La galerie Denise René-Espace Marais accueille tout l’été Christian Megert. Connu pour sa participation au groupe ZERO, le Suisse déploie une œuvre dont l’ambition est de faire naître « un espace sans début ni fin ni frontières » à la fois « immobile et en mouvement » comme expliqué dans son manifeste intitulé Un nouvel espace. Utilisant le miroir depuis le début des années 1960, l’artiste ne se lasse pas d’en explorer les multiples capacités. Brisé, découpé, peint, suspendu, collé… le verre poli reflète son environnement autant qu’il fait naître un monde d’abîmes pénétrés de lumière.
D’emblée, le visiteur est confronté à une série de miroirs installés et suspendus dans une structure cubique de bois blanc. Côté pile, le reflet de la galerie. Côté face, le noir d’une peinture. Corps solide plongé dans la lumière, Environment with mobile, tel un précipité, livre en un seul opus la quintessence de quelque 60 années de recherche et de production artistique. De 1963, année de sa création, à 2019, l’installation a été montrée et réinterprétée plusieurs fois. Respectant à la fois ses principes fondateurs et les renouvelant à chaque occasion. Après une exposition entièrement consacrée aux œuvres les plus récentes de Christian Megert, la galerie parisienne Denise René a décidé d’honorer de nouveau l’artiste suisse en réunissant dans son Espace Marais une sélection de pièces datant du début des années 1960 à nos jours. Un esprit rétrospectif souhaité par Denis Kilian, qui dirige le lieu et a à cœur de rendre visible la démarche plastique de chaque invité à travers un temps long. Souhait que Christian Megert a exaucé de bonne grâce en proposant des œuvres emblématiques des périodes les plus marquantes de son travail, sans pour autant s’appesantir sur le passé. « Je préfère toujours montrer les choses nouvelles », affirme-t-il dans un sourire et en français. L’artiste, qui participe prochainement à deux expositions collectives autour du groupe ZERO, a décidé qu’il n’irait ni en Corée, ni au Japon. Le temps de l’atelier étant toujours plus passionnant que celui des célébrations.
Né en 1936, à Bern, en Suisse, Christian Megert est formé à l’Ecole des arts appliqués de sa ville natale. Il n’a pas encore 20 ans quand il montre pour la première fois son travail : des monochromes jouant avec la matière et le motif de la grille. Suivent alors voyages et expositions collectives. A Paris, il partage les cimaises d’Iris Clert avec Yves Klein et Jean Tinguely. Sa première exposition personnelle aura lieu en 1959 au Club des 4 Vents. Cette même année, il participera au premier numéro de la revue Azimuth, fondée par Enrico Castellani et Piero Manzoni. Le monde de l’art bouillonne. La génération qui n’a pas participé à la guerre n’en est pas pour autant sortie indemne. L’heure est à la régénération. A Düsseldorf, Heinz Mack et Otto Piene, qui sont voisins, lancent eux aussi une revue et ouvrent leurs ateliers au public pour des expositions qui ne durent que le temps d’un soir. Ainsi naît le groupe ZERO.
Rejoint par Günther Uecker en 1961, les artistes « expérimentent une forme d’art conceptuel qui, par la création d’environnements dynamiques et l’emploi d’éléments naturels (air, terre, eau, feu), aspire à la réconciliation de l’homme avec la nature », explique l’historienne de l’art Cécile Godefroy. Ensemble, ils créent des installations lumineuses et cinétiques, qui souvent demandent au public de s’impliquer. La même année, Christian Megert décide de s’intéresser au miroir comme matière. Si la pratique du monochrome le rapprochait irrésistiblement du groupe ZERO, ce sont ses recherches sur l’espace et la lumière qui seront mises en avant au cours d’expositions collectives auxquelles participent aussi, et entre autres, Lucio Fontana et Piero Manzoni. « Je veux construire un nouvel espace, un espace sans commencement ni fin, dans lequel tout vit, où toute vie est stimulée. Cet espace sera tranquille et bruyant, immobile et en mouvement », écrit Megert dans Nouvel Espace, Manifeste, en 1961. A Amsterdam, l’artiste arrive avec deux valises. « C’était ma première exposition au Stedelijk Museum. Nous étions tous venus en train. N’ayant pas bénéficié d’un budget, j’avais imaginé 40 environnements réalisés avec des fragments de miroir dans de petites boîtes à cigares et trois livres en verre. » Dans la galerie Denise René, un exemplaire de Glass book se déploie sur un socle blanc.
