Ce territoire bordé par la mer et le désert, parsemé de plateaux, sillonné de rivières, se déploie au nord-ouest du continent australien. Le Kimberley est son nom, Gija celui des aborigènes qui s’y sont établis voici des milliers d’années, nouant avec la terre, ses montagnes et ses fleuves des liens immuables d’où ils puisent leur énergie créatrice. Ces dernières années, leur créativité s’est affirmée et épanouie dans le cadre de centres d’art, qui se sont multipliés à travers les contrées aborigènes australiennes. Celui de Warmun a ouvert ses portes en 1998, à Turkey Creek, dans l’est du Kimberley.
Fondée à l’initiative des populations autochtones, cette école devait leur permettre de recouvrer le contrôle de la production et de la diffusion de leurs œuvres, essentiellement picturales. Il s’agissait également, pour les aînés, de transmettre leur héritage culturel, et d’enseigner les traditions ancestrales et les techniques de peinture du Ngarrangkarni (le Temps du rêve) aux jeunes artistes. Car la peinture aborigène ne se limite pas à une aventure esthétique. Chaque toile est à apprécier pour sa beauté, sa poésie et son style, mais sa lecture en serait incomplète si n’était livrée en parallèle l’histoire qu’elle raconte. Elle évoque ainsi une légende, un paysage, un rituel ou une simple scène du quotidien de la communauté à laquelle appartient l’artiste.
Le sentiment d’appartenance à un clan, à une terre, est au cœur de la culture aborigène. Il est une source inépuisable d’inspiration, au même titre que le Ngarrangkarni, véritable système de croyances fondé sur une mythologie qui retrace les origines de l’homme. Ce Temps du rêve, qui précéda la genèse de la Terre, est comme la fusion subtile entre les ancêtres, la création, les événements d’un lointain passé, les lois et les cérémonies, tous sous-tendus par l’idée que le Ngarrangkarni a créé les paysages, et qu’il poursuit son ouvrage. Si ces notions témoignent de l’importance que revêt son environnement pour une communauté aborigène, elles permettent également de mieux appréhender la dimension du drame vécu par les populations déplacées, ou spoliées de leurs terres, lors de l’implantation, au XIXe siècle, des colons sur leurs plateaux, dans leurs déserts et le long de leurs rivières.
Plusieurs artistes de Warmun ont d’ailleurs construit une œuvre politique et engagée, évoquant notamment les massacres impunis dont furent victimes les aborigènes du Kimberley. Tous continuent néanmoins de privilégier la représentation des paysages terrestres et spirituels qui leur sont propres, les projetant le plus souvent sur un plan horizontal, avant d’en préciser les éléments constituants au moyen de lignes et courbes en pointillés. Reconnaissables à leurs teintes douces et chaudes, les peintures de Warmun sont élaborées à l’aide de pigments d’ocre naturelle que les artistes du centre, fidèles aux techniques ancestrales, utilisent toujours, tandis que d’autres ont adopté la peinture acrylique, favorisant l’émergence d’un art pictural plus vif et coloré.
L’exposition proposée par la galerie Redot de Singapour accueille des peintres appartenant à la génération des aînés et à la réputation déjà bien assise, telles Mabel Juli, Lena Nyadbi – dont l’œuvre est représentée au musée du Quai Branly – et Shirley Purdie, mais également plusieurs jeunes talents tels que Mick Jawalji et Jock Mosquito.