Noël en Arles ou le sacre du quotidien

Méditer devant les clichés immuables de Véronique Ellena exposés jusqu’au 30 décembre au Musée Réattu, flâner dans les venelles arlésiennes d’une galerie à l’autre au grès des 90 animations et spectacles offerts dans le cadre de la quinzième édition du Festival des Arts de rue (du 21 au 24 décembre) et puis tracer jusqu’à la Fondation Luma pour s’immerger (jusqu’au 7 janvier) dans l’œuvre graphique radicalement libre et bibliquement engagée de Gilbert & George. Voici au moins quatre bonnes raisons de célébrer les fêtes de Noël en Arles… Et il en existe encore bien d’autres !

Véronique Ellena l’intemporelle

Fauteuil Balthus, série Clairs-obscurs, Véronique Ellena.

Dans l’ancien Grand-Prieuré de l’Ordre de Malte qui fut la demeure du peintre arlésien Jacques Réattu (1760-1833) avant de devenir l’un des tout premiers musées de France en 1868, les photographies de Véronique Ellena incitent à la méditation. « Pour moi, le sacré fait partie de la vie quotidienne, dit-elle, il est à chercher dans la poésie et les rituels des petites choses de la vie ; c’est cela qui rassemble les gens. » L’artiste, née à Bourg-en-Bresse en 1966 et diplômée de La Cambre (l’Ecole nationale supérieure des arts visuels, à Bruxelles) travaille sur cette double thématique – quotidien et sacré – depuis le début des années 1990. « Même lorsque je photographie des paysages ou des natures mortes, je choisis des objets ou des lieux-dits sans qualité, des endroits peu spectaculaires, mais toujours à la recherche de la beauté et de la dimension spirituelle qui en émanent. » L’exposition monographique que le Musée des beaux-art et d’art contemporain d’Arles dédie à l’œuvre de Véronique Ellena depuis le 30 juin débute par la série Les classiques cyclistes, une mythologie populaire qu’elle compare à celle des gladiateurs et qu’elle met en regard d’une toile du maître des lieux, La mort d’Alcibiade de Réattu, photographiée et agrandie dans les règles d’un travail de recherche en cours sur le négatif et le clair-obscur. Dans une autre série, Ceux qui ont la foi, elle s’intéresse autant à celle du sportif qu’à celle du militant entièrement dévoué à sa passion, et se demande comment la croyance peut agir sur l’aura de la personne, comment se matérialise-t-elle de manière photographique sur la pose, sur un visage ou sur un corps. Pour Véronique Ellena, touchée par la peinture hollandaise et l’œuvre de Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779), cette quête s’inscrit naturellement dans l’histoire de la peinture classique. D’ailleurs, l’artiste n’a pas souhaité se convertir au numérique : non seulement elle accorde un grand soin à ses tirages, mais elle travaille toujours à la chambre et considère le moment de la pose comme magique, autant pour elle que pour ses modèles, qu’ils soient humains, objets ou paysages. Un jour, à l’issue d’un travail sur les vitraux réalisé avec le maître-verrier Pierre Alain Parrot – qui leur valut d’ailleurs le Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main –, alors qu’elle replongeait dans des images existantes, elle les scanna par erreur, en négatif. Se produit alors une révélation esthétique dont elle choisit d’utiliser la technique pour rendre hommage aux maisons de son enfance, dans une série sur la mémoire. « Là encore, ce sont des maisons modestes, dit-elle, investies de l’amour des personnes qui les habitaient et dont je voulais révéler l’empreinte immatérielle. » Tels les souvenirs inversés éblouis par un moment irréel, les tirages de ses grands négatifs couleurs jouent sur la transparence et la lumière, révélant des images mémorielles fantomatiques, comme les traces d’un instant fugace capable de capter l’éternité.

San Luca e Martino, Rome, série Les Invisibles, Véronique Ellena, 2012.

