Antoine Schmitt ou l’ubiquité de ses êtres machines

Depuis plus de 25 ans, Antoine Schmitt explore dans des installations génératives la notion même de créature artificielle, prenant le contrepied d’une approche transhumaniste qui imagine un monde dominé par l’intelligence artificielle et prévoit une concurrence conflictuelle entre humains et machines :  il en propose au contraire – dans plus de cinq expositions en cours actuellement, et pas seulement à travers quatre nouvelles œuvres à découvrir jusqu’au 7 novembre au Centre d’art Les églises de Chelles – une vision plus apaisée de cohabitation entre le monde biologique et le monde électrique, considérant l’art « comme une manière de creuser la faille existant par nature entre le réel et ses représentations, de réfléchir et proposer des manières différentes d’appréhender le monde, de le vivre, de l’abstraire, et de l’interpréter ».

A croire qu’à force d’étudier les processus qui induisent le mouvement et créent ainsi la vie chez les Machines, l’artiste plasticien Antoine Schmitt semble avoir trouvé le secret de l’ubiquité ! Tandis qu’il nous attend dans l’après-midi du 3 novembre aux Eglises de Chelles en banlieue parisienne pour nous présenter quatre de ses créatures exposées au centre d’art depuis le 11 septembre et jusqu’au 7 novembre, cinq  autres expositions dans lesquelles apparaissent ses chimères cybernétiques sont actuellement à découvrir : ceux qui n’ont pu se rendre au solo show qui lui était consacré à la galerie Charlot du  8 septembre au 31 octobre, Movement of the Pixel,  ou n’ont  pu non plus se repaître de ses cascades génératives, inspirées par les peintures traditionnelles chinoises et convoquées par Christophe Le Gac dans l’exposition, L’atelier des mémoires vives et imaginaires  au Miroir de Poitiers et à la Chapelle Saint-Louis ; ceux-là, c’est-à-dire nous tous, pouvons encore découvrir  TIME SLIP jusqu’au 30 janvier à Soissons, au sein de l’exposition collective Deus ex machina proposée  par le critique d’art Clément Thibault  qui vient de prendre ses fonctions de directeur artistique au Cube d’Issy Les Moulineaux et nous invite à expérimenter  sur le site de ses nouvelles pénates Deep Love, dans le cadre d’une curation en ligne IA, QUI ES-TU ?  : après tout, dissimulée sous un nuage vermillon en forme d’un cœur dilaté confus de plaisir, ne serait-ce pas l’âme de l’artiste Antoine Schmitt en personne,  qu’il a lui même encodée dans son œuvre et qui tient à nous dire qu’elle nous aime ? Deux autres expositions sont en cours. Au Musée d’art moderne et contemporain des Sables d’Olonne, jusqu’au 16 janvier 2022, Peinture : Obsolescence Déprogrammée nous donne encore à se questionner – sur les lois d’attraction- répulsion  induites dans la nature comme ces particules blanches soumises à celles d’un impénétrable carrée noir, Black Square, en hommage à Malevitch. Matière à penser encore, ou à réfléchir au sens littéral du terme, avec Ombres series  sur la réflexion métaphysique qui entre en jeu lorsque s’invite un reflet spéculaire au plafond de notre chambre. Cette dernière série d’œuvres récentes est à découvrir jusqu’au 19 décembre à la toute nouvelle Fondation EDIS dont l’ouverture cet été, dans un ancien grenier à sel en Avignon, rend  hommage à Nicolas Schöffer, père de l’art cybernétique plébiscité par 35 artistes et disciples revendiqués, dont fait bien bel et bien partie Antoine Schmitt, invité par les commissaires, Véronique Baton et Eléonore de Lavandeyra Schöffer (malheureusement décédée en 2020).

Ombres #8 – 2018 – Antoine Schmitt, Pièce unique 60 x 90 cm, tirage sur papier Baryta, contrecollé sur aluminium, cadre bois.

