Betye Saar à l’assaut des symboles

On croit reconnaître dans ses installations à la théâtralité étrange et ses divers sortilèges plastiques des résurgences New Age. Les mêmes codes et motifs astraux, mêmes couleurs psychédéliques, même imagerie occulte tout azimut. Mais Betye Saar, est-ce vraiment ça ? L’exposition Serious Moonlight au 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine se fait l’étendard d’une artiste au propos engagé, infusé dans un large éventail de symboles, qui forge des passerelles spatio-temporelles. En prise avec les questions raciales et sexistes à la fois trans- historiques et frontalières, que l’artiste expérimente elle-même depuis sa situation de femme noire, l’œuvre de Betye Saar – née en 1926 à Los Angeles – participe d’un mouvement de révolte, qui ne dissocie pas art et action.

D’où lui vient son langage et tout son univers crypté, encodé ? Et par quelle entrée les aborder ? L’artiste afro-américaine qui n’a pas fait le déplacement pour des raisons de santé investit le Frac Lorraine à Metz jusqu’au 22 janvier 2023 par la procuration de plusieurs de ses œuvres. Elle prend possession des lieux à pas de velours, satinés comme la robe de mariée orpheline et les drapeaux vaudous qu’elle déploie sur son passage.

Bien qu’incontournable, Betye Saar n’a été que peu présentée en France. Encore moins en solo show. On l’associe souvent au Black Arts Movement, et l’expose dans ce cadre. Un cadre qui lui convient et dont elle se réclame, mais qui n’en demeure pas moins étroit pour contenir ses travaux à plusieurs pistes de lecture. Installations générant des mondes parallèles, toiles peintes, broderies, archives intimes, documents d’histoire, objets chinés ou ramassés… Ils prennent autant de formes qu’ils recouvrent de perspectives.

Recomposant plus de 70 ans de parcours artistique, Serious Moonlight propose une traversée-éclair immersive dans le corpus de la prêtresse de l’objet glané, assemblé et réanimé d’une vie autre que biologique. On y retrouve aussi bien ses pièces évoquant l’histoire de la traite et de la diaspora africaine que d’autres plus personnelles comme un hommage à sa mère décédée. Avant tout, ceux qui s’intéressent aux théories intersectionnelles la connaissent. Tout comme le Frac Lorraine, à l’avant-poste de ces sujets dans le milieu pourtant peu précurseur des institutions. Il avait accueilli en 2015 l’exposition Body talk consacrée à six artistes africaines et leurs approches des féminismes.

Ses boîtes façon maisons de poupées aux contenus subversifs, comme celle abritant une figurine d’Aunt Jemima non plus esclave mais guerrière qui brandit une arme à feu, lui permettent de devenir visible. D’abord localement, sur la côte ouest américaine et Los Angeles, ville-monde qui lui ouvre lentement la voie vers une discrète reconnaissance internationale. L’artiste nourrit une fascination pour les espaces et scènes d’intérieurs, intimistes, rassurants d’où elle fait surgir un sentiment d’inquiétante étrangeté. Elle attire le regard sur les failles, les dangers, les menaces, les secrets qui se nichent dans le familier comme le foyer, la psyché, un être proche… Le diable (ici le mot n’est pas forcément péjoratif) se loge dans les détails.

Pour plonger dans le corpus de Betye Saar, il faut s’armer de patience, d’une acuité auto-suscitée, d’une concentration contemplative et introspective. S’attarder, scruter chaque élément du décor, interroger chaque référence, dénouer les sources mélangées… Primordial pour aborder l’œuvre, le visiteur doit consentir à donner de son temps et de son énergie. A les sacrifier comme une offrande, sans que rien ne lui précise de quelle gratification il sera comblé en retour.

Visite de Serious Moonlight par Fanny Gonella (directrice du 49 Nord 6 Est – Frac Lorraine), à gauche, et la commissaire Stephanie Seidel (ICA Miami), à sa gauche. ©Manon Schaefle

Pour composer son univers, Betye Saar s’est documentée, a voyagé, s’est laissée pénétrer de la mémoire et des cultures rencontrées. Elle a fouillé dans la grande histoire, celle de l’Amérique où elle est née, du commerce des esclaves, des migrations forcées. Et elle a creusé la sienne et celle de ses ancêtres. A gratté dans les profondeurs intimes, jusqu’aux entrailles du Moi, et exhumé une matière privée, vulnérable, une mémoire composite, tentaculaire et brumeuse.

