Son nom est bien connu dans le milieu de la photographie. Il y plonge les racines d’une histoire débutée il y a plus de cent ans avec un arrière-grand-père photographe professionnel. Puis poursuivie, au début du XXe siècle, par un grand-père, Roger, qui vend sa batterie pour s’offrir un Leica et photographier son temps. Non sans transmettre à son fils cette bénédiction familiale qui vit ce dernier, appareil à la main, tracer son chemin dans le milieu de la publicité. Une belle dynastie aujourd’hui perpétuée par Cécile Schall, fondatrice de fotofever, foire consacrée à la photographie contemporaine qui se déroulera désormais chaque année à Bruxelles et à Paris. L’édition 2013 parisienne de la foire ouvre ce soir ses portes au Carrousel du Louvre.
Non loin de la place de la Bastille, dans une rue accueillante du XIe arrondissement de Paris, un bureau bruisse tout particulièrement. A deux semaines de l’ouverture de l’édition parisienne de fotofever, Cécile Schall et son équipe de jeunes femmes dynamiques s’affairent. Le téléphone sonne sans cesse et les doigts volettent au-dessus des claviers. Un seul objectif pour toutes : réussir l’édition 2013 de fotofever Paris, qui se déroulera du 15 au 17 novembre au Carrousel du Louvre. 3 000 m2 consacrés à la photographie contemporaine. De quoi avoir le trac. « J’aime faire découvrir les artistes vivants et donner envie aux gens de se lancer dans une collection », s’enthousiasme la fondatrice du salon qui, pour l’occasion, a accepté de s’adonner au Jeu des mots.
Paris
« C’est la deuxième fois que fotofever s’installe à Paris. Nous avons commencé par là en 2011. Choisir la capitale mondiale de la photographie pour cette première édition était une évidence. En 2012, un fâcheux concours de circonstances a empêché le déroulement de la foire dans la capitale française. Nous nous sommes donc exclusivement concentrés sur Bruxelles, qui fut un succès. Cette année, nous avons pu organiser les deux. Le volet parisien se tiendra au Carrousel du Louvre. L’idée que j’avais au départ de créer une synergie entre Paris et Bruxelles se réalise donc. Tout concourt à faire des deux manifestations une seule entité. L’ensemble de la communication et des événements, comme le fotoprize par exemple, sont pensés en commun. Une stratégie bien comprise par les galeries qui sont déjà vingt à participer aux deux éditions. »
Éclectisme
« Je suis pour l’éclectisme et pour que fotofever représente un panorama très large de ce que peut être la photographie contemporaine. Le résultat est donc le reflet de cette diversité souhaitée. La photographie traditionnelle, comme celle de Saartje Van de Steene, qui a reçu le fotoprize 2013, côtoie celle issue de procédés les plus innovants. Je cherche à promouvoir la photographie en tant que support d’une œuvre, comme dans les collages, et non seulement pour elle-même. J’aime l’idée de l’œuvre unique. Elle rassure les collectionneurs et montre que la photographie contemporaine ne se résume pas qu’aux grands tirages en Diasec vendus une fortune. Elle est aussi riche de petits tirages uniques, témoins d’une démarche singulière et n’affichant pas forcément des prix prohibitifs. » Solo show
« Le solo show est une option à laquelle je tiens. Dans la phase de lancement de fotofever, j’avais même envisagé d’organiser une foire exclusivement de solo shows comme Docks Art Fair à Lyon ou The Solo Project à Bâle. Finalement, l’idée n’est pas allée au bout car, pour de nombreuses galeries, c’est un format risqué. Cela dit, je continue de penser que c’est un choix intéressant et fotofever incite les exposants à le retenir en proposant des stands moins chers, à taille unique – 10 m2 – et géographiquement regroupés pour une meilleure visibilité. Quand vous êtes dans une foire qui est dense, les solo shows rendent l’offre plus lisible, plus claire. Pour Paris, nous avons douze galeries qui ont décidé de jouer le jeu. Toutes avec des artistes de moins de 40 ans. »
Galeries
« Fotofever Paris accueille une soixantaine de galeries et d’éditeurs, dont 50 % ont déjà participé à une de nos foires. Ces exposants viennent pour 70 % d’entre eux de l’étranger. Parmi la quinzaine de pays représentés, l’Italie et le Japon se distinguent par un nombre de galeries qui augmente d’une édition à l’autre. Le bouche-à-oreille fonctionne bien ! Notons la présence également de Hollandais, de Belges, d’Espagnols et d’Américains. Nous demandons à ce que chaque galerie expose au moins un artiste de moins de 40 ans ou une série récente d’un confirmé. La grande majorité des artistes présentés sont vivants. Fotofever est une foire de photographie contemporaine. »