Bénéficiant d’une jolie carrière rythmée par la commande publique, Véronique Ellena, en résidence à la Villa Médicis, réalise dans le décor des jardins et des anciens appartements du peintre Balthus des natures mortes frontales, à la fois monumentales et intimes, qui s’inscrivent dans la tradition des memento mori de la peinture italienne, mais elle en profite aussi pour rendre hommage aux Petites mains de la Villa qui lui ouvrent les portes des coulisses et des cuisines. A Rome, Véronique Ellena aime se lever tôt et arpenter les rues de la ville pour capter la lumière de l’aube, elle y débute une nouvelle série sur Les invisibles, ces sans-abris couchés sur le seuil des églises que l’on ne regarde plus le jour et qui, la nuit, se (con)fondent dans la beauté architecturale des monuments de la ville. A Turin et à Gênes elle poursuivra cette mise en regard du décalage entre la magnificence des pierres et la condition humaine, entre le somptuaire, le beau « officiel » et la réalité telle qu’elle est, sans violence, ni voyeurisme ajouté : « Les SDF que je regarde dormir m’apparaissent comme des statues tombées de leur piédestal. » C’est sans doute là que réside la force de Véronique Ellena, ce désir permanent de transcender la réalité.
Jusqu’au 30 décembre au Musée Réattu (fermé le 25 décembre), à Arles
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Gilbert & George : l’œuvre d’une vie à la fondation Luma

Life, série Death Hope Life Fear, Gilbert & George, 1984.

Depuis leur première rencontre au Central Saint Martins College of Art and Design de Londres, en 1967, Gilbert & George ont érigé leur vie en œuvre d’art : « C’est plutôt quelque chose qui s’est imposé à nous comme le temps qu’il fait ! (…) Nous nous sommes toujours sentis à la marge, un peu à part. Il n’était pas question de ressembler à tous ces sculpteurs de St Martins qui produisaient un art formaliste. Nous voulions faire quelque chose de différent, tout a commencé le jour où nous avons quitté l’école car, alors, il a bien fallu exister et faire le choix de devenir – ou non – des artistes », raconte le couple lors d’une conversation avec Hans-Ulrich Obrist, co-commissaire de l’exposition avec Daniel Birnbaum, directeur du Moderna Museet de Stockholm. A travers plus de 80 œuvres, cinquante ans de création commune sont présentés à la Fondation Luma dans une exposition qui prendra bientôt la direction d’Oslo, puis de Reykjavik. The Great Exhibition (1971-2016) est un événement rare, une première en France autour de l’œuvre du couple britannique le plus « biblique » et controversé de l’art contemporain : à partir d’agrandissements photographiques dans lesquels ils se mettent en scène, Gilbert & George créent des fresques sociétales somptueuses et d’une grande intensité graphique, agencées comme les vitraux d’une cathédrale. Considérées comme provocatrices, elles sacralisent le quotidien et mettent à nu tous les tabous,, le sexe, l’argent, les excréments, les communautarismes, la violence et la religion dans un art volontairement accessible à tous. « Les gens s’affranchissent de leurs chaînes parce qu’ils ont lu un livre ou vu une exposition, relève le duo. De retour chez eux, ils se sentent transformés par ce qu’ils ont vu. Nous avions en tête cette idée de liberté en produisant Naked shit ! L’art nous sert toujours à parler aux gens par-delà les images, n’est-ce pas là la visée même de l’art ? Communiquer ? »
Jusqu’au 6 janvier 2019 à 
la Fondation Luma, à Arles.

Quatre jours de fête au solstice de l’hiver

La Compagnie Cercle de feu à l’œuvre.

