Subodh Gupta – Le quotidien transcendé

A 47 ans, Subodh Gupta est devenu la star de l’art contemporain indien. S’exprimant avec autant d’aisance par le biais de la peinture, la sculpture, la photographie, la vidéo ou la performance, il s’inspire du quotidien extrêmement ritualisé et codé de son pays, où tradition et modernité ne font qu’un. Ali Baba, installation toute de gobelets, plats, brocs, seaux et louches en acier inoxydable constituée, porte sa signature reconnaissable entre toutes. Elle est à découvrir dans le cadre de Paris-Delhi-Bombay, la vaste exposition collective organisée cet été par le Centre Pompidou, à Paris. Subodh Gupta et Bharti Kher, son épouse, sont parmi les incontournables plasticiens invités à y représenter l’Inde. A cette occasion, ArtsHebdoMédias met en ligne le portrait réalisé pour Cimaise (n° 281).

Photo Samantha Deman
Subodh Gupta

Bien loin de son Bihar natal, Subodh Gupta vit au vingt-deuxième étage d’un immeuble de Gurgaon, banlieue en pleine expansion de Delhi. L’accueil est simple et chaleureux, sur la table attend le traditionnel thé indien agrémenté d’épices et de lait. La télévision retransmet un match de cricket, « ennuyeux » selon l’hôte au regard pourtant captivé par la rencontre opposant deux rivaux historiques : l’Inde et le Pakistan. Poliment, mais sans regret apparent (l’Inde mène au score) Subodh Gupta éteint le téléviseur. Place alors à l’homme et à l’artiste, tous deux profondément imprégnés de la culture et des traditions indiennes. Sans pour autant y adhérer.

Issu d’une famille des plus modestes de la classe moyenne, Subodh est le premier Gupta à rompre avec les coutumes ancestrales, tant dans sa vie professionnelle que personnelle (il a choisi d’épouser une femme n’appartenant pas à sa caste). Une décision acceptée par son entourage pourtant encore incapable de déroger aux us et coutumes hindous. « Toute ma famille croit en des dieux et des déesses et pratique les rituels. Moi, je ne suis pas croyant, mais je suis né dans cette famille et cela fait partie de mon héritage, donc de mon art. »

Les objets dépassent leur dimension traditionnelle

Subodh Gupta, photo Galerie Nature Morte
Pure space, Subodh Gupta, 2005-2006.

L’héritage, les racines et l’identité sont les premières sources d’inspiration de Subodh Gupta. Un principe qui, selon lui, s’applique à tous les artistes, mais qui doit être complété. C’est l’expérience qui fait la différence, les voyages aussi. Moscou, New York, Londres, Venise et Paris, pour ne citer qu’elles, font partie des villes prestigieuses qui l’ont accueilli. Ces voyages à travers le monde de l’art international ont influencé son travail, de manière «positive», le poussant notamment à réfléchir à sa place dans son propre pays. Subodh Gupta est un artiste en « perpétuel apprentissage » comme il aime se définir. Qui je suis, d’où je viens, où je suis, quel est le monde dans lequel je vis ? Ces questions sont au cœur de sa réflexion artistique. Pour lui donner corps, il a recours aux formes d’expression les plus variées : photographie, peinture, sculpture (essentiellement bronze et aluminium), installations, vidéo ou performances. « Il y a tant de façons de travailler », lâche-t-il. Alors, comme il aime toucher à tout, il fonce, retenant la forme d’art la mieux adaptée à l’inspiration du moment.