Prix
« De manière indicative, nous pouvons dire que les prix sur fotofever s’échelonnent entre 250 et 60 000 euros. Il n’y a ni plafond ni plancher. En revanche, nous demandons aux galeries de mettre un cartel bien visible avec le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, le prix et le numéro de l’édition. C’est tout à fait indispensable, car beaucoup de gens imaginent que les foires sont des expositions… La présence d’un prix indique clairement que l’œuvre est à vendre. De plus, son absence peut être interprétée comme un manque de transparence ; ce qui est très dommageable. Par ailleurs, pour inciter une nouvelle génération à collectionner, nous avons mis en place une signalétique qui a beaucoup plu à Bruxelles : chaque galerie choisit d’apposer près d’une œuvre une petite étoile rouge « star to Collect ». Elle signale soit un prix intéressant pour un premier achat, soit le coup de cœur du galeriste. »
Le fotoprize 2013 à Saartje Van de Steene
Chaque année, le fotoprize aide un jeune artiste qui utilise la photographie à faire ses premiers pas dans le marché de l’art, en lui offrant une visibilité importante au sein de fotofever Bruxelles et Paris. En 2013, le jury composé de Valérie Belin, Jean-François Camp, Christian Caujolle, Jan Hoet et Simone Klein a récompensé la Flamande Saartje Van de Steene, diplômée avec mention de l’Académie des beaux-arts de Gand (KASK) en 2012. You can get pretty lonely out here, and your visit is like a good medicine, série qui a attiré l’attention du jury, a été réalisée aux Etats-Unis, dans le Dakota, avec une technique ancienne, celle du collodion humide sur plaque de verre. La jeune femme réalisait les tirages sur place en présence de la personne qu’elle venait de photographier. Son laboratoire était sa voiture, la matière utilisée, du papier journal. « L’artiste a été invitée à exposer une dizaine de ses photographies dans un bel espace lors des éditions bruxelloise et parisienne de fotofever. L’objectif pour nous est de permettre au public et à la presse de découvrir son travail. Par ailleurs, avec la création de ce prix, nous avons débuté une collection grâce au don fait par chaque lauréat. La photographie offerte, issue de la série primée, est mise en avant sur la couverture du guide du collectionneur publié pour chacune des foires. A Bruxelles, tous ces moyens ont permis d’attirer l’attention de la presse belge qui a beaucoup apprécié le travail de Saartje Van de Steene et lui a offert une belle couverture. C’est précisément la raison d’être du fotoprize. De notre côté, nous souhaitons garder le contact avec tous les lauréats et pouvoir au fil des années donner de leurs nouvelles. Ce prix doit servir à quelque chose et si nous ne savions pas ce qu’ils deviennent, ce serait vraiment dommage », précise Cécile Schall.
« Nous essayons de n’avoir que des galeries très engagées, qui vont chercher des artistes que les gens ne connaissent pas et qui font un vrai travail de promotion de leurs œuvres. Pour moi, le rôle du galeriste est fondamental. Quand on me demande pourquoi je n’expose pas d’artistes en direct, j’explique qu’il est très important pour un acheteur, un nouveau collectionneur, d’être en contact avec un galeriste professionnel. Cet intermédiaire est un maillon indispensable de la chaîne. Il gère l’ensemble de la logistique et permet à l’artiste de se concentrer sur son œuvre. Je suis souvent énervée quand on leur reproche d’être âpres au gain. Participer à des foires, avoir pignon sur rue, réaliser des catalogues, s’impliquer dans la production des œuvres… Tout cela a un coût ! Sans compter que ce travail de fond n’est pas toujours récompensé. Une fois le succès tant attendu arrivé, il n’est pas rare de voir les artistes changer de galerie. »
Vidéo
« Exposer des photographies et des vidéos était l’idée de départ, mais j’ai évolué car ces deux médiums ne cohabitent pas bien : les premières ont besoin de beaucoup de lumière et les secondes de noir. Des collectionneurs de vidéo, partie prenante dans l’organisation de Loop, importante foire qui se tient à Barcelone, m’ont confirmé la difficulté de réunir les deux dans un même salon. Loop se passe dans un hôtel. Toutes les chambres sont plongées dans l’obscurité. C’est assez bizarre ! Si ça fonctionne, ce n’est absolument pas l’idée que je me fais d’une foire. Après cette conversation, j’ai décidé d’abandonner mon envie du départ. »
Direction artistique
