Il est des artistes inclassables, tour à tour déroutants et fascinants, à la fois complexes et bouleversants ; Matt Mullican a rejoint leurs rangs dès ses débuts, il y a une quarantaine d’années, pour développer une œuvre dense et protéiforme, basée sur une interprétation et un ordonnancement très personnels du réel et s’appuyant aussi bien sur le dessin, la peinture, et la sculpture, que sur la vidéo, les outils numériques, l’installation et la performance. Auteur, compositeur, interprète d’un langage singulier constitué de symboles et signes de son invention, ou empruntés à la signalétique urbaine, il redessine les cartes, schémas et diagrammes du monde, ébranle nos certitudes, avive et nourrit notre curiosité.
Son univers se lit en vert, bleu, rouge, jaune ou noir, chacune de ces couleurs référençant l’une des cinq parties qui le constituent. Matt Mullican distingue ainsi le Monde élémentaire – celui des éléments et de la nature –, le Monde non encadré (par la conscience) – qui détermine la vie quotidienne –, le Monde encadré – propre à la conscience, aux arts et aux sciences –, le Monde du langage – dans lequel se déploient signes et codes –, et le Monde du subjectif – celui des idées et valeurs spirituelles. L’artiste chemine de l’un à l’autre, observe et analyse, sonde et interprète, s’aventurant sans relâche sur de nouvelles pistes exploratoires.
Le recours régulier à l’hypnose, dès la fin des années 70, lors de ses performances est une autre des spécificités qui singularise son travail. Lors de ce type d’expériences, réalisées dans son atelier ou mises en scène devant public, l’artiste se plonge délibérément dans un état de transe, offrant ainsi la plus grande liberté et le plus vaste champ d’expression possibles à son inconscient. S’établit alors « une relation fort difficile » avec lui-même, confiait-il en janvier 2007 à Londres. Un échange s’engage qui l’entraîne aux frontières de l’obsessionnel et de la schizophrénie. Il parle en l’occurrence de l’œuvre d’un « autre » (That Person), personnalité au sexe et à l’âge indéfinis, non dénuée d’humour ni de perspicacité, dialoguant au fil de larges enjambées, soliloquant face contre terre, livrant son interprétation du monde sur de larges toiles murales ou à même le sol.
L’exposition que lui consacre l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne est la plus importante organisée autour de son œuvre en France depuis vingt ans.