Au cœur de son art, son quotidien, au cœur de ses œuvres, les objets qui font ce quotidien. Le sien et celui de centaines de millions d’Indiens. On retiendra les ustensiles de cuisine en acier inoxydable, le seau à eau ou le pot à lait, la vache et ses déjections. Une fois transmutés en œuvres, ces objets communs dépassent leur dimension traditionnelle et rendent compte de la vision de l’artiste. Il ne s’agit pas là pour lui d’opposer tradition et modernité. Tout au contraire puisque ces deux notions vont forcément de pair dans l’Inde d’aujourd’hui. « Juste avant d’allumer un ordinateur, explique l’artiste, vous portez systématiquement la main au front, parce que vous êtes né dans une famille hindoue et qu’il s’agit d’un rituel religieux. Ici, modernité et rituel vont très bien ensemble, chacun s’en accommode ». Et de lancer une pique contre le monde politique qui s’évertue selon lui à établir une frontière entre l’Inde traditionnelle et l’Inde moderne, alors que la réalité de la rue démontre leur parfaite imbrication. Car si la vie urbaine se développe au rythme de l’économie indienne en plein boum, il n’en reste pas moins que 70 à 80 % de la population vit dans un environnement rural, par définition profondément ancré dans les traditions.

« I love France »

Subodh Gupta dit avoir une affection particulière pour la France et sa capitale où il expose régulièrement dans la galerie In Situ (13e arrondissement) de Fabienne Leclerc. En 2004, il avait été invité à intervenir le temps d’un mois à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris : il garde un souvenir « fantastique » de ses échanges avec les étudiants et de ses balades au fil des rues et de la Seine.

Subodh Gupta
Leap of faith, Subodh Gupta, 2005-2006.

Au fil du temps, il a pris conscience que son travail pouvait faire réfléchir, et parfois provoquer, tant ses concitoyens amenés à questionner leur société, que le public étranger, poussé à s’interroger sur sa perception de l’Inde. Exemple, la vache et sa bouse. « Je suis né et j’ai grandi près des vaches. Composer avec elles est normal pour moi », explique l’artiste. La vache n’est pas seulement un symbole fort de l’Inde, elle fait partie de sa culture, ses déjections sont considérées comme purificatrices par la religion hindoue. Celles-ci sont par ailleurs très utiles dans la vie quotidienne et sont soigneusement récoltées et mises à sécher, afin de servir notamment de combustible. De fait, contrairement aux habitudes occidentales, la vache est partout, jusqu’aux carrefours les plus fréquentés de Delhi. La bouse de vache est donc un élément qui s’intègre très bien dans un travail contemporain. « C’est là mon objectif. Cela a l’air traditionnel, dépassé, mais ça ne l’est pas », conclut l’artiste, qui rallume alors discrètement la télévision, juste le temps de s’assurer que l’équipe nationale de cricket a bien battu le Pakistan.

L’atelier

Plus près de la réalité de la rue que son appartement du 22e étage, mais bien loin de l’idée que l’on pourrait se faire du refuge d’un artiste, l’atelier de Subodh Gupta occupe les cinq pièces d’une petite maison individuelle de plain-pied plantée en face de quelques boutiques aux murs croulants. L’entrée est encombrée de caisses en bois, témoins des retours d’expos organisées à l’étranger. Le visiteur ne peut que s’étonner de la modeste taille des pièces lorsqu’on connaît la place que prennent certaines des œuvres de l’artiste (on pense au Bucket, seau en acier inoxydable mesurant plus de 1,80 m ou à Everything is inside constituée du toit d’un taxi surchargé de colis en bronze). L’explication est toute simple : le plasticien travaille en étroite collaboration avec des ateliers et une usine extérieurs pour fabriquer certaines de ses sculptures.

Subodh Gupta, photo Galerie Nature Morte
Fire, Subodh Gupta.

Quelques dates

1964 Naissance à Khagaul, dans l’Etat indien du Bihar.
1989 Première exposition personnelle à Delhi.
1990 S’installe à Delhi.
1997 Lauréat de la bourse Unesco-Aschberg pour les artistes.
2004 Invité à intervenir à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
2005 Participe aux Biennales de Moscou et de Venise. Expose à Bombay, Chicago, New York et Paris.

Contact

Paris-Delhi-Bombay, jusqu’au 19 septembre au Centre Pompidou à Paris.

Crédits photos

Image d’ouverture : Ali Baba, Subodh Gupta, 2011 – Subodh Gupta © Photo S. Deman – Pure space © Subodh Gupta, photo Galerie Nature Morte – Leap of faith © Subodh Gupta – Fire © Subodh Gupta, photo Galerie Nature Morte

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