Du 21 au 24 décembre, en Arles, l’art se partage dans la rue ! Depuis 2004, à l’initiative de la ville, Drôles de Noël a déjà accueilli plus de 300 compagnies nationales et internationales de théâtre et de spectacles de rue. Cette année, plus de cent artistes – 19 compagnies – y sont conviés pour offrir aux petits comme aux grands des projections monumentales et autres jeux de lumières, du cirque, de la danse, de la poésie, du théâtre, d’étranges manèges et d’insolites concerts d’instruments dans les rues du cœur de ville et de ses plus beaux lieux patrimoniaux. Sont encore au rendez-vous en 2018 les traditionnels défilés déguisés sur échasses, ainsi qu’un échiquier géant installé sur la place de la République, par La Drôle de Ludo et ses jouets en bois ; Place du Forum, Les Mystérieuses Coiffures et La Cage aux Oiseaux du sculpteur capillaire Christophe Pavia nous attendent, sur un air d’opéra, pour dompter les crinières de ces dames ou les barbes de ces messieurs, comme autant de matière à la création plastique ! Paul-Henri Jeannel nous propose pour sa part un atelier spectaculaire sur l’art de l’Origami et se prépare à sortir de son Chapeau Magique une drôle de galette, un immense serpentin de huit kilomètres, suspendu dans les airs, qui se dévide interminablement pour former un utopique terrain de création et de jeux. Et pour clôturer le festival, le 24, la Compagnie Cercle de feu s’installe dans l’enceinte des Arènes pour un sensationnel Ôkto : pluie de feu et gerbes d’étincelles, de neige et de braises dignes des plus décadentes festivités romaines. Tout le programme est à retrouver sur le site www.droles-de-noels.fr.
Tous les spectacles sont gratuits. Plus d’infos sur www.arlestourisme.com.

Coups de cœur en galeries

Raubtiere 01, Salvatore Puglia, 2018.

Et pendant ce temps-là, il se passe toujours quelque chose en galerie. Rue de la Calade, à la Flair galerie, les compositions baroques de Salvatore Puglia mêlent photos, dessins, broderies et documents, auxquels s’ajoutent des céramiques, pour mettre en scène une curieuse ménagerie (Return to Eden) : s’y côtoient animaux sauvages et domestiques, espèces disparues et familières, figures répertoriées et imaginaires. Une faune plurielle qui renvoie, pêle-mêle, à la forêt primitive, aux grottes préhistoriques, à la mythologie antique, au répertoire fantastique du Moyen-Age, aux planches anatomiques de Buffon et à divers contes et légendes et autres joyaux de la littérature… Bref, un retour au jardin d’Eden !
Jusqu’au 5 janvier 2019 à la Flair galerie, à Arles.

Rejouer avec le regard : c’est ce que nous proposent Thibault Franc, Rémi Sabouraud et David Pinzon Pinto à la galerie du Collectif E3, où les artistes questionnent les notions de présence, d’apparition, de connaissance, de double vue, autour de figures centrales de la culture arlésienne, trop bien connues. « Masquées, effacées, cagoulées, escamotées, ces puissances familières, habituellement opaques et rassurantes, nous deviennent alors peut-être paradoxalement plus présentes, comme les bandelettes révèlent les traits du visage d’un homme sinon transparent. » Voilà qui est dit de façon certes quelque peu sibylline… pour susciter la curiosité !
Jusqu’au 22 décembre et du 5 au 19 janvier 2019 à la galerie du Collectif E3, à Arles.

Mireille Mathieu, Reeve Schumacher, 2018.

Jusqu’au 24 décembre, c’est à l’atelier de l’artiste Reeve Schumacher que la galerie Lhoste fait son show : et dans la hotte du père Noël, on trouve les dessins à colorier de Muriel Toulemonde, les argentiques de Guillaume Chamahian, les pilules de Cirrus, les seins d’Axelle Remeaud, les collages de Brandon Opalka, les cheminées de Frédérique Penel, les chaises de Reeve Schumacher, les larves colorés d’Akihiro Shiroza, les tirages d’Andrés Donadio et puis même les cocktails d’Elisabeth ! Alors pour vous mettre en joie, réécoutez donc avec nous Mireille, l’égérie de l’artiste et maître des lieux !
Jusqu’au 24 décembre, du mardi au samedi de 12 h à 19 h, nocturne le vendredi (21 h) à l’atelier de Reeve Schumacher, 3bis rue du Séminaire à Arles. Tél. : 06 02 65 01 83. www.galerielhoste.com.

Crédits photos

Image d’ouverture : Grenade, série Natures Mortes (2008) © Véronique Ellena – Fauteuil Balthus © Véronique Ellena – San Luca e Martino © Véronique Ellena – Life © Gilbert & George, photo Orevo – © La Compagnie Cercle de feu – Raubtiere 01 © Salvatore Puglia – Mireille Mathieu © Reeve Schumacher

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