Vendredi 24 février 2023, en présence de Viktoriia Gulenko, attachée culturelle de l’Ukraine, a été dévoilée dans la cour d’honneur de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, une toile de Jean-Pierre Raynaud en hommage à la résistance ukrainienne. Exposée face à une reproduction à l’échelle 1 de Guernica (1937), l’œuvre conceptuelle, de mêmes dimensions, fait écho à la célèbre peinture de Picasso, devenue un symbole universel de dénonciation des oppressions par l’art. Visible jusqu’au 24 avril, l’œuvre de Raynaud sera ensuite offerte à l’Ukraine.
L’appel de Zelensky à la Biennale de Venise
« 100 000 morts en Ukraine, que peut-on faire ? », demande Baudouin Jannink, directeur des éditions Jannink, à l’initiative de ce projet. Depuis un an déjà, cette guerre sévit en Europe. Le 24 février 2022, la Russie de Poutine envahissait l’Ukraine. « Lors de la Biennale de Venise en 2022, le Président Volodymyr Zelensky », rappelle Baudouin Jannink, « exhortait le monde de l’art à soutenir l’Ukraine ». Touché par cette sollicitation, ce dernier a souhaité y répondre en invitant l’artiste Jean-Pierre Raynaud à dialoguer avec la toile iconique de Pablo Picasso qui avait peint Guernica en pleine guerre civile espagnole, dénonçant l’horreur de la guerre et de l’oppression nazie. « Pour moi, aider signifiait donner une toile à l’Ukraine », confie l’éditeur. Quant au choix de l’artiste, poursuit-il, « Jean-Pierre Raynaud est l’opposé radical de Picasso. S’il avait été figuratif, il y aurait eu concurrence. »
« Avant d’être une œuvre d’art, c’est un élan », commente l’artiste connu pour ses pots de fleurs XXL et ses structures en carreaux de céramique blanche, au sujet de la pièce dévoilée dans la Cour d’honneur de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Être ici me parait plus important que d’être présent dans une rétrospective d’un grand musée international », poursuit-il avant d’évoquer son propre parcours. « Je suis né un an avant la Seconde Guerre mondiale, et, deux ans plus tard, je perdais mon père à la guerre (…) Ceci peut expliquer la violence de mon travail mais aussi son revers, c’est-à-dire la volonté que la violence ne nous submerge pas. »
Yann Toma, artiste-observateur de l’ONU et directeur de la Sorbonne Artgallery, rappelle justement « la liberté que nous avons et qu’ils n’ont plus en Ukraine » : « L’art se transmet, l’art est un média et l’art va inspirer, je l’espère, toutes les personnes qui doivent contribuer à cette paix que nous souhaitons. » Dans son discours, Yann Toma évoque la Monadologie de Leibniz et les éléments du monde composant un tout, indiquant que « nous sommes un plus un » et que nous devons apporter « notre singularité pour que notre société évolue. » Ainsi, « l’acte rappelle que le modèle individuel est la possibilité d’aboutir à un acte collectif. »
Le sens de l’œuvre de Jean-Pierre Raynaud
La représentation de Guernica est une impression photographique à l’échelle 1, et l’œuvre de Jean-Pierre Raynaud, sans titre, est une impression sur toile. Placés face à face, les deux tableaux mesurent précisément 7,77 mètres de long par 3,49 mètres de large pour rendre ce dialogue artistique plus sensible. Le sens interdit central, signe intégré dans le travail conceptuel de Jean-Pierre Raynaud dès les années soixante, se voit doublé d’un demi sens interdit sur la gauche, et flanqué de deux rayures noires verticales à droite. La composition se livre, se lit, comme une énigme. Le sens interdit, repris pour moitié sur la gauche, signifie ici l’infini : « Détail de quelque chose de plus vaste ». De même que pour les verticales noires à l’opposé. « Les proportions sont extrêmement calculées », complète l’artiste, qui a travaillé l’espacement rigoureusement, avec des écarts identiques entre les sens interdits alors qu’entre les barreaux, il a doublé l’écartement. À la suite des deux barreaux, l’écartement change justement pour signifier symboliquement « la dimension du possible ».
Pourquoi le sens interdit ? Il s’agit d’abord d’un rappel des signes de son vocabulaire plastique puisque l’artiste l’intègre dès 1962 dans sa démarche : « C’est un signe que l’on rencontre dans le monde entier, un signal universel compris de tous, comme les barreaux d’une prison le sont aussi. » Car les bandes verticales noires évoquent effectivement des barreaux. Mais c’est surtout « la dualité des signes », qui intéresse Jean-Pierre Raynaud : « Les barreaux sont-ils là pour nous emprisonner/oppresser ou pour nous protéger ? De même, le sens interdit, est-ce une impossibilité ou bien une protection ? » Et de conclure : « Je pense à la jeunesse internationale, c’est elle l’espoir. Vive l’art et vive la créativité. »
« Non la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements, c’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. » Pablo Picasso
Contact> 1937-Guernica/Ukraine-2022, Sorbonne Artgallery, jusqu’au 24 avril 2023, Cour d’honneur, 12 place du Panthéon, 75005 Paris.
Image d’ouverture> Jean-Pierre Raynaud dans la Cour d’honneur de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le vendredi 24 février 2023. ©Photo AB