Pour sa quatrième exposition à la galerie Charlot, Anne-Sarah Le Meur surprend les habitués de son œuvre en changeant de couleur ! Celle qui aimait être dans le noir, le regarder, le fouiller jusqu’à y découvrir une lueur, une caresse, un souffle, une vibration, nous offre aujourd’hui un Rose Apothéose. Surgi à force d’attention et de recherche, ce rose matière explore toutes sortes de nuances pour exploser par instant en un lent flash acidulé. Les œuvres génératives au cœur du travail de l’artiste sont ici accompagnées de tirages et de vidéos.
« Je voulais terminer Vermille avec quelque chose d’intense. J’avais testé des fonds de couleur gris, puis rouges qui m’avaient beaucoup plus. » A partir de ce rouge sur rouge, l’amplitude de couleur évolue progressivement, grandit puis diminue. Des brouillards poignent. De ces longues et lentes expérimentations, Anne-Sarah Le Meur se repaît. Des heures durant face à l’écran de son ordinateur, elle manipule des langages informatiques pour qu’ils deviennent matières et transparences. Après avoir exploré le noir dans ses profondeurs, l’éclat du rose sonne comme une révolution. A la galerie Charlot, à Paris, les œuvres explorent toute une nouvelle gamme de nuances. « Le changement est incroyable. Le noir est une couleur très singulière. On ne voit rien à l’intérieur. Il est un obstacle, une profondeur pesante. Le rose engendre une atmosphère différente, plus joyeuse. Plus c’est clair, plus c’est léger. Mais je prends garde d’éloigner toute fadeur ou mièvrerie en intercalant de l’inattendu ou de l’étrange, comme des plissés. Il faut continuer à troubler autour de la couleur. » Troubler le regard. Il s’agit bien de cela. Le brouillard se lève sur une étendue de rouge, des jeux presque invisibles rendent la matière vivante. Les nouvelles pièces sont issues de Vermille, née elle-même d’Œil Océan.
L’œuvre d’Anne-Sarah Le Meur est un étonnement. Continûment intriguée par ce qu’elle voit, l’artiste ne se résout jamais à passer véritablement à autre chose. En prélevant une part du programme d’une pièce pour en débuter une autre, ce n’est pas la perpétuation d’un « ADN » qu’elle réalise, mais celle d’une curiosité. Impossible d’abandonner l’exploration. Il faut poursuivre et aller plus loin. « Je suis encore très régulièrement surprise par ce que je vois. La diversité qu’apportent les effets colorés, les confrontations de couleurs me sidère. Là, il y a trois lumières, alors que dans Œil Océan il n’y en avait que deux. La troisième ponctuellement s’estompe, c’est à peine si elle demeure visible. Les effets se multiplient avec les brouillards clairs de côté, de surface et de profondeur, et la confrontation de types d’espace différents. Ce fond clair avec une forme claire par-dessus, cela change fondamentalement ce que l’on voit. » L’œuvre se dévoile sous l’œil attentif de son auteure. Les fonds évoluent à un rythme inhabituel. Au lieu des 50 minutes exigées par Vermille, il n’en faudra que 10 à Rose Apothéose (notre photo d’ouverture) pour s’offrir renouvelée. « Elle est plus rapide. Je ne sais pas si les gens savent qu’il faut patienter pour voir quelque chose de très différent. En accélérant le processus, j’ai voulu être moins exigeante, moins radicale avec le spectateur. »
Sur le mur d’en face, des images échappées du programme. « J’aime bien l’idée de pouvoir se passer de l’électricité et de l’ordinateur, de produire quelque chose d’autonome. L’image en mouvement dépend des deux. Les tirages, eux, sont indépendants. Le regard s’exerce différemment mais s’aiguise dans les deux situations. Il peut y avoir des sensations de mouvement même dans ce qui est fixe. C’est important de questionner cette fixité. » Au sous-sol, Vermille et ses fonds rouges s’imposent. Il faut attendre trois fois 50 minutes pour voir le rose apparaître. A moins d’arriver au moment opportun. Pensée pour quatre écrans, la pièce est ici accompagnée par des vidéos. « Réaliser un polyptyque, c’est penser les trajectoires de couleurs dans le temps les unes par rapport aux autres avec plusieurs écrans. Il faut envisager l’amplitude de couleur avec des exceptions, le brouillard notamment qui peut s’envisager en dégradé. » Les vidéos offrent des sensations différentes. Enchâssées dans des boîtes noires, elles théâtralisent la proposition.
Ce sont les premières vidéos que l’artiste extrait de son programme. « La taille change beaucoup la perception et la lumière de l’image. La compression l’influence. Initialement, je pensais faire quatre petits génératifs et un grand mais, finalement, je me suis embarquée dans un projet différent. L’idée d’avoir une séquence en vidéo m’intéressait. Cela manquait à mon savoir-faire technique. Obtenir un résultat fini, mais en mouvement. Une boucle de 50 minutes. » Si Anne-Sarah Le Meur doit encore s’habituer à la nouvelle définition de ses images, elle explique aussi avoir candidaté à un festival seulement avec ses vidéos. Une inflexion notable à sa pratique même si, rapidement, son attention se fixe de nouveau sur le programme. « Vermille, c’est le temps long. » Et l’artiste d’évoquer une sculpture de Giuseppe Penone. « Une main en bronze qui empoigne un tronc d’arbre. Pour découvrir l’évolution de ce travail, il faut attendre des années. Je trouve passionnant l’idée d’un rendez-vous annuel qui permettrait d’appréhender les changements d’une œuvre. Evidemment, ce ne serait pas écologique de laisser tourner l’ordinateur pendant trois ans ou plus. Mais la question demeure : Que se passerait-il dans une semaine ? Dans un mois ? Dans un an ? »
Très écolo comme elle dit, Anne-Sarah Le Meur fait son compost, se déplace à vélo, recycle l’eau et gère drastiquement sa consommation de plastique. Elle s’inquiète de son bilan carbone dès qu’elle doit prendre l’avion et se dit qu’elle devrait trouver un moyen de planter des arbres. Mais travailler sans cesse et assidûment avec un ordinateur ne la met-elle pas en contradiction avec elle-même ? La réponse est spontanée et sans ambiguïté. « J’accepte d’être en contradiction avec moi-même. Mon travail consomme de l’énergie, pollue matériellement, mais il me semble qu’en sa présence le spectateur peut se sentir mieux, comme apaisé. Mon travail peut amener à une écologie du regard. » Tendre vers la quiétude, inciter à la contemplation. Véritable ode à la lenteur et à la persévérance, l’œuvre témoigne d’une manière d’être. Rose Apothéose poursuit ses métamorphoses. L’artiste commente ce qu’elle voit pour la première fois, entre dans les subtilités qui se déploient à jamais. Pour vous, cela reste un tableau ? « Littéralement, ce n’est pas de la peinture, mais c’est pictural. J’ai toujours rêvé d’être peintre. Si je travaille avec des nombres, le résultat je le choisis avec l’œil. Ce sont tous mes amours de spectatrice de peinture qui ressortent là. Gamine, j’ai beaucoup peint, j’ai pris des cours de dessin, mais j’aime le côté temporel, fugace du mouvement, les possibilités infinies des combinatoires. » Avoir plusieurs tableaux dans un seul en sorte ? « Peut-être. »