En 2014, l’Ikon Gallery, lieu d’art associatif installé à Birmingham, au cœur de l’Angleterre, a initié un programme de résidence d’artiste en partenariat avec la prison pour hommes de Grendon, située au nord-ouest de Londres et connue pour être un établissement pénitentiaire à environnement thérapeutique unique en Europe. C’est dans ce cadre que le photographe et plasticien britannique Edmund Clark présente In Place of Hate (A la place de la haine), une exposition conçue au terme de trois années de travail mené auprès des détenus et du personnel de la prison.
« Pourquoi, comment et où nous enfermons les gens sont autant d’indices permettant de comprendre en profondeur une société. J’ai essayé de refléter la manière dont nous voyons, ou pas, la criminalité et les prisons dans la Grande-Bretagne contemporaine, tout en évoquant l’expérience singulière d’individus engagés, à Grendon, dans un processus thérapeutique proche du panoptique psychologique. » S’intéressant depuis de nombreuses années aux thèmes de la surveillance, de la censure, de l’incarcération et de leurs effets – l’artiste a notamment travaillé sur le Camp de Guantanamo –, Edmund Clark a pour ce projet passé de longs moments au contact des détenus comme des gardiens et du personnel soignant, recueillant leurs propos, les impliquant dans son processus créatif, allant jusqu’à prendre part aux séances de thérapie collective, moments clés du quotidien de la prison de Grendon. Construit en 1962, l’établissement pénitentiaire n’accueille que des personnes condamnées pour des délits graves et violents ; à ces dernières de faire la demande administrative pour y être acceptées, la condition première étant d’assumer son crime. Les « résidents » s’engagent à suivre un programme thérapeutique à temps complet et se voient invités à participer à une vie communautaire basée sur des principes démocratiques et un comportement responsable des uns envers les autres. Chiffres à l’appui, le taux de violence à l’intérieur même de la prison et le niveau de récidive une fois la peine purgée sont tous deux plus bas que dans les autres prisons du Royaume-Uni. « Ce programme de résidence a été motivé par notre conviction que les arts peuvent constituer un moyen des plus efficaces d’engager le dialogue avec des criminels qui se sentent exclus du système éducatif comme de celui du travail, précise Jonathan Watkins, directeur de l’Ikon Gallery. C’est une façon de rompre un cercle vicieux. Car force est de constater que le taux élevé de récidive témoigne du dysfonctionnement général de notre système pénal. »
Ne pouvant légalement utiliser de photos dévoilant l’identité de détenus ou des détails du système de sécurité, Edmund Clark a articulé sa proposition autour de trois installations principales explorant les notions de visibilité, de représentation, de traumatisme et de l’image de soi. La première prend la forme d’une table lumineuse dessinant à hauteur de hanche les contours d’un rectangle ouvert et dévoilant un herbier d’une étonnante richesse. Son titre, 1,98 m2, évoque les dimensions exactes d’une cellule de Grendon ; toutes les fleurs, feuilles et autres plantes offertes aux regards ont été ramassées dans l’enceinte de la prison et mises à sécher sur place entre des serviettes en papier. My Shadow’s Reflection (Le reflet de mon ombre) réunit des photographies très grand format de quelques-uns de ces végétaux et de différents espaces de l’établissement pénitentiaire, ainsi que des images de détenus, projetées sur des draps, prises à l’aide d’un appareil à sténopé et avec un temps d’exposition de six minutes ; moment durant lequel les participants étaient invités à répondre à des questions sur leur vie actuelle et leur passé, les mouvements des visages provoquant peu à peu le flou du cliché final. Oresteia (Orestie) est une vidéo diffusée dans un environnement reproduisant celui d’une salle de thérapie de groupe de la prison ; elle met en scène des personnages masqués* – interprétés par des membres de l’équipe thérapeutique – entremêlant tragédie grecque – L’Orestie est une trilogie d’Eschyle – et histoires personnelles. « J’ai voulu, en quelque sorte, amener concrètement l’environnement pénitentiaire dans l’espace d’exposition, explique Edmund Clark, ce afin d’impliquer le visiteur, de tenter de lui faire appréhender ce que pouvait être l’incarcération. » Ces questions de la perception de la prison et de la justice criminelle par le grand public, les médias, le monde politique et de la possibilité qu’ont les artistes de l’influencer seront au cœur d’un symposium organisé lundi 12 février à l’Ikon Gallery autour d’un panel de plasticiens, critiques, anciens détenus et criminologues. L’événement est en accès libre, mais sur réservation au lien suivant : https://ikon-gallery.org.
* Le psychodrame est l’une des principales thérapies créatives utilisées en milieu carcéral.