DDessin 2015 – Echappées belles

L’heure est aux derniers ajustements avant le vernissage, ce soir à Paris, de la troisième édition de DDessin, cabinet de dessins contemporains, sous les verrières de l’Atelier Richelieu. Plus de quinze galeries* françaises et étrangères s’y sont donné rendez-vous jusqu’à dimanche pour mettre en lumière le dessin sous des formes les plus variées. Des tables rondes, solo shows et autres projets singuliers sont au programme pour nourrir un peu plus encore la curiosité du public, tandis qu’un prix – initié l’année dernière – doit être remis samedi à l’un des créateurs représentés sur le salon. A noter la présence de deux artistes invités dans quelques semaines à la Biennale de Venise, dans le cadre de l’exposition All the World’s Futures : Nidhal Chamekh et Massinissa Selmani.

Nidhal Chamekh
Entre les choses n°3, crayon, graphite et encre sur papier coton (23 x 31 cm), Nidhal Chamekh.

Si crayon, fusain, mine de plomb, plume ou pastels font partie du vocabulaire évident du dessin, fil et béton ne viendraient sans doute pas spontanément à l’esprit ! Ces deux matériaux sont pourtant bel et bien à l’honneur de cette troisième édition de DDessin. Le premier intervient dans la pratique de plusieurs artistes représentés – Gastineau Massamba, Maria Exposito Santiso, Valérie Vaubourg –, mais aussi dans le cadre de l’invitation faite à une sélection de participants à la 11édition de Miniartextil – manifestation internationale d’art textile contemporain qui s’est tenue du 27 février au 21 mars à Montrouge, au sud de Paris –, sous le commissariat de Marie Deparis-Yafil. Intitulée Gea, de terre, de fil et de papier, et placée sous le thème de la « Terre », l’exposition établit une série de ponts associant l’univers du dessin et du papier avec celui du fil et du textile à travers deux axes principaux : le lien générique entre le tissu et le papier – tous deux étant issus de la fibre végétale –, dont témoignent des œuvres qui s’appuient sur le papier en tant que matériau plastique, et la convergence établie entre les notions de fil et de trait par des artistes qui tracent et déploient leurs formes à l’aide du fil.

Le béton est, quant à lui, au centre de la pratique de Milène Guermont, désignée Coup de cœur de cette édition de DDessin. Revendiquant une double casquette d’artiste et d’ingénieur – « J’ai toujours voulu créer, mais il m’apparaissait utile de bien connaître les matériaux » –, la plasticienne d’origine normande a fait de cette matière son territoire d’exploration – elle a mis au point le Béton Cratères, le Béton Polysensoriel et la technique de Gravure colorée sur béton – suite à une expérience singulière vécue à Genève en 2007. « Ce jour-là, j’ai touché un mur banal et eu simultanément l’impression d’être au bord de la mer, se souvient-elle, avant de préciser : Je suis synesthète depuis mon enfance, ce qui permet des associations de sens différents, très liées aux réminiscences. » De retour à Paris, elle réalise une première pièce en béton qui, lorsqu’on l’effleure, laisse entendre le bruit de la mer. Depuis, elle développe une démarche s’articulant autour de deux lignes directrices que sont les rapports à la matière – par le biais de la main, notamment – et à la mémoire. « Le béton est par ailleurs le matériau le plus produit au monde, tout en étant très souvent décrié ; tout un chacun sait ce que c’est. J’aime ce caractère universel, ainsi que la “désacralisation” qu’il induit d’une certaine forme d’art contemporain, rendue accessible à tous. Non seulement cette matière peut être capable de transmettre un message, de faire vivre des émotions, mais les bétons ultra-performants constituent par nature un vrai champ d’exploration. »

Tudi Deligne, courtesy Galerie Mariska Hammoudi
Sans titre 7.1., crayon noir sur papier (63 x 100 cm), Tudi Deligne.

Et si la pratique du dessin est chez Milène Guermont quotidienne, qu’il s’agisse de réaliser un croquis sur le vif – « Parfois, c’est juste une ligne ou une association de couleurs qui m’intéressent et que je réinterprète. » – ou de coucher sur le papier les formes d’une installation à venir, elle participe également à cette inlassable volonté d’innover. En témoigne Méga Concréto, œuvre montrée pour la première fois à l’occasion de DDessin et conçue avec la complicité de l’imprimeur et éditeur d’art Michael Woolworth. Il s’agit d’une estampe monumentale dont la matrice est en Béton Cratères. Là encore, le rapport à la matière et à la mémoire est essentiel : « Lors de la fabrication du Béton Cratères, explique l’artiste, je “choque” la matière au moment clé de sa cristallisation ; c’est ce qui provoque les aspérités de surface. Le béton est donc témoin de mon action sur lui à un moment T. » Première étape d’un travail de mémoire poursuivi avec l’application de la feuille de papier sur la matrice et la poussée exercée par la presse. Une série de frottages, réalisés à la mine de plomb sur une sélection de cratères du béton, complète la proposition de Milène Guermont : « Je choisis ici des moments du paysage ; c’est encore une retranscription, une mémoire de mémoire. Et je continue de me servir du béton comme fondation, comme support pour aller dans d’autres directions.  »

Johanna Thomé de Souza
Myvatn, crayon, aquarelle et gouache sur papier (29,7 x 42 cm), Johanna Thomé de Souza.

