Anne-Sarah Le Meur
déploie Omni-Vermille

Tous les jours après le coucher du soleil, le ZKM invite les visiteurs à appréhender Omni-Vermille d’Anne-Sarah Le Meur. Une installation déployée sur six écrans qui poursuit les recherches de l’artiste entre peinture et technologie numérique. S’il reste quelques jours aux habitants de Karlsruhe pour l’apprécier, les amateurs d’art français devront attendre la rentrée et une exposition à Nice pour découvrir d’autres réalisations.

Carré sur carré, couleur sur couleur, la nuit prend une autre tonalité. Les images qui se déploient vibrent, des formes apparaissent lentement. Le temps long de l’œuvre entraîne la lumière et l’esprit à sa suite. Actuellement exposée au ZKM, Omni-Vermille est une installation sur six écrans, une première pour Anne-Sarah, qui explore depuis le début des années 1990 la relation entre peinture et digital. Grâce à un programme, une séquence d’une cinquantaine de minutes s’anime en un camaïeu de couleurs, évoluant de manière imprévisible (mais déterminée par des règles de variations soigneusement testées), tant dans sa forme et sa teinte que dans son mouvement. La séquence se réinvente pour toujours offrir une nouvelle lecture. L’interprétation sensible prend le relais. Cette œuvre en temps réel fonctionne sur le principe de la combinatoire, comme un tableau vivant qui n’en finit pas d’être peint. Un avantage certain pour l’artiste : « Je ne vois jamais exactement la même séquence ».

Anne-Sarah Le Meur dans le bureau de Dirk Heesakke au ZKM.

La composition sonore qui accompagne Omni-Vermille, écrite par Jean-Jacques Birgé, suit, elle aussi, sa propre logique. Si composition il y a, elle n’est aucunement une illustration sonore de l’œuvre. Elle agit librement sur le spectateur indépendamment des émotions provoquées par l’œil afin de permettre de « jouer sur le dialogue entre la couleur et la musique ». Omni-Vermille fait directement appel à nos sens, la vue et l’ouïe en les sollicitant ensemble mais sans préméditation. « On voit quotidiennement, notamment dans les films ou les clips vidéo, que les images et les sons sont liés de façon illustrative, assez fermée. J’ai voulu utiliser ces deux médiums tout en leur laissant la liberté de converser ».  Cette autonomie décuple les possibilités de lecture. Là où l’on ressent des couleurs vives et chaudes qui prennent un sens par le mouvement, la composition musicale, presque contemplative, vient créer une autre émotion, parfois contradictoire. La sensation dépend de la distance d’où l’on regarde et de la sensibilité de chacun.

Omni-Vermille est une expérience. Elle propose de renouer avec nos émotions, de les écouter plutôt que de consommer une œuvre déjà toute « prête au regard ». Elle invite à vivre sa sensibilité pour être apte à interpréter. A une époque où la technologie occupe un rôle central dans nos vies et nous informe sur le monde, elle permet ici de se renseigner sur nous-mêmes. L’œuvre a pris naissance sous forme de performance. En présence du public, l’artiste grâce à des raccourcis clavier, a pu modifier les valeurs du programme et ainsi multiplier encore les capacités des images à se déployer. « Cela permet d’expérimenter des choses qui ne sont pas faciles à programmer », précise-t-elle. De pouvoir aller encore plus loin dans le processus créatif, de tendre vers une recherche éternelle des émotions. Pour appréhender son travail, Anne-Sarah Le Meur préconise de « se laisser prendre par l’œuvre, de se rendre disponible, de lâcher prise ». Il n’est pas nécessaire de trouver un sens à cette valse colorée, car en somme : « C’est une histoire de plaisir, le plaisir de la couleur ». 

Omni-Vermille, Anne-Sarah Le Meur, composition sonore Jean-Jacques Birgé, ZKM, 2020.

Omni-Vermille n’est pas apparue ex nihilo. Elle est la suite d’un premier travail intitulé Vermille, qui évoluait sur un seul écran. « A l’époque, je me suis interrogée sur un rendu avec deux occurrences, puis trois images autonomes… » L’évolution technologique et la réflexion sur Vermille ont eu raison des anciennes limites et ont permis d’élargir la capacité d’expression de l’œuvre. « J’ai appris au bout de quelques années comment programmer le changement d’une couleur de fond sans que ce soit trop violent. Le faire pour le rouge m’a donné l’envie de travailler ensuite le rose et de pousser au maximum l’expérience. » Malheureusement, à peine exposée Omni-Vermille subissait les difficultés liées au confinement. « En temps normal, la terrasse en face du ZKM est un lieu très fréquenté. Attablés, les visiteurs auraient pu apprécier l’installation pendant les 50 minutes que dure une séquence et enchaîner avec la suivante ! » Situation idéale pour être appréciée sur un temps long et disponible. « C’est frustrant d’avoir eu si peu de contact et de partage avec le public ». Si les habitants de Karlsruhe peuvent de nouveau profiter de l’installation jusqu’au 17 mai, le public français, quant à lui, devra patienter juqu’à la rentrée prochaine et une exposition à Nice. Un temps d’attente qu’Anne-Sarah Le Meur occupera à repousser encore les limites de sa recherche et qui magnifiera d’autant la découverte de l’œuvre.

Omni-Vermille, Anne-Sarah Le Meur, composition sonore Jean-Jacques Birgé, ZKM, 2020.
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Crédits photos

Image d’ouverture : Omni Vermille, Anne-Sarah Le Meur et Jean-Jacques Birgé, 2020. ©ZKM | Center for Art and Media Karlsruhe, photo Felix Grünschloß., pour les autres visuels ©Anne-Sarah Le Meur et Jean-Jacques Birgé