Singulière, sa grammaire visuelle s’agence de motifs astraux ou ouvertement symboliques comme un serpent, une lune, une planète, et de mises en rapport des divers éléments entre eux par le biais de l’assemblage. C’est sa manière de composer des récits, sans avoir à passer par le langage et ses raccourcis, toujours trop direct, impudique, et en même temps trop général, imprécis. Elle est pour cela plus proche du langage internet, ses collages, gifs pailletés, icônes, emoji et pixels.

New Age, Betye Saar ?

Dans les années 1970, Betye Saar explore le Mexique, le Nigéria, s’intéresse au panafricanisme. Surtout, elle se rend deux fois en Haïti où elle découvre une culture syncrétique marquée par le vaudou et diverses autres traditions spirituelles et religieuses. A Los Angeles, on est alors en plein New Age dans les milieux de la contre-culture qu’elle fréquente, avant que celui-ci ne devienne mainstream. Ses nouvelles influences trouvent un écho dans l’intérêt montant pour les spiritualités alternatives, néo-païennes ou non-occidentales. Mais souscrire à cet amalgame nous ferait passer à côté de l’essentiel. Betye Saar apporte une nouvelle profondeur. Un engagement et une vision politique. Une histoire – puisqu’il est toujours question de cela avec elle.

Femme de sa génération, l’artiste ne renie pas ces esthétiques, ces formes émergentes mais jouent avec, et parfois se joue d’elles. Avec Houston Conwill et David Hammons, entre autres, elle a fait partie d’un collectif qui reliait sa pratique artistique à un processus rituel et de mise en circulation d’énergies. Elle a été très proche de Senga Nengudi, conceptrice de la performance Ceremony for Freeway Fets (1978) sous un viaduc d’autoroute. Par un dispositifs de musiciens, instruments, talismans, de confrontations simulées dans des chorégraphies, l’œuvre visait à dépasser et guérir la micro-société créée sous le périphérique des conflits de genre et des antagonismes sociaux entre le « masculin » et le « féminin ». L’espace bénéficiait aussi d’une énergie propre, étant aménagé tel une grotte primitive comme pour représenter un refuge épargné par la privatisation des espaces dans le monde d’au-dessus de la route.

L’autel devient le dispositif privilégié de Betye Saar. Ce média marque le passage, la perméabilité entre différentes dimensions de la réalité. Il évoque autant qu’il instaure un autre rapport au réel, des présences… Wings of Morning (Les ailes de l’aurore), autel en mémoire de sa mère disparue et plus largement des défunts, en propose un exemple. Sas connecté à l’au-delà matérialisé par des branches arquées encadrant une fenêtre sur un horizon irradié de lumière, l’installation invite les visiteurs à déposer un objet ayant un lien avec un proche disparu (photo, lettre, billet de concert, fleur…) L’œuvre s’augmente donc au fil de l’exposition d’offrandes dédiées au souvenir de quelqu’un. L’idée est de l’aborder comme un moyen de communiquer avec des présences, absentes pour l’heure.

Wings of Morning, œuvre collaborative. Vue d’exposition. ©Manon Schaefle

Wings of Morning matérialise une faille spatio-temporelle : elle est chargée des traces d’un passé transindividuel ainsi que d’intentions et désirs présents qui préfigurent autant d’ouvertures sur l’avenir. C’est aussi pour l’artiste un moyen de faire participer le visiteur à sa démarche. C’est face au choix de déposer (ou non) un objet et au sens qu’on porte à ce geste qu’on s’aperçoit à quel point la moindre des choses peut être subjectivement signifiante.