Trois autres espaces accueillent des solo shows dans le cadre de cette édition 2015 de DDessin, respectivement dédiés au travail du street-artiste parisien Combo, d’Emo de Medeiros – qui vit et travaille entre Paris et Cotonou, au Bénin – et de la plasticienne française Mâkhi Xenakis. Comme les années précédentes, le Corner Illustrateurs met en exergue les œuvres de quatre dessinateurs de presse, de mode et de livres, en l’occurrence quatre femmes : Johanna Thomé de Souza, Isabelle Oziol de Pignol, Julia Perrin et Is Loba. Une carte blanche a par ailleurs été donnée aux collectionneurs Denis Croisat et Didier Beaumelle pour présenter une partie de leurs acquisitions. « Collectionner l’art, c’est porter un regard particulier sur une démarche artistique, conduit par une résonance interne personnelle, une sensibilité au goût aiguisé, à l’harmonie et à la beauté, rappelle dans son éditorial Eve de Medeiros, directrice générale du salon. (…) Le collectionneur d’art passionné développe ainsi une sur-identité personnelle et unique : une quête aujourd’hui accessible à tous. » A laquelle participe de fait un rendez-vous comme DDessin !

* Participent cette année à DDessin les galeries parisiennes LWS, Mariska Hammoudi, DRM, Joël Knafo Art, KO21, Séquence Graphique et Troisième Parallèle, la Bab’s galerie (Bagnolet), la galerie Polysémie (Marseille), la galerie Anne Perré (Rouen), Lhoste Art Contemporain (Arles), la galerie Natalia Gomendio (Neuilly-sur-Seine), Phantom Projects Contemporary (Troyes), la galerie américaine Creative Growth (Oakland) ainsi que les collectifs Arrada et Zamaken.

Un avant-goût de la Biennale de Venise !

Massinissa Selmani
Nube Azul #2, crayon sur papier, Massinissa Selmani, 2015.

La nouvelle est tombée le 9 mars dernier. Deux des artistes présents sur DDessin 2015, Nidhal Chamekh et Massinissa Selmani, font partie des 136 créateurs invités à participer à l’exposition All the World’s Futures, orchestrée par Okwui Enwezor, commissaire de la 56e Biennale de Venise, qui se tiendra du 9 mai au 22 novembre prochains. Un heureux hasard fait que les deux hommes sont amis – ils avaient déjà tous deux été sélectionnés pour la Biennale de Dakar 2014 – et sont depuis peu réunis, avec Atef Maatallah, au sein du collectif Zamaken, dans le cadre duquel ils sont représentés sur le salon parisien. « Cela faisait longtemps que nous voulions, avec Nidhal, travailler sur un projet commun, explique Massinissa Selmani. Nos pratiques se croisent, même si les enjeux ne sont pas toujours les mêmes. Nidhal explore entre autres les notions “d’entre les choses”, de vide et de plein. Or, l’espace blanc est très important dans mes dessins ; il est lié au contexte que j’occulte. » Massinissa Selmani s’appuie souvent sur la photographie de presse, son outil de travail favori, pour associer des éléments n’ayant rien à voir les uns avec les autres. Sa série la plus récente, Nube Azul – les nuages en sont le sujet central –, ouvre une nouvelle dimension, « un peu irréaliste », qui pourra être appréhendée par les visiteurs de DDessin au côté des fruits de la réflexion menée avec Nidhal Chamekh autour d’un extrait de l’ouvrage Qu’est-ce qu’une chose, de Martin Heidegger : « La question : Qu’est-ce qu’une chose ? n’est autre que la question : Qui est l’être humain ? Mais cela n’implique pas que les choses soient de simples fabrications de l’ingéniosité humaine, tout au contraire, cela signifie : l’être humain doit être compris comme cet être qui, toujours déjà, saute d’emblée par-delà les choses, mais de telle manière que sauter par-delà les choses n’est possible que dans la mesure où les choses, tout en demeurant elles-mêmes, viennent à la rencontre de l’homme en ceci précisément qu’elles nous renvoient en arrière de nous-mêmes, derrière tout ce qui, chez nous, en reste à la surface. »

Contact

DDessin 2015 se tient du 27 au 29 mars à l’Atelier Richelieu, 60, rue de Richelieu, 75002 Paris. Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h, jusqu’à 20 h le samedi. Tarif plein : 10 euros ; gratuit pour les moins de 14 ans. Plus d’informations et tout le programme sur www.ddessinparis.com

Crédits photos

Image d’ouverture : Vue de DDessin 2015 (galerie Creative Growth) © Photo S. Deman courtesy galerie Creative Growth – Myvatn © Johanna Thomé de Souza – Nube Azul #2 © Massinissa Selmani – Entre les choses n°3 © Nidhal Chamekh – Sans titre 7.1. © Tudi Deligne, courtesy Galerie Mariska Hammoudi

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