Au mur, la matière-miroir se donne à voir en de nombreuses métamorphoses. Il y a notamment ce triangle morcelé, installé sur un rectangle de bois peint en blanc (Sans titre, 1963) et cette pièce en hauteur qui arbore un mobile à deux suspensions peintes d’un seul côté en blanc également (Mobile with 2 suspended rectangles, 1966). Mais comment Christian Megert a-t-il fait la connaissance de Denise René ? C’était en 1954. Il était venu à la galerie pour une exposition d’Agam. Il y reviendra régulièrement, car la galeriste est sans cesse en quête des nouvelles formes qui prouvent que l’art, pour exister, invente. « Si Denise René n’a pas créé l’art cinétique, de nombreux artistes ont concouru à son émergence, c’est elle qui en organisa la première exposition, en 1955. La presse parlait de jouets ! Aucun article n’a qualifié Tinguely, Vasarely, Soto ou Agam, d’artiste ! Cet art apparaissait comme ridicule et Denise René comme folle. Pour les journalistes comme pour le grand public, ce n’était rien », intervient Denis Kilian. C’est en 1967, que Christian Megert expose pour la première fois à la galerie avec des pièces dans la même veine que le caisson lumineux montré actuellement (Light object – Endless room, 1972). A cette époque, il est déjà installé à Düsseldorf, ville dans laquelle il vit toujours et où l’Académie des beaux-arts le verra enseigner à partir de 1976. « A Milan, il était impossible de vendre quoique ce soit si on n’était pas italien ! La Suisse était trop petite pour permettre à ses artistes de vivre. En France, l’atmosphère était plombée. En Allemagne, c’était le boom ! », se souvient l’artiste. La galeriste se tournera, elle aussi, vers l’étranger pour développer son activité. « Denise a toujours travaillé à l’international parce qu’il n’y avait pratiquement pas de clientèle française pour l’art qu’elle présentait. Il lui fallait donc travailler avec les pays scandinaves, l’Allemagne ou les Etats-Unis, notamment », précise Denis Kilian.
Mais revenons au miroir. D’autant que l’artiste n’a jamais démenti son choix et poursuit encore aujourd’hui sa recherche. « Quand j’ai décidé de travailler le miroir, tout le monde m’a demandé pourquoi et m’expliquait que ce n’était pas une matière pour l’art. J’ai pensé que c’était probablement la raison pour laquelle ce que je faisais en était ! J’ai commencé par réaliser de grands environnements, comme la pièce qui débute cette exposition. Puis celles avec des mobiles ont suivi », raconte Christian Megert. Choisir de travailler cette matière est avant tout s’intéresser à l’infinité des espaces qu’elle crée. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre l’artiste parler de certaines de ses pièces réalisées pour être exposées dans l’espace public. Pour lui, une surface en miroir dit beaucoup plus qu’une surface de peinture. Les reflets qui s’y inscrivent créent un monde instable, qui se duplique, se métamorphose au moindre souffle de vent ou mouvement du spectateur. L’œil s’y abîme et s’y promène sans jamais risquer l’habitude. L’œuvre est à la fois toujours la même et jamais identique. Et pendant plusieurs décennies, seuls le noir et le blanc sont venus ponctuer ses reflets. Mais dernièrement, le bleu, le rouge, le jaune, le rose… ont fait leur apparition. « C’est une question d’âge ! », s’amuse Christian Megert, pour lequel l’art minimal a sonné la fin des couleurs. « C’était l’équivalent d’une manifestation contre la peinture, contre l’art traditionnel et le marché. Dans les années 1990, tout s’est ouvert. Il n’était plus question d’écrire des manifestes pour imposer le blanc pur ou la structure pure. Maintenant, j’utilise des couleurs et ça me fait très plaisir. »
Présentées dans des caisses en plexi, les nouvelles pièces ne se refusent rien. Ni la couleur, ni les formes. Le cercle, peint à la main, fait une entrée remarquée. Si le triangle subsiste, il est moins agressif. Apposé sur des miroirs rectangulaires bien alignés et nettement découpés, la figure se répète et s’inscrit comme un code sur le verre. L’artiste se sent libre. C’est palpable. Et poursuit son exploration. C’est indéniable. Mais pourquoi continuer ? « Je suis fasciné par le miroir. Je n’ai pas trouvé une autre matière qui puisse autant intéresser mon travail. Et je n’en ai pas terminé. Quand j’ai fait la première caisse lumineuse, c’était vraiment une grande aventure. J’y ai vu un autre monde. Aujourd’hui, cette fascination demeure. » Les œuvres en miroir de Christian Megert mobilisent notre pensée et l’inscrit dans un espace sans limite, comme le suggère le titre de l’exposition. Qu’advient-il dans l’infini nous demande l’artiste. Où est la fin ? Christian Megert ne donne plus simplement à voir mais à penser. « Essayez de trouver un espace sans début, sans fin et sans limite. Si vous opposez un miroir à un autre, vous trouvez un espace sans fin et sans limite, un espace aux possibilités illimitées, un nouvel espace métaphysique », a-t-il écrit en 1961 dans le Manifeste de sa vie.
Contact
Christian Megert-Espace sans limite, jusqu’au 21 septembre à la galerie Denise René – Espace Marais, à Paris.
Crédits photos
Image d’ouverture : Light object – Endless room, 1972 © Christian Megert, photo MLD courtesy galerie Denise René – Les photos de Christian Megert, Glass book, Mobile with 2 suspended rectangles et Sans titre sont créditées © Christian Megert, photo MLD courtesy galerie Denise René – Environment with mobile © Christian Megert, photo galerie Denise René – Vue de l’exposition Christian Megert-Espace sans limite © Christian Megert, photo galerie Denise René