Betye Saar ne sépare pas la représentation artistique de l’action. Partout, elle vise l’expérimentation, l’engagement de soi. Et le partage avec des tiers. Elle questionne la position, le rôle de l’artiste. Pour elle, rendre public (une œuvre, un savoir…), c’est mettre à la disposition de tous, non exclure en recréant des disparités actif/passif, créateur/observateur.

Coutumes d’inspiration folkloriques, bâtons d’encens, mandalas, miniatures de divinités orientales et mantras de développement personnel ont fini par donner aux années hippies leur tonalité, leur ambiance acide amère, excessivement superficielle et vendeuse. Avec Betye Saar, il n’est pas question de fétichiser des objets symboliques en plein devenir marchandises. Mais d’avoir recours à des images qui travaillent la conscience.

L’ésotérisme définit ce qui ne s’adresse, n’est intelligible, qu’aux initiés. Quant à elle, son intention n’est pas sectaire, au contraire, son souhait est de parler à tous. De susciter des visions, des émotions qui résonnent dans l’expérience des différentes communautés humaines. C’est aussi pour ça qu’elle fait siens les éléments de la pop culture, rappelant que le pop appelle le populaire. Son langage met en activité la mémoire et l’imagination. Il ne répond d’aucune doctrine. Aussi, son travail est nécessairement en décalage par rapport au New Age, courant spirituel occidental bien qu’il s’approprie des éléments d’autres cultures. Ce monde occidental, ses codes visuels, ses esthétiques et sémantiques, Betye Saar n’y appartient que parcellairement, lui-même ne cessant de lui renvoyer le sentiment de son altérité. Elle a des racines amérindiennes, irlandaises et africaines.

L’installation House of Fortune (Maison de la bonne aventure, 1988), de la table de spiritisme aux drapeaux vaudous en passant par les runes, recèle des objets hétéroclites en liens avec des croyances et religions locales, mais aussi de meubles chinés aux puces de Los Angeles, des sequins confectionnés par des artisans d’Haïti, un éventail en forme de poisson marquant la présence de l’Asie… Des toiles évoquent les emblématiques tentures qui servent autant de support méditatif que de déco d’intérieur aux héritiers du Summer of Love. De nombreux symboles y figurent comme un cœur enflammé, une montagne sacrée, une météorite, les éléments de l’air, la terre, l’eau, le feu…

House of Fortune, 1988, détail. ©Manon Schaefle

De la position de Betye Saar, cette convocation de symboles est la mise en lumière d’un syncrétisme qui structure son imaginaire et de l’universalité qu’elle attribue aux formes de relation à l’invisible. Elle ne s’approprie pas les éléments de différentes cultures mais met en évidence des circulations, des arrangements identitaires parfois conflictuels, constitutifs de sa propre subjectivité. Dans son livre Les Enfants du Verseau (1980) qui théorise le New Age, Marilyn Ferguson définit ce dernier comme « l’apparition d’un nouveau paradigme culturel, annonciateur d’une ère nouvelle dans laquelle l’humanité parviendra à réaliser une part importante de son potentiel, psychique et spirituel. » Le New Age est utopique et eschatologique. Il veut guérir le monde d’un passé et d’un présent tristes, aliénés, en construisant le socle d’une nouvelle ère. D’une manière finalement superficielle, démonstrative, ostentatoire.

A l’inverse pour Betye Saar, il n’est pas question d’enterrer ces deux temporalités. Ce serait ignorer de quoi le réel est fait. Comment il se constitue. Le canoë de Gliding into Midnight (En glissant vers minuit, 2019), d’où s’élèvent des mains en céramique noire suppliantes, comme suppliciées, interpelle sur les séquelles persistantes de la traite négrière. Persistantes car elles ont des effets, des répercussions sur notre réel actuel. Par les déplacements, les vides, les absences provoquées par les rapts, par les traumatismes transgénérationnels engendrés, les conditions d’existence sociales et matérielles des descendants d’esclaves… Résurgence contemporaine de ces navires, les embarcations de réfugiés naufragées sur les côtes de l’Europe auquel Betye Saar fait aussi référence.

