A Chaumont-sur-Loire,
fais comme la nature

La nouvelle tombe en pleine torpeur estivale : « Aujourd’hui, l’humanité a dépensé l’ensemble des ressources que la Terre peut régénérer en un an. » Peut-être l’avez-vous entendu le 29 juillet, nommé pour 2021 « jour du dépassement ». Qu’en sera-t-il l’an prochain ? Alors que régulièrement des chercheurs issus de domaines aussi variés que l’agronomie, la biologie et l’écologie mais aussi la chimie, la physique et les mathématiques exhortent leurs semblables à limiter la progression démographique, à remettre en cause une économie ne reposant que sur la croissance, à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à encourager les énergies renouvelables, à protéger les habitats, à restaurer les écosystèmes, à freiner la pollution, à réguler les espèces invasives… ils sont nombreux les femmes et les hommes tout autour de la planète à prendre la mesure de l’urgence et à agir. Difficile de croire que le petit geste que nous faisons au quotidien peut servir une cause aussi grande et qui nous échappe en majeure partie. Et pourtant, la situation planétaire est si préoccupante – fonte des glaces, inondations, incendies, coulées de boue… entraînent des catastrophes sanitaires sur tous les continents – qu’il n’est plus possible de l’ignorer tant à l’échelle mondiale, qu’à celle de la vie privée de chaque individu. Tous les décideurs sont concernés par cette problématique plurielle qui exige non pas de trouver une solution générique mais d’agir avec discernement, inventivité et conviction en de nombreux points pour résoudre la difficile équation de la préservation de l’environnement, sans pour autant renoncer à l’amélioration des conditions de vie des hommes. L’art, lui aussi, a son rôle à jouer. Au Domaine de Chaumont-sur-Loire, cette conviction guide l’action de chacun et modèle les propositions au public. Cette année, le Festival des jardins s’intéresse au biomimétisme. Une belle façon de déclencher un imaginaire prompt à s’émerveiller devant la nature et à apprendre d’elle. Pour tenter de préserver un bien commun et essentiel : la Terre.

Le jardin de la fontaine anémone, carte verte donnée à Jean-Philippe Poirée-Ville, architecte et paysagiste. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander

Mon premier se nomme Le jardin caméléon, mon deuxième voit une extraordinaire termitière se dresser en son centre, mon troisième a été confié à Jean-Philippe Poirée-Ville, mon tout est une manifestation sans équivalent en France : le Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire. Pour chaque nouvelle édition, un jury d’experts sélectionne parmi des centaines de candidatures celles qui proposent les meilleures réponses esthétiques et intellectuelles au thème de l’année. Ainsi en 2021, paysagistes, scénographes du végétal, artistes et jardiniers ont planché sur le passionnant sujet du « Biomimétisme au Jardin – La Nature, source infinie d’inspiration ». Des équipes de concepteurs venues de France et d’au-delà des frontières (notamment d’Italie, des Pays-Bas, de Suède et de la République tchèque) ont rivalisé d’imagination pour offrir au public des espaces singuliers de nature expliquant l’inventivité, l’ingéniosité et la résilience de cette dernière.

Le jardin de la termitière, conception Domaine de Chaumont-sur-Loire, réalisation Collectif Prise de Terre et jardiniers du Domaine de Chaumont-sur-Loire. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander

Très préoccupée par l’avenir de notre planète, de ses paysages et de sa biodiversité, Chantal Colleu-Dumond, directrice du Domaine de Chaumont-sur-Loire, s’applique chaque année à proposer un thème qui permette au Festival des jardins non seulement d’offrir au public un parcours de créations originales, tant par le choix de la palette végétale que conceptuellement, mais également de sensibiliser à l’écologie au sens large ainsi que d’inciter à une réflexion sur les formidables générosité et intelligence de la nature. Si le terme « biomimétisme » est régulièrement entendu dans les médias, il reste néanmoins quelque peu mystérieux pour nombre d’entre nous. Imaginez un hôtel 5 étoiles dans un pays désertique qui n’aurait pas besoin de climatisation pour tenir ses clients au frais ! Voilà ce qu’il est envisageable de concevoir si le modèle de développement architectural s’inspire du vivant. En l’occurrence, de certaines termitières africaines. Le biomimétisme désigne un processus d’innovation et une ingénierie qui empruntent formes, matières, propriétés, processus et fonctions du vivant. L’objectif est de s’inspirer des solutions inventées et sélectionnées par la nature pour répondre à une problématique humaine.
A l’origine de cette démarche transdisciplinaire, il y a la recherche fondamentale qui observe, analyse et modélise le vivant. Puis les sciences de l’ingénieur qui se saisissent des modèles biologiques les plus intéressants pour les traduire en concepts techniques susceptibles d’être développés dans notre quotidien. S’il est vrai que la démarche biomimétique s’intéresse précisément au fait que la nature fonctionne sur un principe d’économie et d’efficacité optimales, sans générer de déchets, elle s’inscrit donc dans une stratégie globale de développement durable, soucieuse de préserver les ressources naturelles et préoccupée par le réchauffement climatique. Ainsi, les équipes élues du Festival des jardins ont travaillé à mettre en évidence certaines propriétés indiquées clairement à l’entrée de chaque création : « Récupération de l’eau », « Intelligence collective, solidarité entre les arbres », « Recyclage », « Hydrophobie », « Architecture naturelle »…

