Chaumont-Photo-sur-Loire ou la nature magnifiée

La nouvelle saison photographique du Domaine de Chaumont-sur-Loire vient d’ouvrir ses portes. Au programme : les images spectaculaires d’Edward Burtynsky, qui attirent l’attention sur les blessures que l’activité humaine inflige à la Terre, la luxuriance inattendue des forêts tropicales d’Indonésie de Laurent Millet, qui s’offre comme une vision inspirée et plurielle des brocarts importés d’Orient, les magnétiques et décolorisés paysages de Tahiti de Letizia Le Fur, qui invitent le regard à plonger dans un monde flottant entre rêve et fiction, les cadrages poétiques de Nicolas Bruant, qui révèlent avec force et délicatesse la nature environnante, et les vues fantastiquement enneigées de Jens Liebchen, qui donnent à voir des arbres dessinés par la lumière et dressés en plein Tokyo. Chaumont-Photo-sur-Loire est à découvrir jusqu’au 23 février 2025. A noter qu’à partir du 30 novembre et jusqu’au 12 janvier, les visiteurs pourront également profiter de l’événement de fin d’année : « Noël au château-Rêves d’antan ». Pour la première fois, l’institution proposera une visite immersive et festive inspirée du Carnet d’une femme de chambre, découvert sur place pendant l’hiver 2001-2002, et dans l’esprit de la série Downton Abbey. C’est bientôt Noël !

African Studies, Études africaines, d’Edward Burtynsky, Galeries hautes, château

« Nous venons de la nature. Il est important d’avoir une certaine révérence pour elle car nous sommes liés à elle… Si nous détruisons la nature, nous nous détruisons nous- mêmes », affirme Edward Burtynsky en préambule de toute démarche artistique. Les photographies présentées au Domaine de Chaumont-sur-Loire sont emblématiques de  son œuvre dédiée à la défense de l’environnement. Depuis ses débuts comme mineur, ouvrier et photographe, son objectif s’attache à des « paysages industriels », portant les stigmates de l’action humaine (usines, carrières, champs pétrolifères…). Autre caractère commun aux sites qu’il photographie : leur beauté à couper le souffle – du moins envisagés du ciel. Son intention est claire : si ces images touchent par de multiples attraits, éclat des couleurs, harmonie quasi abstraite des formes, immensité du format dans lequel le regard peut plonger et, grâce à la haute résolution, se perdre dans le foisonnement des détails, l’objectif de ce travail n’est pas de plaire, car né d’une exigence éthique autant qu’esthétique. Ici, la beauté a mission d’éveiller : « Grâce à l’art, les êtres humains peuvent être beaucoup plus conscients de l’impact de leurs actions », explique l’artiste.

Edward Burtynsky dans les Galeries hautes du Château. ©Photo Eric Sander

Hespérides de Laurent Millet, Galerie hautes, château

Hybrides, les œuvres photographiques de Laurent Millet prennent racine dans l’espace via d’autres mediums, comme la sculpture, le dessin, ou l’installation in situ. Hors du temps, elles explorent une multitude de techniques de tirages, ambrotype, papier salé, cyanotype, gélatino- argentique et très récemment la gomme bichromatée. La fabrique de l’image, et par extension de l’imaginaire, est au cœur de ses recherches plastiques. Lors d’une résidence de création en Indonésie, l’artiste découvre de vertigineux rideaux de végétation dans des forêts tropicales sur des collines escarpées. Il est subjugué par cette profusion, densité, luxuriance, verticalité, et impressionné par le sentiment d’être à la fois entouré et rejeté par cette forêt. Une expérience qu’il traduit à son retour en France dans la série Hespérides, présentée à Chaumont-sur-Loire. Les tirages sont réalisés à la gomme bichromatée, procédé ancien de tirage photographique, en couches successives de gomme arabique et de pigments bleu et or. Ils traduisent le goût de Laurent Millet pour les papiers dorés gaufrés allemands du 18e siècle lesquels, au travers de représentations végétales, animales, humaines stylisées, convoquent la question de l’exotisme et celle de l’ornementation, du multiple et de l’imagerie populaire.

