François Monchâtre – L’art du croc-en-jambe au réel
« Il a des dents qui raclent le plancher, tous les vices de son époque, et s’entortille dans le réel pour ne se mouiller que de pluie, vous l’avez reconnu c’est le crétin de François Monchâtre bienheureux au volant de son automaboule. Lorsqu’on le rencontre pour la première fois, il apparaît timide et réservé aux côtés de son exubérante épouse Danièle, mais derrière ce personnage conventionnel se cache un véritable iconoclaste, ennemi actif de tous les diktats », explique Lélia Mordoch en introduction de l’exposition qu’elle consacre aux dernières œuvres de l’artiste. En maillot de bain, un curieux bipède pousse un drôle de berceau comme s’il s’agissait d’une tondeuse. Muni d’une gueule d’acier dentelée, l’engin est habité. Un visage de profil apparaît par un petit hublot. Nous cherchions le héros de l’histoire, nous l’avons trouvé. La facture est simple, le style inimitable et le volume partout présent : témoignage, par-delà les années, d’une enfance passée à bricoler et d’un cursus de l’École des métiers d’art de Paris. Installée au le mur ou posée sur le sol, chacune des pièces est un petit monde qui se raconte et participe à l’ensemble. D’un bout à l’autre de la galerie, les occupations sont loufoques – la femme étire son cou comme une girafe pour mieux sourire à son chien sans oreilles qui lui montre les crocs ; son homme pousse des machines énormes sans que l’on comprenne bien leur utilité, à bord d’une Pontiac rutilante (exception de la couleur dans un univers en noir et blanc), et chacun fait semblant d’ignorer qu’il est assis sur une « usine à gaz »… –, l’espace bruisse de monologues et de conversations étourdissantes, le visiteur se laisse envahir par l’ironique et tendre jubilation de l’artiste. François Monchâtre, né en 1928, observe d’un œil aiguisé notre société et ne se lasse de la placer face à son absurdité. Il exerça, lit-on sur le Web, les métiers de « garçon d’ascenseur, marionnettiste au cabaret de la Rose Rouge, étalagiste aux Dames de France… ». Inutile donc d’aller chercher plus loin la source de son inspiration : la comédie humaine est au centre de son œuvre. « Je n’ai aucun mérite, ni de souci d’inspiration ; les journaux, les actualités télévisées alimentent malheureusement mon travail. Mon goût personnel serait de faire des paradis. Mes petites critiques ne changent pas grand-chose, je suis un peu Don Quichotte », confiait François Monchâtre (Monchâtre, éditions Joca Seria, Paris, 2005). Ses premières Automaboules naissent à l’époque où il expose chez Iris Clert, comme Tinguely, Chaissac, Klein ou César. Viendront ensuite les machines à rêver, dispositifs complexes et extravagants qui n’ont d’autre but que la poésie. Ses œuvres entrent dans des collections privées et publiques (Fnac, musée d’Art moderne de Saint-Etienne, la Fabuloserie, musée de Tessé au Mans, musée de la Création Franche à Bègles). Son art singulier s’étiolerait dans une case et l’artiste réfute toute étiquette. Ce « bricoleur » d’exception, qui instaure une interactivité avec son visiteur et fait apparaître Betty Boop dans le miroir grâce à un cordon qu’il suffit de tirer, transforme de vieilles caméras en de petits théâtres. Hommage au cinéma où mots et formes réenchantent l’art du dialogue. Ses dernières œuvres poursuivent le chemin entamé il y a quelques décennies. Mais laissons le mot de la fin à Lélia Mordoch : « Il saisit l’instant hilarant où le réel trébuche dans l’absurde. A défaut de le sauver, il faut changer le monde. En œuvrant contre la bêtise toujours renouvelée, François Monchâtre peintre-sculpteur s’y emploie : il nous fait partager sa vision acerbe de la société avec ses machines à broyer le vide, ses femmes aux bains dans l’œil avide de la caméra du voyeur, cette sculpture où la liberté coiffe toutes les dictatures d’un bonnet d’âne. »
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