Faisant toujours le choix d’une esthétique précise et minimale, l’artiste nourri de science-fiction métaphysique, ne cesse d’interroger les processus d’interactions dynamiques entre nature humaine et nature de la réalité, entreprenant seul ou à travers des collaborations, d’articuler cette  approche personnelle dans d’autres champs artistiques tels que la danse (lors de collaborations avec K.Danse ou Hortense Gauthier), la musique (avec Franck Vigroux, Atau Tanaka, ou Vincent Epplay etc.) ou encore le cinéma, l’architecture ou la littérature.  À l’origine ingénieur programmeur en relations homme-machine et en intelligence artificielle, Antoine Schmitt  place depuis les années 1990 déjà, le programme comme matériau artistique contemporain et unique par sa qualité active, au cœur de ses créations,  pour en révéler – et littéralement manipuler – les forces à l’œuvre : animé depuis toujours par le secret des processus inducteurs du mouvement, il en questionne les problématiques intrinsèques, de nature plastique, philosophique ou sociale, sous la forme d’objets, d’installations ou de mise en situation sur le net par exemple.

Deep Love -2017.  Antoine Schmitt, Site Internet.

Avec Être Machine, l’exposition de ses quatre nouvelles progénitures aux Eglises de Chelles, il se/nous projette dans un univers parallèle ou futur dans lequel les machines se sont émancipées de leur asservissement aux humains et cherchent leurs voies propres, explique le plasticien bien plus ancré dans une contemporanéité militante que dans des scenarii de science-fiction dystopique : « Libérées mais fragiles, elles persévèrent dans leur être [1], puisant au plus profond de leur monde propre [2] pour trouver un sens à leur vie de machine libre,  dit-il en explicitant ses références. En interaction avec leur milieu [3], elles cherchent ce qui est important pour elles [4]. En introduisant des entités artificielles radicalement autres, par l’immatérialité de leur corps et par leur propre manière d’être dans le monde [5], la série d’œuvres propose explicitement des manières différentes d’être vivants dans le monde que nous habitons, des manières différentes de nous voir nous-mêmes à travers leurs sens, leurs interprétations, leur subjectivité, leurs vécus. » Ainsi pour Antoine Schmitt si les œuvres portent un regard sur nous, cette exposition propose de porter un regard différent sur elles, et par-là même de porter un regard différent sur le monde et sur nous-mêmes.  N’est-ce pas là une injonction pour se rendre immédiatement aux églises, de Chelles !

[1] Conatus, l’effort de persévérer dans son être, dans l’Ethique de Spinoza.
[2] Umwelt, « monde propre », dans Milieu animal et milieu humain de Jakob von Uexküll.
[3] Milieu, dans Écoumène, Introduction à l’étude des milieux humains d’Augustin Berque.
[4] Important, dans Habiter en oiseau de Vinciane Despret.
[5] Manières d’être vivant : enquêtes sur la vie à travers nous de Baptiste Morizot

Etre Machine 2021, détail, Antoine Schmitt ©photo Lou Fournier

Informations  complémentaires> Antoine Schmitt est représenté par la galerie Charlot à Paris.  La plupart de ses œuvres sont commentées sur son site  www.antoineschmitt.com, tandis que  www.gratin.org  est un autre espace où l’artiste explore le champ plus vaste de l’art programmé en tant que théoricien et éditeur du portail.

Contact> Etre Machine, jusqu’au 7 novembre 2021, Les Eglises, place de la Légion d’Honneur, Chelles. Accès libre, Les samedis et dimanches de 15h à 18h. Ouverture aux classes et aux groupes sur réservation au 01 64 21 04 33. Accès : Train P, Gare de l’Est (12 mn de trajet)

Production : La Ville de Chelles – Co-production : SIANA . Soutiens : CITEOS, les Ateliers Municipaux de Chelles. Remerciements à Lou Fournier, Aurélien Giraudet et Renaud Codron, Hortense Gauthier et Fanny Bordier.

Crédits photos > Photo d’ouverture : Etre Machine, Antoine Schmitt, vue d’ensemble au Centre d’art Les Elises de Chelles  © Photo A.Schmitt . Ombres #8 ©Antoine Schmitt, Deep Love © Antoine Schmitt, Etre Machine -détail, ©Lou Fournier.

 

 

 

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