Assis sur un banc, deux amis devisent, à l’automne de leur vie ; l’un tient ses mains posées sur une canne tandis que l’autre semble s’abandonner à la quiétude de l’instant malgré une main perdue dans une bataille inconnue. L’air se charge de leur conversation silencieuse. Une large feuille s’est déployé en lieu et place de leur tête ; cette dernière s’est-elle égarée dans les nuages et cette fleur automnale est-elle tout bonnement tombée d’un des arbres qui pour eux seuls tamise le soleil ? On ne saurait jurer de rien. A droite, des frères siamois tentent l’impossible : partir chacun de son côté ; à quelques mètres de là, une demoiselle aux pieds en fers à cheval présente un étonnant volatile à la houppe de métal. Le ton est donné : vous êtes sur le point de pénétrer dans le musée de la Création Franche de Bègles. Coincée dans le réseau routier arachnéen des abords de Bordeaux, la ville accueille depuis vingt ans des artistes hors normes qui ont choisi les chemins de traverse de la création, ceux que n’empruntent que très rarement les officiels du monde de l’art. Se référant à l’art brut, la Création Franche telle qu’elle a été définie par ses instigateurs, Noël Mamère et Gérard Sendrey, englobe toutes les formes d’art, du populaire au surréaliste en passant par l’art naïf. Aux cimaises du lieu, qui présentent en règle générale une exposition temporaire au rez-de-chaussée et une partie de sa collection (plus de 10 000 œuvres) à l’étage, des œuvres sans équivalent qui reflètent le caractère souvent frondeur et persifleur de leur démiurge.
Chaque peinture, sculpture, collage, dessin, assemblage… propulse le visiteur dans un univers singulier où l’artiste se livre entièrement, honnêtement. Qu’elles soient joyeuses ou ténébreuses, pathétiques ou humoristiques, ces œuvres témoignent toutes de la jubilation de leurs créateurs, de l’absolue nécessité qui les pousse sur les sentiers de l’imagination et de la sensibilité. Jusqu’au 29 novembre, le musée propose L’instant d’un regard dans le cadre de la désormais traditionnelle exposition collective d’automne Visions et créations dissidentes. Sont invités Marie Adda (France), Gildas Baudry (France), Zep Cassar (Australie), Bernard Chevassu (France), Yves Jules (Belgique), Eric Gougelin (France), Alain Lesenfants (Suisse) et Phil Smith (Etats-Unis). Un choix qui confirme, s’il en était encore besoin, qu’ici souffle le vent de la liberté d’être et de créer.