Embouteillages du côté des Champs-Elysées : priorité au président chinois et à son cortège éclair de limousines noires. La station Alma-Marceau est fermée. Alors poursuivons à pied plutôt que renoncer aux Fleurs fraîches qui nous sont promises. Au bout de la promenade, la distinguée fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent annonce la couleur en façade : David Hockney est son invité jusqu’au 30 janvier. A pas de loup, le visiteur entre dans la salle plongée dans l’obscurité. Attention à la marche ! Sur le mur, une vidéo. La main dessine des formes directement sur l’appareil. Elle choisit des couleurs, estompe certains traits, fignole l’esquisse qui sous nos yeux devient dessin. Le visage de l’artiste se reflète sur l’iPhone. Lunettes sur le nez et foulard en vichy bleu et blanc autour du cou, il doit être confortablement installé dans un fauteuil face à une fenêtre située à l’opposé du Champ-de-Mars. Sur l’écran, la tour Eiffel se dresse, le dôme étincelant des Invalides apparaît, le visiteur suit chaque geste, hypnotisé par la facilité avec laquelle David Hockney utilise l’application et par le rendu parfois très nuancé des couleurs. « Lorsque j’ai commencé à dessiner sur iPhone, j’ai tout de suite compris que c’était un nouveau médium mais qu’il constituait aussi une manière complètement inédite de diffuser des images. J’ai toujours prôné la pratique du dessin. Apprendre à dessiner, c’est apprendre à regarder, et apprendre à regarder ne fait de mal à personne ! » Sur le mur de droite, 20 téléphones, et sur celui de gauche, 20 iPad : deux ensembles enchâssés dans deux coffres de bois. Les œuvres, créées sur ces terminaux mobiles, sont exposées dans leur milieu « naturel ». Interdit de toucher, interdit de photographier. Certains écrans dévoilent en boucle les différentes étapes d’un dessin, du premier trait à l’œuvre finale. « J’ai été dans les premiers à acheter un iPad, simplement parce qu’il était plus grand et que je pensais qu’il me permettrait d’exécuter des dessins plus complexes. Il possédait de nouvelles fonctionnalités. On pouvait refaire le dessin à rebours en appuyant sur une touche. Je ne m’étais jamais vu dessiner auparavant et la chose parut fasciner aussi tous ceux à qui je l’ai montrée. La seule expérience antérieure semblable était celle où l’on voyait Picasso dessiner sur du verre pour un film. »
A bien y regarder, ce qui frappe le plus, c’est l’évident plaisir de l’artiste à créer avec ses doigts ! On sent comme une frénésie, un appétit grandissant pour cette technologie propre et pleine de potentiel. Deux qualités qui à elles seules ne peuvent pourtant pas expliquer l’engouement de David Hockney. « On se rend vite compte que c’est un médium lumineux. J’ai commencé par dessiner le lever du soleil. L’iPhone était à côté de mon lit. Il contenait tout ce qu’il fallait et n’était pas salissant, de sorte qu’on n’avait même pas à nettoyer après s’en être servi. Je n’aurais pas dessiné l’aurore avec seulement un crayon et une feuille de papier. C’est la luminosité de l’écran qui m’y a incité. » Il prend l’habitude d’envoyer nombre de ses dessins à des amis par e-mail. Certains les impriment et ce faisant les privent de leur caractère le plus précieux, la lumière. L’œuvre est intrinsèquement liée à l’appareil qui l’affiche, comme la peinture ne peut être dissociée de la toile. L’iPhone est à la fois atelier et lieu d’exposition tout en ne quittant jamais la poche de veste de son propriétaire. Les fleurs deviennent les modèles préférés de l’artiste, notamment celles qui ornent en permanence sa chambre. L’expo en est pleine. Coupées, en pot, en vase, en bouquet, elles sont les reines mais s’écartent parfois aussi devant des paysages, des natures mortes ou un portrait. Clins d’œil aux peintres des siècles passés, des tournesols renvoient irrésistiblement à Van Gogh, certaines ambiances évoquent Dufy ou Bonnard, de chaudes couleurs convoquent Chagall, tous artistes français ou ayant vécu en France, un pays que Hockney connaît bien pour y avoir séjourné de 1973 à 1975 et qu’il visite régulièrement. Dans la pièce d’à côté un écran flottant sert de support à un triptyque numérique. D’autres fleurs s’affichent sans rien apporter de plus. Certains visiteurs regardent l’écran de leur iPhone l’air un peu dépité, ils aimeraient tant compter parmi les amis de l’artiste !