Le jardin zèbre, L’atelier des réserves, Stanislas Jung, Laurian Gascon et Étienne Vazzanino, paysagistes DPLG. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander

Envisager chaque proposition sous différents critères, prendre en compte à la fois la sensation produite par le jardin mais aussi son harmonie, son originalité et sa pertinence par rapport au thème est depuis 8 ans le rôle d’un jury qui se réunit au début de l’été pour récompenser quatre équipes parmi les plus audacieuses. Composé d’artistes, de paysagistes, de journalistes, de critiques d’art (dont l’auteure de cet article), de pépiniéristes et de jardiniers, il a décerné cette année le prix de la Création à L’autre rive de Manon Cadoux, le prix Design et idées novatrices au Jardin zèbre de Stanislas Jung, Laurian Gascon et Etienne Vazzanino, le prix Palette et harmonie végétales au Petit Pays des Larmes d’Eva Willemsen et Frits Van Loon, avec Carolien Barkman et Ellert Haitjema, et le prix Jardin transposable au Territoire de Bocage d’Elodie Stephan et Manon Navarro. Et comme il y a toujours un jardin qui frappe particulièrement l’œil et l’esprit sans pour autant correspondre à l’un des prix à attribuer, les membres du jury s’autorisent un coup de cœur ! En 2021, il a été offert aux étudiants tchèques, Háta Enochová, Marek Kratochvíl, Petr Stojaník et Jan Trpkoš, sous la direction de leur enseignant Vladimir Sitta, chef de département d’architecture paysagère à l’Université de Prague, pour le très intelligent et ludique jardin Tout est connecté.

Tout est connecté, Háta Enochová, Marek Kratochvíl, Petr Stojaník et Jan Trpkoš, sous la direction de Vladimir Sitta. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander

En cette année exceptionnellement difficile pour les lieux de culture, le jury du Festival a souhaité saluer officiellement le remarquable travail de l’équipe des jardiniers du Domaine, à la fois pour la tenue des jardins interstitiels mais aussi pour la réalisation de jardins hors concours magnifiques et aussi pour l’attention, l’aide, qu’ils apportent aux équipes sélectionnées qui ne manquent jamais de saluer leur compétence et leur gentillesse. Cette évocation de ceux qui mettent en œuvre et préservent la qualité de l’espace nature du Domaine est aussi l’occasion de souligner combien ce dernier s’est engagé dans une démarche écoresponsable dans la gestion quotidienne de son activité et de son patrimoine bâti, culturel et végétal. En accord avec la stratégie nationale de protection de la biodiversité, l’institution a proscrit, depuis 2010, toute utilisation de produits phytosanitaires sur les 32 hectares du site et a mis en place une gestion différenciée afin de préserver l’environnement, de protéger la santé des jardiniers et des visiteurs. Le travail du sol, la gestion de l’eau, la biodiversité animale et végétale sont autant de domaines où sont développées de bonnes pratiques comme la préservation de surfaces perméables, le paillage systématique des plantations, la limitation du travail mécanique du sol, l’utilisation d’engrais biologiques et en quantité restreinte, l’arrosage nocturne, la récupération des eaux de ruissellement, le développement d’un potager régi par les principes de la permaculture, l’installation de ruches et d’hôtels à insectes, la constitution de collections végétales, la récupération et la replantation systématiques des arbres et arbustes du Festival… Sans compter le recyclage, le tri sélectif des déchets de production, la rationalisation de l’éclairage… Bref, pas une activité du Domaine qui ne soit revisitée à l’aune de la préservation de la nature et du respect de son rythme. Une action qui, détail après détail, année après année, vise à toujours mieux faire comprendre et surprendre le visiteur. Sans oublier de l’inciter au rêve. Mission ultime.

Le château. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander
Contact

Festival international des jardins, jusqu’au 7 novembre, Domaine de Chaumont-sur-Loire, Chaumont-sur-Loire. https://domaine-chaumont.fr

Crédits photos

Image d’ouverture : Mosaïque mimétique, conception : Domaine de Chaumont-sur-Loire, réalisation : jardiniers du Domaine de Chaumont-sur-Loire. ©Domaine de Chaumont-sur-Loire, photo Eric Sander

Print Friendly, PDF & Email