Il n’y a pas de profondeur sans histoire. Et dans l’oubli, on nie les tragédies de la colonisation, de la domination masculine… et on les condamne à se répéter sans fin. Si le New Age est porté sur le développement du potentiel, la transformation intérieure, Betye Saar approfondit, creuse dans le déjà-là. Et plutôt que de voir tout le passé comme un poids aussi pesant qu’abominable, elle sait en faire une matière en effusion, forte de ses zones mal connues, favorable à la création et la réinvention continues.

Gliding into midnight, 2019. Vue d’exposition. ©Manon Schaefle

Avec les théories Gaïa, les mouvances néo-païennes, l’astrologie…, les spiritualités de type New Age semblent aujourd’hui connaître un sursaut autant qu’elles sont parodiées, déconstruites, taillées à la hache ou décapées et recouvertes d’un vernis muséifiant grotesque. N’était-ce pas ce que Betye Saar faisait déjà, il y a 40 ans ? Avec elle, le New Age est bien là, et en même temps il est déjà ailleurs, hors de lui-même. L’artiste montre que le temps n’a rien de linéaire et à quel point les époques s’emboîtent, comme elle emboîte à son tour ses œuvres. Une vision du temps spiralé.

Amasser, archiver, emboîter, exorciser

L’anti-empire de Betye Saar : des boîtes en trois dimensions, des collages, des édifices de bric et de broc, composés d’objets recyclés et d’autres à la teneur sacrée, qui assortissent le quotidien et le magique. Parfois, ce sont des ouvrages où chacun met la main à la pâte, peu importe que ce soit pour poser une petite pierre mentale ou dresser tout un mur. Aucun acte, aucune existence n’est anecdotique. Le geste de collection, d’accumulation, aussi bien compulsif que prémédité, est envisagé comme porteur de récits.

A un bout du spectre, ceux qui vampirisent. Qui subtilisent, arrachent, exproprient, s’accaparent. La collection porte alors un témoignage de destruction. Ce sont les cabinets de curiosités des conquêtes coloniales, les musées « ethnologiques » rassemblés d’objets volés. Cela rejoint le thème de l’extractivisme colonial, phénomène auquel Achille Mbembe consacre un chapitre de son livre Brutalisme (1). Le philosophe cite les modes et technologies de « ponction », dédoublement de l’invasion coloniale en un mouvement non plus d’imposition d’une présence par la force mais de soustraction, de prédation de ce qui était présent, pensant à toutes les personnes et choses « objets de rapt, de capture ». Betye Saar ne cesse d’y faire référence en s’appliquant à ne pas reproduire ces logiques. La cale du bateau de Gliding into Midnight est par exemple remplie de charbon, symbole de l’exploitation extractiviste, de mort et possiblement de (sur)vie si on pense par association d’idées aux cendres et donc à un « motif phénicien » selon l’expression de Derrida. L’artiste prend soin de la manière, non prédatrice mais collaborative, dont elle amasse ses matériaux et de leurs origines.

De l’autre côté, la collection représente cette réalité qui est celle de nos individualités, de nos subjectivités personnelles et collectives, qui se constituent en stockant sensations, expériences, souvenirs, mais aussi des objets matériels. Et tout cela produit à la fin une épaisseur, une densité. Celle de nos corps, de nos identités en constante mutation. En anglais, se souvenir se dit remember, comme le fait de re-membrer, ou recoudre des morceaux, des membres éparpillés d’un corps encore là mais sous forme disloquée. C’est à ce type de collection qu’elle aspire.

Le corpus de Betye Saar est un projet d’archivage non conventionnel, où pièces intimes, symboliques et politiques sont amalgamées, les trois sphères n’en faisant qu’une. Dans une salle, une robe de mariée flotte dans le vide, entraînant dans son tissu des voiliers miniatures qui reposent sur des motifs faussement abstraits car représentant, selon le diagramme de Brookes, le placement des esclaves entassés dans les navires du commerce triangulaire. La robe, bien qu’on ignore à qui elle appartient, incarne le corps individuel. Les bateaux, le collectif. Et le diagramme de Brookes, ce qui unit, ici de manière funeste, les deux niveaux. Une archive, donc, qui charrie des hordes de spectres en tant qu’ils continuent de nous adresser des signes, et qui se veut en mouvement.

