Jusqu’au 29 septembre, les Rencontres d’Arles enchantent les passionnés de photographie avec une programmation de grande qualité complétée par de nombreux événements qui profitent de la notoriété de la manifestation, que son directeur Christoph Wiesner qualifie volontiers de « sismographe », tant les photographes sélectionnés donnent à voir le monde dans tous ses états. A la faveur de cette 55e édition du festival, ArtsHebdoMédias vous propose de découvrir le travail de Debi Cornwall, exposé à l’espace Monoprix. L’artiste conceptuelle fouille les systèmes invisibles en superposant des images fixes et animées avec des documents d’archives.
Sous la surface. C’est sous ce titre que Christoph Wiesner, directeur des Rencontres d’Arles a choisi d’introduire la présentation de cette 55e et très riche édition de la manifestation. Il ne pouvait être mieux inspiré tant la trentaine d’expositions qui constituent cette année le parcours arlésien semblent toutes nous conter les récits d’un monde où les images ne suffisent plus à témoigner de la réalité, mais tentent le plus souvent de tricher avec les apparences comme pour mieux détourner notre regard. Jamais autant qu’aujourd’hui et ici la photographie ne nous sera apparue à ce point support à fiction, se faisant davantage même objecteur de vision.
Debi Cornwall est de mon point de vue l’une des meilleures représentantes de ce courant d’expressionnisme visuel, qui n’a de cesse de s’infiltrer dans les interstices et les failles que cultivent notre humanité. Après une carrière de 12 ans dans le droit civil, cette photographe américaine qui se définit comme artiste documentariste conceptuelle, a choisi de fouiller et révéler les systèmes invisibles qui infiltrent nos sociétés, en mêlant et entremêlant images fixes et animées avec des témoignages et matériel d’archives. Elle dit s’intéresser à la manière dont le pouvoir fonctionne, et cherche à trouver des moyens de visualiser, d’éclairer et de poser des questions sur ces systèmes mis en place par l’état américain. Son premier projet et aussi premier livre, qui portait sur la station navale américaine à Guantanamo Bay, lui a, dit-elle, donner un premier aperçu de l’exercice du pouvoir par l’État. Une véritable révélation qui lui a donné l’envie de poursuivre ses investigations sur le système américain.
Son deuxième projet de livre intitulé Necessary Fictions, constituant la première partie de l’exposition qui lui est consacrée dans l’Espace Monoprix, porte sur les jeux de guerre mais aussi selon elle sur une société dans laquelle la réalité et la fiction sont de plus en plus brouillées au quotidien, et où le recours à des fictions pour gérer des réalités difficiles est de plus en plus fréquent. Parcourant une dizaine de bases de l’armée américaine, Debi Cornwall a immortalisé les incroyables décors qui constituent un pays imaginaire nommé « Atopia », où des militaires testent des scénarios d’entraînement. Toutes les images évoquent des zones de guerre, des scènes sous tension, villages désertés, cadavres dans les rues… mais rapidement surgit le doute, des uniformes trop propres et blessés à l’allure détendue, jusqu’aux bâtiments flambant neufs. Sous la surface quasi cinématographique, s’immisce la question d’une population fictive constituée paradoxalement de civils afghans et irakiens ayant eux-mêmes fui la guerre, pour se prêter, dans ce cadre totalement surréaliste, à des jeux de reconstitution, au service de l’armée américaine. D’un côté, de véritables soldats se préparant à l’art de la guerre, de l’autre des victimes pas si fictives que cela, « réactivées » dans une sorte de réalité augmentée qui dépasse de loin les combats des jeux vidéo.
Contact> Debi Cornwall-Citoyens modèles, Rencontres d’Arles, Espace Monoprix. Les expositions des Rencontres d’Arles 2024 sont accessibles tous les jours de 10h à 19h30, du 1er juillet au 29 septembre inclus (dernière entrée 30 minutes avant la fermeture des portes). Bureau du festival, 34 rue du Docteur Fanton. Tous les jours de 9h30 à 19h.
Image d’ouverture> Vue de l’exposition Citoyens modèles de Debi Cornwall, Rencontres d’Arles, Espace Monoprix. ©Debi Cornwall, photo Lisa Le Corre