« Cette année, Janette Danel a rejoint l’équipe en tant que directrice artistique. Elle est dans le milieu de la photographie depuis 15 ans et possède une solide expérience. L’an dernier, j’avais monté un comité de sélection avec des galeries, mais ce n’est pas le dispositif idéal. Trop de conflits d’intérêts peuvent survenir. Avec Janette, nous nous partageons le monde ! Une fois que nous avons réussi à convaincre les galeries de venir nous rejoindre, elle entame un travail de conseil auprès d’elles. La vue d’ensemble qu’elle possède sur la foire est intéressante à prendre en compte lors du choix des artistes à exposer ou de la sélection des œuvres. Une foire, c’est un peu comme un puzzle. Elle se construit au fur et à mesure. Le dernier élément, c’est le plan. Il faut trouver un équilibre. »
Photographe
« Je n’aime pas parler de photographe, c’est trop réducteur. Je me souviens d’avoir lu des articles mentionnant que tel réalisateur ou tel peintre faisait aussi de la photographie ! Cette dernière est un outil comme un autre. Ce qui est intéressant dans un travail, ce n’est pas le moyen utilisé mais la démarche artistique. Beaucoup de collectionneurs sont encore réfractaires à ce médium du fait de sa capacité à être dupliqué. Pourtant, la photographie n’a pas inventé les éditions multiples. La sculpture a largement exploité cette voie avant elle. C’est pour cela qu’il est important de parler d’artistes et non systématiquement de photographes. » Pratique photographique
« Depuis qu’on m’a volé mon appareil argentique, je n’aime plus prendre des photographies. Ce qui m’intéressait essentiellement, c’était la surprise du tirage. Elle a disparu avec le numérique. Aujourd’hui, je prends des photos Post-it pour me souvenir. C’est naturel pour moi car j’ai une mémoire très visuelle. Utiliser des images, c’est plus rapide, mais ce n’est pas de la photographie. »
Image
« Il ne faut pas confondre photographie et image. La différence saute aux yeux dès que vous vous rendez dans une foire ou une exposition. Entre ce que vous voyez dans un magazine, dans un communiqué de presse ou autre site Internet et la photographie originale, il y a un monde. D’un côté, vous avez une image, de l’autre, l’œuvre. Seule cette dernière peut dégager une émotion. Ce phénomène existe aussi en peinture. Je me souviens de la première fois que j’ai vu La Persistance de la mémoire de Dali au Moma, à New York. J’ai eu un choc. Je connaissais cette toile, mais la voir… C’était juste incroyable ! Ainsi, il est important de découvrir les photographies telles que l’artiste les a imaginées : avec un encadrement ou non, un éclairage précis, un certain type de tirage… L’œuvre réunit l’ensemble de ces éléments. D’autre part, je tiens beaucoup à ce qu’on utilise le mot photographie et non celui de photo. Car tout un chacun prend des photos mais très peu de personnes savent faire de la photographie. »
Collectionner
« A fotofever, nous distribuons un petit guide du collectionneur qui ouvre sur une phrase de la célèbre poétesse américaine et collectionneuse Gertrude Stein, qui dit en substance que chacun peut choisir entre s’acheter des vêtements ou une œuvre d’art ! Collectionner n’est effectivement pas qu’une question de moyens. C’est un état d’esprit. La première fois que j’ai acheté une photographie, je l’ai payé en dix fois ! C’est un choix. Par ailleurs, le slogan de fotofever est : « Catch the fever, collect photography ! », « Attrapez la fièvre et collectionnez la photographie ! » Nous voudrions créer une effervescence, donner envie de collectionner la photographie et en cela soutenir l’artiste. Depuis 30 ans que ce marché existe et que le mois de la photographie a été créé à Paris, les expositions, festivals, galeries, collections de musée… se sont multipliés. Si de plus en plus de gens s’intéressent à cet art, ils ne sont pas nombreux à le collectionner. Ce qui menace la création. Nombre d’artistes sont obligés de faire autre chose pour vivre. Il ne faut donc jamais oublier que collectionner est un engagement, un soutien pour l’artiste. C’est une bonne action. »
Quand la fesse s’expose !
Pour mieux appréhender ce que peut être une collection, Cécile Schall invite chaque année à fotofever un collectionneur à exposer une sélection thématique de ses photographies. Donnant ainsi l’occasion au public de découvrir des clichés étonnants, qui dévoilent la personnalité de leur propriétaire, et d’inciter tout un chacun à se lancer ! Après l’exposition tirée de la collection privée de Galila Barzilaï Hollander sur le thème de l’œil, cette année la carte blanche revient au Français Alexandre Dupouy, qui propose des clichés ayant pour sujet : la fesse ! Des œuvres choisies avec soin par la galeriste Emilie Dujat.