Les travaux exposés dans Serious Moonlight vont de la fin des années 1970 à des œuvres produites ou repensées pour l’exposition toute récente à l’Institute of Contemporary Art de Miami. Betye Saar mène un travail de reconfiguration, ses œuvres bougent.

Politiser les spectres

Autre trait saillant de ses installations : leur façon de nous envelopper, nous englober et nous accueillir. Elles pourraient être des décors. De théâtre, de cinéma, d’un rituel. Oasis (1984), présentée pour la première fois depuis trois décennies, évoque l’insularité spatiale et affective. Elle déroule un paysage silencieux composé de sable, d’une chaise pour enfant ornée de bougies colorées en partie fondues, d’un néon et de nombreuses sphères en verre, comme un jeu de billes surdimensionné. Monde de bulles closes, statique, qui évoque le cocon, le refuge mais aussi l’isolement et la séparation. Mélange de jardin secret et de perte, d’absence. Oasis porte sur le deuil de l’enfance. Elle utilise des tons pastels, roses, acidulés qui donnent une allure réconfortante à la mort, l’adoucissent. L’installation fait penser à une autre installation de Felix González-Torres (Untitled (Portrait of Ross in L.A.), 1991). Elle se compose d’un tas de bonbons aux papiers colorés qui pèse 79,4 kilos. Le poids de son amant, atteint du VIH et décédé. Et pour maintenir sa mémoire vive tout en appelant à se solidariser avec son corps malade, d’une maladie considérée comme honteuse, l’artiste invite les visiteurs à manger les sucreries, qui seront remplacées pour conserver le poids de départ. De la même façon, dans les œuvres de Serious Moonlight, le corps est constamment présent mais jamais montré en tant que tel.

Oasis, 1984-2019. Vue d’exposition. ©Manon Schaefle

Frontale mais non agressive, la démarche de Betye Saar parle de violence en contournant toute représentation de celle-ci qui produirait quelque chose de l’ordre d’une pornographie de l’horreur. Y concourt très justement l’absence de corps. Chez l’artiste, ils sont parcellaires, en contours ou simplement évoqués, spectraux. Ici, des silhouettes en jeux d’ombres. Là, une robe de mariée en lévitation, ou encore des mains seules s’élevant d’une cale d’embarcation. Y-a-t-il des corps enterrés sous le charbon ou non ? Les visions provoquées, au seuil du paranormal, traduisent un refus moral de rejouer et montrer de façon naturaliste les exactions en question.

Quand on porte l’histoire de la traite, des violences racistes et sexistes, le sujet « corps » est trop lourd, trop tendancieux. La notion de dignité appelle peut-être autre chose qu’un étalage de chair suppliciée. Le collectif Cases rebelles est l’auteur, à ce sujet, d’un texte éclairant (2). Il y est affirmé que montrer les violences ne signifie pas ne pas les reproduire ou s’en prémunir. Au contraire, il y a des images, notamment dans la culture visuelle prédominante, qui restituent et génèrent l’hyperaccessibilité de certains corps, contribuent à les chosifier, à les priver d’intimité.

Betye Saar fait preuve d’une capacité à déclencher une conscience visuelle, grâce à un rapport direct aux choses. Mais un rapport qui se détache, se distingue par son tact, son caractère non-autoritaire. Elle laisse le choix. De la suivre ou pas. D’interpréter en préférant un propos métaphysique, autobiographique ou politique. A chacun d’y projeter une part de son intériorité. Se précise alors la fonction du symbole, omniprésent dans son œuvre : celle d’activer la pensée, l’imagination, mais aussi plus largement de rassembler.

(1)   Achille Mbembe, Brutalisme, éditions La Découverte, 2020.

(2)   Les corps épuisés du spectacle colonial, publié en septembre 2018 sur le site cases-rebelles.org.

Image d’ouverture> House of fortune, 1988. Vue d’exposition. ©Betye Saar , photo Fred Dott

Contact> Betye Saar. Serious Moonlight, jusqu’au 22 janvier 2023, 49 Nord 6 Est, Frac Lorraine. Informations pratiques sur le site de l’institution.