’est avec soulagement que nous quittons la bête sans tête. L’installation de Cod.Act, duo d’artistes suisses composé d’André et de Michel Décosterd, a, elle aussi, été créée spécialement pour l’exposition. A peine le temps de reprendre son souffle et c’est notre vue qui est mise à l’épreuve. Est-ce un mirage ? Une forme noire flotte au-dessus d’un parallélépipède lisse de la même couleur. Ce morceau de paysage, dessiné à l’ordinateur et matérialisé grâce à une imprimante 3D, est maintenu dans l’espace par un système électromagnétique. Avec Limited Landscape, Unlimited Floating (2005), aaajiao plonge le visiteur dans la perplexité : ce que je vois ne se peut, mais pourtant… il tourne ! Un temps de doute vite dépassé laisse place à une contemplation consentie face à la magie de l’œuvre.

Dans une autre salle, l’étonnement est encore au rendez-vous. Zahra Poonawala propose une danse bien singulière avec une pièce composée d’un haut-parleur en céramique vissé sur un pied métallique arrimé à un socle. Le pavillon de The Fool’s Ballad (2016), telle une immense bouche, diffuse une chanson et s’attache au visiteur le plus proche. Avec cette pièce, l’artiste suisse poursuit ses recherches sur les relations entre son et espace. Quant à nous, on s’amuse à capter l’attention de l’objet, à déterminer si oui ou non il est interactif (il l’est). Et pourquoi diable, l’art ne pourrait-il pas être ludique ? Aussi.

Small Data (AZERTY), Daniel Canogar, 2014.

Toujours accompagné par la désopilante ballade, la série Small Data de Daniel Canogar capte notre attention. L’artiste espagnol utilise d’anciens appareils ou pièces du domaine informatique – disques durs, scanners, DVD et touches de clavier, par exemple – pour alerter sur l’obsolescence inhérente à toute technologie et à la perte de mémoire qui l’accompagne. Les œuvres présentées les unes à côté des autres sont comme des bijoux alignés. Chacune attise la convoitise. Une mention spéciale pour AZERTY (2014) dont la colonie de lettres se disperse, chacune d’entre elles cherchant la touche du clavier qui lui revient. Elles finiront par toutes être satisfaites, mais également s’enflammer. Et renaître tel le phénix.

Mirage, Ralf Baecker, 2014.

Terminons cette sélection par le projet TRANSFER Download : conçu comme un environnement immersif, il propose de découvrir une boucle composée de travaux de réalité virtuelle, d’œuvres en ligne et de vidéos générées par des algorithmes. Ce programme a été élaboré par la TRANSFER Gallery à New York et adapté pour unREAL – The Algorithmic Present. En guise de conclusion, quelques lignes de la quatrième de couverture d’un livre récent signé par le philosophe Mark Alizart : « L’ordinateur ne peut pas être réduit à un simple outil. L’informatique irrigue la vie, à laquelle elle fournit un programme. Elle donne forme à la matière, à son niveau le plus élémentaire. Elle sculpte nos pensées et notre conscience. Aussi bien emporte-t-elle une nouvelle ontologie, une nouvelle politique et même une nouvelle spiritualité. En elle s’accomplit la promesse d’une réconciliation entre les mots et les choses, les vivants et les morts, les humains et les non-humains. » Ce livre se nomme Informatique céleste. Une chance, vous n’aviez plus rien à lire.

* Artistes invités : aaajiao, AES+F, LaTurbo Avedon, Ralf Baecker, Daniel Canogar, Cod.Act, Heather Dewey- Hagborg, Kerstin Ergenzinger, Claudia Hart, Pe Lang, Rollin Leonard, Rosa Menkman, Lorna Mills, Harvey Moon, Carsten Nicolai, Eva Papamargariti, Zahra Poonawala, Sabrina Ratté, Fito Segrera, Rick Silva & Nicolas Sassoon, Phillip David Stearns, Daniel Temkin, Wang Yuyang.

Contact

unREAL – The Algorithmic Present, jusqu’au 20 août 2017, à la HeK, à Bâle en Suisse. Et du 12 novembre 2017 au 28 janvier 2018 au Chronus Art Center de Shanghai.

Crédits photos

Image d’ouvrerture : Plato’s Polyhedron (2017) © Wang Yuyang, photo MLD – L’ensemble des photographies et vidéos sont créditées MLD

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