Dans le calme et le silence
d’El Anatsui

Dans le cadre de la Saison Africa 2020, le Centre des monuments nationaux donne carte blanche à El Anatsui. Sous les voûtes séculaires de la Salle des Gens d’Armes, l’artiste ghanéen a imaginé une installation poétique créée pour l’occasion. Propice à la méditation sur le temps qui passe, l’œuvre entre en résonance avec l’histoire du palais de la Cité, son environnement, et son architecture médiévale. La création in situ fait appel à cinq éléments de la nature : l’eau, le vent, le bois, le métal et la pierre. À travers cette exposition, El Anatsui souhaite favoriser la réappropriation du lieu par tous et permettre à tout un chacun d’en réinventer l’histoire. « Je crois que quand un être humain touche quelque chose, il lui transmet une forme d’énergie ; il y a donc un lien entre tous les gens qui ont manipulé l’un de ces multiples éléments. J’ai le sentiment, à travers mon œuvre, de rattacher ces personnes les unes aux autres et plus largement de créer du lien entre l’humanité tout entière », expliquait l’artiste en juillet dernier. « En quête de liberté » se déploie jusqu’au 14 novembre à La Conciergerie, à Paris.

L’entrée de l’exposition, par le 2 boulevard du Palais, nous plonge dans la salle dite des Gens d’Armes, sans demi-mesure. Dépouillé, le dispositif scénique de l’exposition est décliné en deux compositions, l’une au sol et l’autre sur les murs. Les tentures, dont la présence est imposante, occupent les alcôves, les cheminées, les structures. Savamment réalisées, elles portent des impacts, des cicatrices, parfois de couleur vive pour se démarquer du reste et incarnent ainsi le temps qui passe. Des reflets métalliques dorés scintillent, ils résultent du matériau utilisé. El Anatsui n’est pas le seul à le travailler. Dans ses ateliers plusieurs assistants contribuent au façonnage de capsules de bouteilles usagées, de boites de conserve. Ils les ouvrent, les roulent, les plient, les pressent, les perforent et les assemblent avec des fils de cuivre, tel un tissage, pour élaborer des œuvres qui s’interrogent sur l’histoire, l’environnement, la mondialisation et la surconsommation.

En quête de liberté, détail de l’installation, El Anatsui, 2020. ©Eric Sander – CMN

Au sol, deux installations parallèles suggèrent les deux rives de la Seine qui coulent avec un léger chuchotement, selon un agencement formel combinant lumière, vidéo et un tissu maculé de particules finement argentées. Flot sans vague qui fait jaillir chez le regardeur une quiétude magique. Des roches (solidité, stabilité, durée versus poussière, fragilité, érosion, transformation), à l’assise confortable, réparties ici et là, invitent le public à un moment de pause, à une interaction avec le cheminement narratif de l’artiste, à une appropriation de l’histoire à venir du monument. Une connivence se dégage entre la mobilisation du lieu, la Salle des Gens d’Armes désormais restaurée et la proposition artistique de ce « monstre sacré » qu’est El Anatsui. A ce point, le visiteur est assurément au cœur d’En quête de liberté, dont il goûte le possible double sens de quête et d’enquête. Les lieux historiques sont un héritage, ils offrent du recul et relient à d’autres. Ils soulignent notre temps court sur Terre. Nous voilà au cœur de la proposition d’El Anatsui, entre l’« universel latéral » défendu par Maurice Merleau-Ponty et la « mondialité » soutenue par Édouard Glissant.

En quête de liberté, détail de l’installation, El Anatsui, 2020. ©Eric Sander – CMN

Lors de la 56e édition de la Biennale de Venise, Tous les futurs du monde, en 2015, dont le commissariat général était confié à feu Okwui Enwezor, le Lion d’Or a été attribué à El Anatsui pour l’ensemble de son œuvre. Après le photographe malien Malick Sidibé, distingué lors de la 52e édition, en 2007, l’artiste ghanéen est le deuxième Africain à être récompensé pour l’ensemble de sa carrière par la Biennale. Cette récompense marque la singularité d’une œuvre au carrefour de la tradition, de l’innovation, du respect de l’environnement, qui déjoue la surconsommation au bénéfice du faire ensemble. Son œuvre Zebra crossing, sélectionnée par pavillon ghanéen pour la Biennale de Venise 2019, a remporté un franc succès. A noter également qu’El Anastui a été invité plusieurs fois au Centre d’art et de nature du Domaine de Chaumont-sur-Loire.
A La Conciergerie, sa proposition affiche une volonté de s’affranchir des faits historiques pour ne retenir que le questionnement sur un destin commun mêlant l’intelligence, le spirituel et le sensible. Collisions mémorielles et fantômes de la prison désormais esquivée disparaissent au profit d’une vision transcendante. El Anatsui s’applique à déceler ce qui nous unit et non à souligner nos différences. Cette carte blanche, sans démesure, suggère un temps de pause, où le visiteur loin de l’agitation urbaine prend tout simplement le temps de regarder. Une expérience contemplative qui impose calme et silence.

En quête de liberté, détail de l’installation, El Anatsui, 2020. ©Eric Sander – CMN

Hafida Jemni Di Folco est directrice du département Arts visuels d’Afrique à l’IESA / Curatrice indépendante  / Expert en Commercialisation et  Diffusion d’œuvre d’Art Contemporain 

Contact

En quête de liberté – Carte blanche à El Anatsui, à La Conciergerie, à Paris, jusqu’au 14 novembre, de 9h30 à 18h (dernier accès 45 minutes avant la fermeture). Ouvert tous les jours. Manifestation organisée avec le soutien du Comité des mécènes de la Saison Africa2020 et de l’AFD.

Crédits photos

Image d’ouverture et toutes les photos : En quête de liberté, détail de l’installation, 2020. El Anatsui ©Eric Sander – CMN