Poursuivant toujours plus avant le dialogue engagé il y a quelques années avec l’art contemporain, Le Louvre accueille jusqu’au 4 janvier Une brève histoire de l’avenir, une exposition pluridisciplinaire s’inspirant de l’essai éponyme* de Jacques Attali, qui réunit quelque 200 œuvres témoignant de différentes époques : ou comment mettre au jour des pistes sur ce que nous réserve l’avenir à partir de la mise en regard de chefs-d’œuvre anciens avec des pièces actuelles. Isabelle Cornaro, Camille Henrot, Tomás Saraceno, Wael Shawky, Chéri Samba ou encore Ai Weiwei comptent parmi la quinzaine d’artistes contemporains invités à participer à cette inédite et poétique expérience.
« Cette exposition est évidemment artistique, mais aussi politique. Elle illustre avant tout l’extraordinaire fragilité de notre monde », précisait Jacques Attali en septembre dernier. Et le visiteur de se laisser embarquer dans un voyage mettant en lumière le caractère cyclique du temps, notamment illustré par un parcours en boucle, tout en considérant les invariants de nos sociétés, comme les pouvoirs militaire, spirituel et économique. Le récit se déroule au fil de quatre grands axes – « L’ordonnancement du monde », « Le cycle de l’histoire : empires et fracas des armes », « L’élargissement du monde », « Et demain ? » – et débute par une installation du Canadien Geoffrey Farmer (Boneyard) : des centaines de figures en papier découpé, évoquant diverses civilisations – il s’agit d’images prélevées dans un recueil sur l’histoire de la scultpure italienne –, conversent les unes avec les autres. Isolée du reste du parcours, l’œuvre est placée au centre de la première pièce ; telle une introduction, elle rappelle combien l’art peut être un formidable outil de compréhension de l’histoire, passée et à venir.
Fondation est formée de bases de colonnes en pierre disposées sur un parquet de bois. Signée Ai Weiwei, cette installation monumentale ouvre le parcours avec force symbolique : le public est invité à fouler l’œuvre qui rappelle l’agora de la Grèce antique, soit un espace démocratique et de débat. Sur l’un des murs de la salle est projeté un film de quelques minutes réalisé par Laurent Perreau : Les 5 vagues de l’avenir. S’appuyant sur un ensemble d’images illustrant différents phénomènes de nos sociétés modernes, la vidéo propose une vision géopolitique du monde actuel : le déclin de la puissance occidentale symbolisée par « l’empire américain », l’importance grandissante de la marchandisation, les nouvelles idéologies opposées à nos démocraties. Un sombre tableau, qui fait écho aux écrits de Jacques Attali lorsque celui-ci imagine notamment « un conflit mondial causant entre un et deux milliards de morts aux alentours de 2035 ». Le rapprochement géographique établi entre ces deux œuvres, ainsi que le fait qu’elles se situent à la fois en ouverture et en clôture du parcours, forment un contraste propice à la réflexion : le paysage politique proposé aboutira-t-il à des ruines ou à des fondations ? A chacun de se faire sa propre opinion.* Une brève histoire de l’avenir, Jacques Attali, éditions Fayard, 2006 ; nouvelle édition en août 2015.

Autre phénomène humain déterminant : la sédentarisation. Un concept que s’amuse à déconstruire le Britannique Peter Cook avec Instant City in a Field Long Elevation, encre sur papier décrivant une ville nomade sur le ton de l’absurdité. Dans son livre, Jacques Attali évoque quant à lui une explosion du nomadisme à l’échelle mondiale au XXIe siècle. Un phénomène qui contribuerait à la fin de la notion d’empire américain. Les hégémonies militaires passées sont illustrées par nombre d’objets – casques et épées – et de toiles de maîtres anciens – dont la série Le destin des empires de l’Américain Thomas Cole (1801-1848), présentée pour la première fois en France. Qu’en est-il alors de la notion de continuité ? C’est ce qu’essaie d’éclairer la thématique intitulée « L’élargissement des mondes ». Au cœur de la problématique, le fait que la culture d’une civilisation définit son identité et que la transmission des savoirs a longtemps été associée à l’impérialisme. Il en va de même dans le domaine des découvertes, qu’il s’agisse de prouesses techniques ou de nouvelles terres. Plusieurs cartes sur parchemin ainsi que des manuscrits, parmi lesquels on notera certains travaux d’Aristote (Premiers analytiques, Ethique, Physique), sont présentés. Avec Diary of Clouds, Ugo Rondinone témoigne avec poésie de l’évanescence du temps, tandis qu’Isabelle Cornaro mêle avec subtilité son travail à des modèles en cire de plantes tropicales réalisés par Robillard d’Argentelle au XIXe siècle.
Le parcours se poursuit en abordant des questions propres à nos sociétés modernes. Les profondes transformations apportées par les deux révolutions industrielles sont appréhendées. Parmi les interventions contemporaines, sept acryliques sur toile aux couleurs vives se démarquent. Signées du Congolais Chéri Samba, elles mettent en cause, pêle-mêle, la marchandisation poussée à l’extrême par le système capitaliste, les problèmes environnementaux ou encore les excès de la science. Le thème de la communication est également abordé, ainsi que celui de la prédiction avec La Météo.
L’« agora » d’Ai Weiwei resurgit au terme de la boucle effectuée par le visiteur, invitant celui-ci à un ultime échange avec d’autres curieux pour continuer à nourrir un débat de tout temps prolifique – et que l’on espère salvateur –, celui des idées.