Au seuil de la mémoire avec Guénaëlle de Carbonnières

Montrer, éditer, publier, diffuser est le credo de Corridor Eléphant qui, chaque année, sort une douzaine d’ouvrages et met en ligne plus de cent cinquante expositions. Chaque mois, ArtsHebdoMédias vous invite à en découvrir une. En juin, nous vous proposons Creuser l’image de Guénaëlle de Carbonnières. Pour profiter de toute la série, il vous suffira de rejoindre le site de notre partenaire en cliquant sur « Suite de l’expo » ! Bonne visite.

Née en 1986, Guénaëlle de Carbonnières est artiste et enseignante en arts plastiques. Elle vit et travaille à Lyon. Voici ce qu’elle explique de sa démarche : « Vecteurs pour interroger notre rapport au passé et les conditions d’apparition des images, les sites archéologiques oscillent entre figuration et abstraction. L’accumulation de couches successives, proche d’une stratigraphie archéologique, souligne la latence qui régit la naissance de toute image : les gestes du dessin et les processus photographiques gravitent autour des notions de temporalité, en proposant différents régimes de visibilités qui mettent en tension surface et profondeur, souvenir et oubli. Dans mes travaux les plus récents, le réchauffement climatique et les urgences écologiques occupent mes recherches. Ces questionnements brûlants d’actualité poursuivent une démarche tournée vers la temporalité et l’entropie. »

Réalisée en 2020 durant la période des confinements, la série Creuser l’image est commentée ici par l’artiste.

« Parler de la Syrie en ruines lorsque l’on est cloué chez soi peut prendre la forme d’une collecte sur le web puis d’un travail a posteriori sur ces images. C’est le process choisi pour la série Creuser l’image, travail hybride entre paysages numériques tirés sur papier argentique, gravure à la pointe sèche et gestes de dessin. Créées à partir de fragments d’images, des photographies argentiques sont gravées et encrées pour faire ressortir les bâtiments détruits en Syrie, à la suite de la guerre.

Les négatifs de ces tirages initiaux présentent des visions recomposées de lieux devenus inaccessibles en raison des conflits : des photomontages numériques permettent l’obtention de négatifs exploitables en chambre noire. Les tirages qui en sont issus procèdent d’une pratique expérimentale en laboratoire, jouant sur une source de lumière en mouvement et une part d’aléatoire qui les rend non reproductibles. Paysages oniriques aux contours troubles et obscurs, ils semblent appartenir au domaine du souvenir : les sites archéologiques qu’ils évoquent se superposent et s’effacent, soulignant leurs destructions successives.

Une fois les tirages réalisés, un travail de gravure est engagé. Armé d’une pointe sèche, le geste abîme et sublime tout à la fois l’image en la creusant de sillons qui font ressortir l’en deçà : les vestiges encore plus anciens d’autres civilisations millénaires. Il se fait ainsi la métaphore de l’action des archéologues qui fouillent dans la terre à la recherche de traces du passé. A l’image des tells mésopotamiens, villes superposées dans l’espace par l’action du temps, au point de former des collines artificielles, des détails sont enfouis quand d’autres se placent distinctement au-dessus du reste.

Le traitement par strates de ces sites archéologiques questionne également les conditions d’apparition des images. Le geste qui griffe le support fait rejaillir sa matérialité : le blanc du papier apparaît de façon nette dans le relief des lignes incisives. La latence qui régit la naissance des images argentiques est soulignée par ce travail autour de la temporalité. Enfin, le process mêle différents médiums : dessin, gravure, photographie. La nature même de ces photographies est trouble : à mi-chemin entre image numérique et photographie argentique. L’image se fait territoire d’exploration de la mémoire collective : accidents, incisions, brûlures, destructions sont évoqués ou viennent perforer les résidus du passé, pour tenter d’en retrouver la trace. »

Creuser l’image #03, gravure à la pointe sèche et encre sur tirage argentique, 20,4 x 25,3 cm, 2020.
Creuser l’image #09, gravure à la pointe sèche et encre sur tirage argentique, 20,4 x 25,3 cm, 2020.
Creuser l’image #14, gravure à la pointe sèche et encre sur tirage argentique, 20,4 x 25,3 cm, 2020.

Photo d’ouverture> Creuser l’image #01, gravure à la pointe sèche et encre sur tirage argentique, 20,4 x 25,3 cm, 2020.

Suite de l’expo

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