De son enfance baignée de la féerie des paysages auréolés de brumes, de rivières hors du temps et de pains de sucre rocheux de Guilin, dans le sud-est de la Chine, Li Tian Bing garde le souvenir de sa passion originelle pour le dessin – très jeune, il couvre sols et murs de ses créations à la craie –, et celui d’une solitude intense, celle d’un enfant unique à l’univers imaginaire très riche, peuplé d’amis et d’ennemis fantômes et, surtout, habité par son frère… fictif, idéal et merveilleux compagnon. Ce monde lointain, à résonance onirique, l’artiste continue de l’explorer au fil de ses toiles, de son travail sur la mémoire, axe essentiel de sa démarche artistique.
Dans ses séries les plus récentes, apparaît de manière récurrente, le visage d’un enfant peint en surimpression : évanescence, réminiscence, comme la vision floue d’une ancienne photographie. En réalité, ce visage obsédant s’inspire d’une série de cinq clichés pris par son père, uniques et précieux témoignages d’une époque révolue. « Dans les années 1970, en Chine, souligne l’artiste, il était difficile d’accéder à la photographie pour la plupart des familles mais, comme mon père travaillait dans l’armée au service de la propagande, il avait eu la possibilité d’emprunter un appareil et de fixer quelques moments de mon enfance. C’est l’histoire de ces cinq photos », devenues ses images de référence pour travailler l’autoportrait, « créer des frères qui n’ont pas existé » mais sont venus enrichir un album resté entrouvert, en suspens.
De la calligraphie que lui enseigna sa mère, il conserve une précision extrême du trait, un souci du détail assorti d’une puissance particulière du geste. Plus tard, un cycle d’études en France lui permet d’approfondir sa maîtrise d’autres techniques, notamment celle de la peinture à l’huile, grâce auxquelles il explore différents styles et pistes esthétiques, développant en une dizaine d’années une œuvre dense, émouvante et originale. A l’image peut-être d’un parcours éducatif lui-même atypique, puisque, après avoir suivi des cours de dessin et de peinture jusqu’à l’adolescence, Li Tian Bing choisit, après le lycée, de s’inscrire à l’Institut des Relations Internationales de Pékin. « Si on a du talent, on peut apprendre la technique de la peinture très vite, et ensuite, c’est la réflexion qui compte. Je préférais acquérir tout de suite, une vision plus ouverte sur le monde, explique-t-il. La politique internationale m’intéressait beaucoup à l’époque et, comme j’avais été déçu par la formation autour du réalisme social dans les écoles d’art en Chine, j’ai préféré apprendre d’autres choses dans d’autres domaines pour rejoindre l’art plus tard, à l’étranger. » Réalisant un de ses rêves d’enfant – né de sa fascination pour son aîné Xu Beihong, qui avait étudié à Paris dans les années 20 –, le jeune homme entre ainsi en 1997 aux Beaux-Arts de Paris. Il en sort en 2002, non sans avoir été salué à l’unanimité par le jury, et décide d’établir son atelier en région parisienne.
« J’aime observer les choses avec du recul. Quand je suis en France, j’aime penser à mon passé en Chine et vice versa. Comme la mémoire est souvent floue, cela me donne une plus grande liberté d’imagination et d’interprétation par rapport au moment dans lequel je suis. Pour chaque homme, à l’âge de six ans, la plupart des choses sont déjà formées et le reste de l’existence est juste là pour les compléter. De ce fait, la façon dont je regarde mon enfance est aussi une forme d’analyse de moi-même. »
Mémoire des origines et quête d’identité, se retrouvent au cœur de son travail pictural et d’une recherche qui vient en écho d’une réflexion passionnée autour de la dualité culturelle et sociopolitique qui a caractérisé le monde du XXe siècle. Sur le thème de l’entrecroisement des savoirs, traditions et modes de pensée de nos sociétés contemporaines, l’artiste Chinois, témoin de la spectaculaire métamorphose de son pays passé en trente ans d’un statut de nation du tiers-monde au rang de deuxième puissance mondiale, et confronté à la culture occidentale, patiemment trouve sa voie du « milieu ».
Pour sa première exposition personnelle dans son pays d’origine, Li Tian Bing a choisi de montrer la partie de son œuvre qui évoque son enfance. « C’est un peu comme s’ils rentraient à la maison, après la vie en France, glisse-t-il avant de rappeler que ce qui l’intéresse vraiment, c’est la réception de chacun de mes tableaux dans différents contextes culturels. »