Dominique Gauthier : le fil du dessin, lignées de peinture

Le musée Fabre consacre une exposition à Dominique Gauthier, un presque enfant du pays, né à Paris, mais vivant en région depuis longtemps. Au fil des collections est conçue comme une rétrospective sur plus de quarante ans de peinture. Développant un intérêt très sûr pour l’art contemporain, particulièrement depuis sa réouverture, l’institution constitue un fonds de référence au sein duquel Gauthier vient compléter le compagnonnage d’avec les deux piliers du sud que sont Claude Viallat et Vincent Bioulès. A découvrir jusqu’au 28 août.

Exposition importante pour la construction historique des collections contemporaines, Au fil des collections est présentée de façon chronologique et permet un abord de l’œuvre quasi pédagogique. Elle démarre dans la salle Richier, éclairée d’une lumière plongeante et douce semblable à celle d’un édifice religieux. C’est cette sensation qui a inspiré Gauthier et à laquelle il a tenté de répondre par une problématique architecturale qui lui est malgré tout familière. Celle du rapport entre peinture et architecture, bonne question s’il en est, quand on considère les merveilleux ensembles de l’art primitif italien ornant les murs et voûtes des édifices. Mur/sol/plafond a donc été pour l’artiste un protocole résolutoire nourri par la lumière pour installer sa « chapelle ». Nous sommes donc accueillis sous un vélum de dix mètres simulant une voûte peinte à fresque avec un superbe L’Hostinato. Il a réalisé ce vélum à partir du plan de la colonnade du temple d’Apollon. Dominique Gauthier est un artiste cultivé et ses connaissances lui servent d’engrais pour mieux entrer en peinture. Treillis complexe de lignes et de correspondances symétriques, cette œuvre « annonce » les murs comme les murs croissent de leur sol. Dans cette salle, l’idée d’un programme est donnée qui sera développé au troisième étage dans les salles Fournier. On peut remarquer qu’en « toute innocence », le nom de ce grand galeriste, ainsi fixé dans les salles d’un musée, ne peut que convenir à la présence de Gauthier, qui fut très tôt défendu par Jean Fournier, lequel a fait don d’une toile de sa collection au musée.

L’Hostinato, 1992-2001. Acrylique, crayon de maçon sur toile, 350 × 350 cm. ©Dominique Gauthier

Cette première salle donne un éclairage sur les pratiques diversifiées de sa peinture. C’est plutôt le mot protocole qui devrait être employé car Gauthier se contraint volontairement, prépare ses tableaux par une longue élaboration de principes, de techniques et de procédés, qui ont changé avec les différentes périodes. Après avoir commencé avec les Opéras dans les années 80, œuvres sans châssis, très colorées faites d’encres, de collages, d’acrylique, gaze (présentées dès 1980 à la Biennale de Venise), les Hostinato, grandes toiles aux formes concentriques, occupent une place importante. Elles sont à l’origine d’un procédé sur lequel l’artiste revient de temps à autre, à savoir l’usage de clous, de cordelette et de crayons, ce qui lui permet une ritualisation et de faire en sorte lorsqu’il procède avec de la peinture, d’en accepter les accidents, de recycler ces aléas comme s’il s’agissait d’un motif. Les œuvres montrent une grande rigueur de tracés très satisfaisante pour Gauthier qui en tire un apaisement, quand, grâce à cette répétition et cette rigueur d’exécution, il libère un mystère, une question comme il le dit lui-même. Le dessin est d’une grande acuité et révèle le projet mental, il est trait et forme, développement et concentration, un puzzle de résistances concentriques, qui conduit à une trame plastique légère, ouverte et sensuelle. Les extraits de périodes proposés dans ce rez-de-chaussée du musée sont accrochés sans le moindre heurt avec un sens aigu de la compréhension du geste de peinture. Il n’est pas toujours aisé de confronter les périodes différentes d’un artiste et le fil de la continuité s’est installée dans le parcours de l’exposition.

Les Opéras, 1981. Acrylique sur gaze et toile collées, résine synthétique, 300 × 400 cm. ©Dominique Gauthier

Il faut avoir passé Courbet, Bazille et les autres pour accéder aux peintures actuelles. Mais sans les enjamber car ce serait négliger l’histoire de l’art si majeure pour cet artiste actuel. La justesse de l’accrochage dans les salles qui suivent et la précision des références historiques participent au plaisir de la visite. C’est d’ailleurs moins une visite qu’une promenade en peinture, chacune des salles est une halte documentée, une pause savante entre couleurs et mots. Dominique Gauthier réussit à faire corps avec, entre la tradition picturale et les modes d’expression contemporains. Je pense particulièrement aux peintures intitulées Les provisions après Cimabue (1989-2000) aux airs de retables païens jusqu’aux Réponses, où le cadre est représenté sur le tableau par une bande de couleur (2003), en passant encore par les Enoncés Histoire (1998-2020), série remarquable d’encre et collages sur papier. Il semble avoir absorbé les leçons historiques aussi bien que les interrogations plastiques contemporaines. Ce faisant, il en ressort une peinture pensée, posée, où la spontanéité n’est pas de mise, à juste raison, et rejoignant en cela les réflexions profondes sur le motif, le sujet, la mobilité de la peinture. Tout en étant devenu mobile depuis si longtemps, le tableau s’arrache de ses supports pour devenir découpe, orientations, graphismes, et échange ses caractères connus avec la légèreté, l’absence de châssis, l’absence de pinceau, la convocation du temps (lorsque la peinture se fait en son absence), etc.

Les Provisions après Cimabue, 1988-1989. Acrylique, stuc et résine sur toile, 250 × 230 cm. ©Dominique Gauthier

L’œuvre de Dominique Gauthier se redécouvre en permanence, sans lassitude. Sa recherche technique l’a conduit à fabriquer une « machine à peindre », reprenant de façon critique non seulement les lois de l’imitation, qui ont traversé l’histoire de la peinture, mais en évoquant surtout une forme d’automatisme interdit à l’art, pour la « définition » duquel l’investissement total de l’artiste est requis. Loin de se réduire à la chute aléatoire de la couleur à distance des toiles, la charge savante est le fil conducteur de cette œuvre. Comment ne pas regarder la peinture de Cimabue, de Bellini, comment ne pas accéder à Médée, à Orphée, lorsque tout au long de sa pratique les mots se cousent aux expressions plastiques ? Cet ensemble révèle une idée de raffinement, voire de luxe comme défini par les tisserands si chers à Matisse : « Un bien au-dessus de l’argent et à la portée de tous »*, faisant référence à la qualité décorative des couleurs, et à la juxtaposition inédite de motifs.

Ne craignant jamais de prendre les risques de la peinture, en suivant la logique de ses propres questions, Dominique Gauthier est un artiste très exigeant sur la précision, sur ce qui peut être produit dans la plus grande maîtrise. Il le montre depuis le début, depuis sa pratique du dessin comme forme majeure du projet artistique jusqu’à son transfert dans des problématiques de couleurs, de support, de mythes, de références hétérogènes où la peinture rassemble ses contraires.

*Matisse inconnu, 1869/1908, Hilary Spurling, paris, éd. du Seuil, p.37

Les Réponses, 2003. Acrylique, laque et résine sur toile, 200 × 195 cm. ©Dominique Gauthier

Contact> Dominique Gauthier, au fil des collections, jusqu’au 28 août 2022, au Musée Fabre, à Montpellier.

Image d’ouverture> Les Orphiques III, 2018. Acrylique, laque et vernis sur toile, 265 × 250 cm. ©Dominique Gauthier

 

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