Les paysages sonores de Teri Rueb

Depuis plus de 20 ans, Teri Rueb développe une démarche multimédia résolument inscrite dans l’espace public. La plasticienne américaine, qui enseigne à l’université de Buffalo, dans l’état de New York, s’intéresse plus particulièrement aux possibilités offertes par la géolocalisation et a développé de nombreuses applications interactives sonores basées sur la technologie du GPS. Les liens très concrets noués, lorsque nous nous y déplaçons, avec un environnement donné et sa mémoire sont au cœur de ses recherches. Teri Rueb évoque ici Other Order, une marche sonore conçue en 2014, et revient sur les grandes lignes de sa pratique.

« Other Order est une marche sonore à faire dans la prairie Bussey Brook de l’Arnold Arboretum, situé sur le campus d’Harvard aux Etats-Unis. Elle prend la forme d’une application (iOS et Android), enrichie d’une fonction de géolocalisation, qui prend en compte les déplacements du participant et lui communique des données sonores en différents points du lieu. Contrairement à la collection botanique soigneusement entretenue et exposée au regard des visiteurs, cette prairie urbaine est un espace où s’entremêlent spontanéité de la nature et interventions humaines. La marche sonore se propose de vous faire écouter un mélange de sons tirés ou inspirés de cet environnement, de conversations menées avec Peter Del Tredici, chercheur à la retraite et l’un des spécialistes de l’Arboretum Arnold, et de témoignages de promeneurs. Davantage qu’une visite guidée, ce projet offre un voyage à travers différentes époques, évoquant les plantes, les animaux et les hommes qui ont participé à la vie du lieu et mettant en exergue l’évolution dans le temps de notre rapport à la nature en milieu urbain. Cet entremêlement de l’espace et du son, ainsi que le potentiel interactif particulier offert par le réseau mobile dans l’espace public, occupent le cœur de mes recherches et de ma démarche créatrice. J’ai toujours été intéressée par le fait d’intervenir dans l’espace public. Dans les années 1990, je concevais des installations dans des lieux aussi divers que des épiceries ou des cabines téléphoniques. Chaque intervention impliquait une forme d’interactivité avec le visiteur. Je procédais également déjà à des enregistrements via des téléphones publics ou des portables que je diffusais par l’intermédiaire d’un répondeur. En 1995, j’ai débuté un doctorat à la Tisch School of the Arts, à New York, dans le cadre du programme Interactive Telecommunications ; j’y ai découvert tout un nouveau panel de médias qui ont élargi mon horizon en termes d’espace public. Quand le GPS est devenu accessible en 1996, j’ai tout de suite été intéressée par sa capacité à capter le mouvement et les possibilités que cela laissait entrevoir pour déclencher des événements, grâce aux terminaux mobiles, au fil d’une simple balade à pied. Il s’en est suivi une succession de projets in situ de toutes sortes, mais j’étais plus particulièrement attirée par l’utilisation interactive de sons comme d’une forme de couche supplémentaire permettant de réinterpréter des environnements quotidiens en y adjoignant subtilement une dimension sociale, politique, historique, géologique ou encore poétique.
Art et technologie ont selon moi toujours été étroitement liés, même si, au cours de l’histoire, la pensée occidentale a régulièrement fait la distinction entre pratique et théorie, ou entre savoir et production. Rappelons que le mot technologie est dérivé du grec technè, qui évoque le fait de fabriquer, produire, créer… D’ailleurs, la réflexion contemporaine sur le sujet tend à de nouveau entremêler les notions d’outils et de pratique. Si son évolution a forcément été influencé par celle des technologies, mon travail n’y a jamais été conditionné pour autant. Il est avant tout lié au territoire, au paysage, à l’environnement, autant d’éléments que nous avons en partage, dépositaires de multiples, et parfois conflictuels, composants culturels. Créer des espaces pour faire émerger et mettre en débat ces composants, est un challenge passionnant et fascinant qui continue à motiver ma pratique. »

Crédits photos

Image d’ouverture : Un visiteur expérimente Other Order sur le campus d’Harvard, à Boston (2014) © Teri Rueb et Peter Del Tredici, photo Soyoung Kwon

Retrouvez Teri Rueb sur le site Gallery Locator.

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