Laurent Millet dans les Galeries hautes du Château. ©Photo Eric Sander

Décolorisation de Letizia Le Fur, Galerie du Porc-Épic, château

Comme un peintre use de sa palette, Letizia Le Fur isole et transforme, corrige, ajoute, exalte les tonalités, les amplifie pour transcender le réel et créer une sensation de monde flottant entre le fantastique et le rêve. Sa quête d’harmonie et de beauté libère sa pratique, l’éloigne des codes en vigueur. Pour Chaumont-Photo-sur-Loire, l’artiste présente une sélection d’images appartenant à une série réalisée sur l’île de Tahiti et pour laquelle elle a expérimenté la disparition des couleurs. Les paysages étranges, à la nature parfois oppressante, perdent leurs chatoiements colorés. Le turquoise de la lagune, le vert de la forêt luxuriante, le rouge des hibiscus… disparaissent. De ces tableaux monochromes, émerge la beauté irréelle de lieux presque méconnaissables. Tahiti se révèle autre, telle une belle endormie. « Cette métaphore chromatique aborde la difficulté à maintenir éveillées culture et identité en territoire annexé. Ce projet interroge également les enjeux de représentation de la beauté et le fantasme des lointains. Tahiti, souvent idéalisée comme une terre d’exotisme et de splendeur, s’enveloppe ici d’une étrange torpeur tropicale, comme suspendue dans le temps. Chaque photographie évoque un paradis perdu où l’atmosphère cotonneuse d’une fin du monde peut sans doute nous rappeler les nuages d’un passé que l’on tente d’oublier. »

Letizia Le Fur dans la Galerie du Porc-Épic, au château. ©Photo Eric Sander

Arbres de Nicolas Bruant, Galerie basse de l’aile Est, château

Libéré de l’évidence et des représentations construites dans l’habitude, Nicolas Bruant laisse les identifications premières s’estomper, celles dont un regard inattentif s’accommode. Il ne se considère pas comme témoin, ne décrit pas, n’authentifie pas non plus. Il ne photographie pas ce qu’il voit mais ce qu’il éprouve. La photographie est une façon de libérer le regard de ce que le réel lui impose, elle est un moyen de réexaminer le monde. Pour ce faire, le photographe cherche à développer une « ligne » singulière : une ligne qui se préserve de l’anecdote, une ligne rigoureuse qui veut associer la géométrie et l’équilibre des masses. Il s’affranchit de la couleur pour travailler à partir d’une palette de nuances d’ombre et de lumière. La photographie en noir et blanc lui permet de rejoindre l’abstraction. Chaque élément devient le fragment d’une épreuve où les plans se confondent, et à partir duquel il tend à créer un nouveau geste figuratif. Au Domaine de Chaumont-sur-Loire, ce sont des arbres qui témoignent de son œuvre profondément humaniste. Cette série consacrée aux végétaux, peu importe qu’il s’agisse d’une armée de troncs ayant percé le sol forestier de Compiègne, ou bien un champ de baobabs en pays Dogon, propose une conversion du regard, en mettant en lumière le caractère expressif de chaque portion de sous-bois. Il rend manifeste la profonde discrétion du monde.

Nicolas Bruant dans la Galerie basse de l’aile Est du château. ©Photo Eric Sander

System de Jens Liebchen, Asinerie, cour de la Ferme

Jens Liebchen a étudié l’anthropologie sociale à l’Université libre de Berlin avant de se consacrer entièrement à la photographie. Deux choix qui demeurent intimement liés, la préoccupation plastique ne pouvant être séparée d’un intérêt pour les questions politiques et sociales. Ainsi, la série exposée au Domaine de Chaumont-sur-Loire a-t-elle été provoquée par un séjour dans la capitale du Japon, de 2010 à 2013. Au-delà d’une esthétique travaillée dans les moindres détails, System est un reflet de la société et de la culture japonaises. Dans le jardin du palais impérial, Liebchen a photographié des pins pendant une tempête de neige. Tels des tableaux, les images sont disposées de manière à fixer l’horizon toujours à la même hauteur et ce peu importe la combinaison choisie. Ainsi, System renvoie à la signification des arbres-miroirs d’une société japonaise formatée et au traitement artistique en série des photographies.

System de Jens Liebchen, Asinerie, dans la cour de la Ferme. ©Photo Eric Sander

Contact> Chaumont-Photo-sur-Loire, du 16 novembre 2024 au 23 février 2025.

Image d’ouverture> Vue de l’exposition African Studies, Études africaines, d’Edward Burtynsky, Galeries hautes, Château. ©Edward Burtynsky, photo Eric Sander

« Noël au château-Rêves d’antan », du 30 novembre et jusqu’au 12 janvier. ©Photo Eric Sander