Cosima von Bonin au Mudam : une expo complètement dingo !

Complètement dingo ! Ce sont les mots qui nous viennent à l’esprit dès l’entrée du Mudam, transformée ici en un aquarium aussi spectaculaire que fantastique, où Cosima von Bonin a choisi d’installer ses étranges créatures marines sous deux tables géantes plutôt que sous l’eau. D’emblée, nous voici plongés dans l’univers de cette artiste hors normes qui, comme on le verra dans la suite de cette vaste exposition intitulée Songs for Gays Dogs, aime convoquer autant les célébrités de l’univers du dessin animé que les animaux qui nous sont les plus familiers, afin de questionner à sa manière les dérives de notre société.

Un curieux voyage commence alors, de cette plongée aquatique qui se prolonge au premier étage du musée, avant que de croiser un instant Bambi, pour terminer sur quelques saynètes bien choisies les aventures de l’un des plus exécrables personnages de Tex Avery, le bien nommé Daffy Duck, révélateur décomplexé de toutes les imperfections humaines. Sous des airs presque fantaisistes, mais avec une certaine cruauté propre aux contes de notre enfance, Cosima von Bonin décrypte le monde d’aujourd’hui, à la fois grotesque, et, pourrait-on même dire, ubuesque, afin de nous le dévoiler au grand jour. Sous une apparente légèreté, s’imposent à nous les questions existentielles qui hantent notre quotidien, et ressurgit l’humeur sombre qui domine notre époque empoisonnée par les rapports de pouvoir, notre consommation de masse, l’individualisme, le racisme et les guerres qui partout font rage. Derrière le tableau joyeusement coloré, où semblent s’épanouir des sculptures peluches aux formes molles et indolentes, se cachent les ressorts d’un monde prêt à exploser à tout moment.

Vue de l’exposition Cosima von Bonin : Songs for Gay Dogs, Mudam Luxembourg. ©Photo Mareike Tocha, Mudam Luxembourg

Ainsi les fusées ou roquettes semblables à de gros jouets aux couleurs vives, qui poussent partout tel des champignons, constituent-elles les indices du rapport critique de l’artiste aux idéaux de militarisation. Le conciliabule de poissons et requins géants disposés en cercle, intitulé What if it barks (2018), qui se tient dans l’une des grandes salles, interroge, lui, à sa façon festive, notre rapport à l’inconnu et le désir de domination des humains. En empruntant aux icônes pop afin d’élaborer un discours, en apparence ludique, mais tout à fait irrévérencieux, Cosima von Bonin cultive avec une belle pointe de dérision l’art de la métaphore, et nous entraîne malgré nous dans une dystopie plasticienne tout à fait étonnante. Tous les indices sont là d’un monde qui bascule, mais le message est brouillé par la douceur des œuvres et la relation tout à fait factice qui s’installe de par le masque pourtant évident des personnages qu’elle choisit de mettre en scène. L’affect, qu’implicitement nous leur portons, crée sans aucun doute une distorsion entre le discours émis et ce que nous en percevons, renforcé encore par la sensation de démesure et la nature même des matériaux utilisés, que ce soit peluche, tissus imprimés, ou plastique brillant. Puisés avec brio dans le monde de l’enfance tous les animaux aux traits anamorphiques ne sont bien sûr faits que pour être intelligibles aux adultes. C’est là le fameux tour de passe-passe d’une artiste pour le moins engagée, mais qui s’applique à faire passer ses messages avec belle et complaisante douceur.

Vue de l’exposition Cosima von Bonin : Songs for Gay Dogs, Mudam Luxembourg. ©Photo Mareike Tocha, Mudam Luxembourg

Comparant les galeries de musée aux rayons d’un supermarché, Cosima von Bonin s’amuse à les remplir d’œuvres, qui semblent ici, dans les méandres du Mudam, s’animer pour constituer un véritable parc d’attractions pour grands enfants que nous sommes. Cette quasi rétrospective où des pièces historiques, à l’instar du bikini géant Bikini Loop #2 (1994-2007), se mêlent à des travaux plus récents, voire tout juste réalisés pour ce Songs for Gay Dogs, permet de mieux comprendre et apprécier une stratégie esthétique à la fois subtile et complexe, qui évite la polémique, tout du moins frontale, pour nous interroger avec douceur sur nos propres doutes, remises en question et incertitudes quant à notre société actuelle. Il semble aussi important à préciser, que toutes les pièces textiles que l’artiste nomme « ses chiffons » sont confiées à de grandes couturières, ce qui selon l’historienne d’art Isabel Rith-Magni, « lui permet de pouvoir mieux les détacher de leurs contextes aux origines “artisanale” et “domestique” et contribuer à la recherche de nouvelles formes d’expression et d’esthétique ». Encore un joli paradoxe pour cette plasticienne décidément inclassable qui, sans avoir l’air d’y toucher, se plaît à transformer le « mignon » en œuvre, sinon politique, ô combien inquiétante et par là même dérangeante !

Vue de l’exposition Cosima von Bonin : Songs for Gay Dogs, Mudam Luxembourg. ©Photo Mareike Tocha, Mudam Luxembourg

Infos pratiques> Cosima von Bonin, Songs for Gays Dogs, jusqu’au 2 mars 2025, au Mudam Luxembourg, 3, Park Dräi Eechelen, L-1499 Luxembourg-Kirchberg. L’exposition est également complétée par le CosiKino, programme de projections de films tous choisis par l’artiste en écho aux différents thèmes et motifs de son travail.

Image d’ouverture> Vue de l’exposition Cosima von Bonin : Songs for Gay Dogs, Mudam Luxembourg. ©Photo Mareike Tocha, Mudam Luxembourg